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Les projets contrariés de l'Autorité palestinienne

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  • Les projets contrariés de l'Autorité palestinienne

    Depuis que le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a renoncé à se présenter à sa succession, alimentant les rumeurs sur une éventuelle démission, le sort de ce régime issu des accords de paix d'Oslo en 1993 semble en suspens.

    Démantèlement ? Déclaration d'indépendance unilatérale contre laquelle s'élève déjà le gouvernement israélien ? Maintien du statu quo ? L'Autorité palestinienne ne parvient pas à trancher, comme si la contradiction entre la sophistication croissante de ses institutions et son absence de prise sur le terrain était devenue ingérable.

    Jugez plutôt : le régime palestinien ne contrôle pas ses frontières mais il dispose d'un service de douane haut de gamme. Il s'est lancé dans un ambitieux programme d'enregistrement de centaines de milliers de parcelles de terres, que son entreprenant voisin, Israël, ne cesse d'exproprier. Ses policiers ne