15-10-2009
Par Hassan Haddouche, Alger
Abdelhak Lamiri dirige le plus important institut privé de formation en gestion d'Algérie. Constitué sur le modèle des business schools anglo-saxonnes, l’INSIM a accueilli en 2008 plus de 7000 étudiants à Alger et dans ses filiales présentes dans les principales villes du pays. Au cours des dernières années ses prises de position relatives notamment à la gestion des IDE ont été fréquemment relayées par les médias algériens avant de, finalement, attirer l'attention des pouvoirs publics.
«On aurait pu créer un million de PME. En Algérie, nous créons chaque année 70 PME pour cent mille habitants, le Maroc ou la Tunisie en créent 350.»
Pour beaucoup d'observateurs elles ont exercé une influence importante sur les infléchissements récents de la politique économique du pays, inauguré notamment par le désormais fameux recadrage de l'investissement étranger annoncé par le Président Bouteflika au cours de l'été 2008, et poursuivi par le train de mesures contenues dans la loi de finances complémentaire 2009. S’il considère que beaucoup de ces mesures vont «dans la bonne direction», M. Lamiri reste très critique vis à vis de nombreux aspects de la politique économique du pays. Dans cet entretien, il souligne que les plans de relance ont raté «la qualification des ressources humaines et le développement de l'entreprise».
Les Afriques: Vos interventions publiques sur le caractère spéculatif de certains investissements étrangers et les risques qu'ils font peser sur la balance des paiements ont attiré l'attention des medias .Quelle est l'origine de cette analyse?
Abdelhak Lamiri : Voici environ deux années, la Banque d'Algérie a commencé à communiquer des chiffres sur les transferts de dividendes des sociétés étrangères. On est passé en très peu de temps dans ce domaine de trois milliards de dollars à prés de sept milliards de dollars. Nous avons rapidement acquis la conviction que beaucoup d'investisseurs internationaux exploitaient le caractère excessivement favorable et permissif de la réglementation algérienne. C'est particulièrement le cas de nombreux investissements d'origine arabe réalisés dans le secteur de l'immobilier. La lecture de certaines données financières de projets révèlent que dans ce domaine, des investissements de l'ordre de dix millions de dollars peuvent générer quelquefois des transferts de bénéfices supérieurs à vingt millions de dollars par an pendant plusieurs années. Des performances qui sont rendues possibles parce que ces entreprises réalisent à des prix administrés des produits qui sont vendus au prix du marché. Ces investissements que nous qualifions de spéculatifs se concentrent notamment dans l'immobilier ou des projets très nombreux qui portent au total sur des dizaines de milliards de dollars sont toujours en instance. A terme, cette situation est en effet porteuse de graves déséquilibres pour notre balance des paiements parce qu'elle pourrait, si aucune correction n'était apportée, provoquer des sorties de capitaux pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliards de dollars chaque année.
LA : Des corrections ont été faites, la loi de finance complémentaire exige désormais une balance devise positive pour tout investissement étranger. C'est une mesure que vous avez proposé et défendu depuis plusieurs années ?
AL : Oui, c'est à mon avis le meilleur moyen de s'assurer que les investissements réalisés correspondent globalement aux intérêts de l'économie nationale. Beaucoup mieux d'ailleurs que le contrôle de 51% du capital autour duquel on fait beaucoup de bruit, qui me semble une mesure inutile et qui est de nature à empêcher la réalisation d'investissements qui pourraient être utiles à notre économie. Plus généralement, je défends l'idée qu'étant donné que nous ne savons pas exporter et que nous ne saurons pas exporter avant, au mieux, une dizaine d'années, le rôle de l'Etat doit être de canaliser l'investissement étranger vers des activités d'exportations ou de substitution aux importations. A l'image des importants investissements qui sont en cours de réalisation dans la pétrochimie ou encore dans l'industrie agroalimentaire avec des investisseurs saoudiens. Ce sont ces projets qui doivent être encouragés et accompagnés.
LA : En dépit des évolutions récentes, vous continuez de porter un jugement sévère sur le mode de gestion de notre économie.
AL : Les pays qui ont réussi leur transition économique sont ceux qui se sont dotés d'un « super-cerveau » pour concevoir une stratégie économique d'ensemble. C'est le cas de pays comme la Corée, la Chine, ou encore l'Inde. En Algérie, nous avons des plans sectoriels et aucune institution capable de coordonner et de faire la synthèse de ces différents plans. On dit d'un côté que la PME est une priorité nationale, mais au niveau du Ministère des finances les arbitrages continuent de ne lui réserver que 5 à 10% des crédits. Les centres de décision sont dispersés et nous ne sommes pas organisés pour être efficaces. Par ailleurs, les plans de relance conçus au cours des dernières années sont trop sommaires. Ils sur-dosent les investissements programmés dans les infrastructures. Simultanément, ils ont raté deux choses : la qualification des ressources humaines et le développement de l'entreprise.
LA : Le développement de la PME est pourtant une des priorités du prochain plan quinquennal.
AL : Nous avons pris dans ce domaine un retard considérable. On aurait pu créer un million de PME. En Algérie, nous créons chaque année 70 PME pour cent mille habitants, le Maroc ou la Tunisie en créent 350. L’Ansej (Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes) dont on parle beaucoup représente moins de 3% des crédits à l'économie. Nous devons faire de cette question une véritable priorité nationale et mettre en place une nouvelle organisation, moderniser les instruments, créer partout des pépinières d'entreprises et mobiliser les acteurs financiers autours de la PME.
LA : Les banques publiques ont été appelées récemment à créer des filiales spécialisées dans le capital investissement. Est-ce une bonne démarche?
AL : C'est une bonne chose mais c'est sans doutes insuffisant, il faut aller plus loin. Nous avons besoin d'une réorientation vigoureuse de notre système financier. Dans tous les pays du monde les banques publiques doivent financer les activités stratégiques. Nos banques publiques doivent se transformer en banques d'investissement et laisser le financement du commerce extérieur aux banques privées. Je défends par ailleurs l'idée d'un double taux de change. Le premier, qui est le taux de change actuel, doit être appliqué aux investissements, aux matières premières et aux produits vitaux. Pour le reste il faut créer les bureaux de change, qui sont d'ailleurs prévus par la loi, et laisser faire le marché.
LA : Vous insistez également, c'est d'ailleurs votre premier métier, sur la médiocrité des performances du système de formation. Quels sont les instruments de mesure qui vous ont amené à ce constat?
AL : Nous faisons régulièrement des interviews de chefs d'entreprise, nationaux ou étrangers, qui mentionnent la faible qualification de nos ressources humaines comme une contrainte majeure. Elle est d'ailleurs dans certains cas à l'origine de la délocalisation de projets d'investissement. Nos universités et nos centres de formation ne figurent nulle part dans les palmarès internationaux. Une étude récente classe les performances de notre système universitaire à la 38e place en Afrique.
LA : Quelles sont les pistes que vous proposez?
AL : Il faut commencer par mettre les moyens .Un professeur d'université algérien touche 7 à 800 euros contre 1200 euros en Mauritanie et 3000 euros au Maroc. Une stratégie de la qualité doit remplacer la stratégie de la quantité mise en œuvre depuis des années. Il vaut mieux 400 mille étudiants bien formés que 1,5 million mal formés qui vont devenir un problème social. Nous devons encourager le développement du secteur privé. L'Algérie est un des derniers pays du monde où il n'existe pas d'université privée et les rares instituts existants sont taxés comme l'import-export. On doit financer des partenariats lourds avec de grandes universités étrangères pour qualifier nos formateurs et les doter d'une ingénierie pédagogique moderne. On parle souvent du modèle chinois comme s'il reposait uniquement sur la main d'œuvre bon marché, alors qu'il y a en Chine plus de 5000 universités jumelées, plus de 2000 universités corporates et que Harvard-Chine a plus d'étudiants que Harvard-USA.
Les Afriques
Par Hassan Haddouche, Alger
Abdelhak Lamiri dirige le plus important institut privé de formation en gestion d'Algérie. Constitué sur le modèle des business schools anglo-saxonnes, l’INSIM a accueilli en 2008 plus de 7000 étudiants à Alger et dans ses filiales présentes dans les principales villes du pays. Au cours des dernières années ses prises de position relatives notamment à la gestion des IDE ont été fréquemment relayées par les médias algériens avant de, finalement, attirer l'attention des pouvoirs publics.
«On aurait pu créer un million de PME. En Algérie, nous créons chaque année 70 PME pour cent mille habitants, le Maroc ou la Tunisie en créent 350.»
Pour beaucoup d'observateurs elles ont exercé une influence importante sur les infléchissements récents de la politique économique du pays, inauguré notamment par le désormais fameux recadrage de l'investissement étranger annoncé par le Président Bouteflika au cours de l'été 2008, et poursuivi par le train de mesures contenues dans la loi de finances complémentaire 2009. S’il considère que beaucoup de ces mesures vont «dans la bonne direction», M. Lamiri reste très critique vis à vis de nombreux aspects de la politique économique du pays. Dans cet entretien, il souligne que les plans de relance ont raté «la qualification des ressources humaines et le développement de l'entreprise».
Les Afriques: Vos interventions publiques sur le caractère spéculatif de certains investissements étrangers et les risques qu'ils font peser sur la balance des paiements ont attiré l'attention des medias .Quelle est l'origine de cette analyse?
Abdelhak Lamiri : Voici environ deux années, la Banque d'Algérie a commencé à communiquer des chiffres sur les transferts de dividendes des sociétés étrangères. On est passé en très peu de temps dans ce domaine de trois milliards de dollars à prés de sept milliards de dollars. Nous avons rapidement acquis la conviction que beaucoup d'investisseurs internationaux exploitaient le caractère excessivement favorable et permissif de la réglementation algérienne. C'est particulièrement le cas de nombreux investissements d'origine arabe réalisés dans le secteur de l'immobilier. La lecture de certaines données financières de projets révèlent que dans ce domaine, des investissements de l'ordre de dix millions de dollars peuvent générer quelquefois des transferts de bénéfices supérieurs à vingt millions de dollars par an pendant plusieurs années. Des performances qui sont rendues possibles parce que ces entreprises réalisent à des prix administrés des produits qui sont vendus au prix du marché. Ces investissements que nous qualifions de spéculatifs se concentrent notamment dans l'immobilier ou des projets très nombreux qui portent au total sur des dizaines de milliards de dollars sont toujours en instance. A terme, cette situation est en effet porteuse de graves déséquilibres pour notre balance des paiements parce qu'elle pourrait, si aucune correction n'était apportée, provoquer des sorties de capitaux pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliards de dollars chaque année.
LA : Des corrections ont été faites, la loi de finance complémentaire exige désormais une balance devise positive pour tout investissement étranger. C'est une mesure que vous avez proposé et défendu depuis plusieurs années ?
AL : Oui, c'est à mon avis le meilleur moyen de s'assurer que les investissements réalisés correspondent globalement aux intérêts de l'économie nationale. Beaucoup mieux d'ailleurs que le contrôle de 51% du capital autour duquel on fait beaucoup de bruit, qui me semble une mesure inutile et qui est de nature à empêcher la réalisation d'investissements qui pourraient être utiles à notre économie. Plus généralement, je défends l'idée qu'étant donné que nous ne savons pas exporter et que nous ne saurons pas exporter avant, au mieux, une dizaine d'années, le rôle de l'Etat doit être de canaliser l'investissement étranger vers des activités d'exportations ou de substitution aux importations. A l'image des importants investissements qui sont en cours de réalisation dans la pétrochimie ou encore dans l'industrie agroalimentaire avec des investisseurs saoudiens. Ce sont ces projets qui doivent être encouragés et accompagnés.
LA : En dépit des évolutions récentes, vous continuez de porter un jugement sévère sur le mode de gestion de notre économie.
AL : Les pays qui ont réussi leur transition économique sont ceux qui se sont dotés d'un « super-cerveau » pour concevoir une stratégie économique d'ensemble. C'est le cas de pays comme la Corée, la Chine, ou encore l'Inde. En Algérie, nous avons des plans sectoriels et aucune institution capable de coordonner et de faire la synthèse de ces différents plans. On dit d'un côté que la PME est une priorité nationale, mais au niveau du Ministère des finances les arbitrages continuent de ne lui réserver que 5 à 10% des crédits. Les centres de décision sont dispersés et nous ne sommes pas organisés pour être efficaces. Par ailleurs, les plans de relance conçus au cours des dernières années sont trop sommaires. Ils sur-dosent les investissements programmés dans les infrastructures. Simultanément, ils ont raté deux choses : la qualification des ressources humaines et le développement de l'entreprise.
LA : Le développement de la PME est pourtant une des priorités du prochain plan quinquennal.
AL : Nous avons pris dans ce domaine un retard considérable. On aurait pu créer un million de PME. En Algérie, nous créons chaque année 70 PME pour cent mille habitants, le Maroc ou la Tunisie en créent 350. L’Ansej (Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes) dont on parle beaucoup représente moins de 3% des crédits à l'économie. Nous devons faire de cette question une véritable priorité nationale et mettre en place une nouvelle organisation, moderniser les instruments, créer partout des pépinières d'entreprises et mobiliser les acteurs financiers autours de la PME.
LA : Les banques publiques ont été appelées récemment à créer des filiales spécialisées dans le capital investissement. Est-ce une bonne démarche?
AL : C'est une bonne chose mais c'est sans doutes insuffisant, il faut aller plus loin. Nous avons besoin d'une réorientation vigoureuse de notre système financier. Dans tous les pays du monde les banques publiques doivent financer les activités stratégiques. Nos banques publiques doivent se transformer en banques d'investissement et laisser le financement du commerce extérieur aux banques privées. Je défends par ailleurs l'idée d'un double taux de change. Le premier, qui est le taux de change actuel, doit être appliqué aux investissements, aux matières premières et aux produits vitaux. Pour le reste il faut créer les bureaux de change, qui sont d'ailleurs prévus par la loi, et laisser faire le marché.
LA : Vous insistez également, c'est d'ailleurs votre premier métier, sur la médiocrité des performances du système de formation. Quels sont les instruments de mesure qui vous ont amené à ce constat?
AL : Nous faisons régulièrement des interviews de chefs d'entreprise, nationaux ou étrangers, qui mentionnent la faible qualification de nos ressources humaines comme une contrainte majeure. Elle est d'ailleurs dans certains cas à l'origine de la délocalisation de projets d'investissement. Nos universités et nos centres de formation ne figurent nulle part dans les palmarès internationaux. Une étude récente classe les performances de notre système universitaire à la 38e place en Afrique.
LA : Quelles sont les pistes que vous proposez?
AL : Il faut commencer par mettre les moyens .Un professeur d'université algérien touche 7 à 800 euros contre 1200 euros en Mauritanie et 3000 euros au Maroc. Une stratégie de la qualité doit remplacer la stratégie de la quantité mise en œuvre depuis des années. Il vaut mieux 400 mille étudiants bien formés que 1,5 million mal formés qui vont devenir un problème social. Nous devons encourager le développement du secteur privé. L'Algérie est un des derniers pays du monde où il n'existe pas d'université privée et les rares instituts existants sont taxés comme l'import-export. On doit financer des partenariats lourds avec de grandes universités étrangères pour qualifier nos formateurs et les doter d'une ingénierie pédagogique moderne. On parle souvent du modèle chinois comme s'il reposait uniquement sur la main d'œuvre bon marché, alors qu'il y a en Chine plus de 5000 universités jumelées, plus de 2000 universités corporates et que Harvard-Chine a plus d'étudiants que Harvard-USA.
Les Afriques
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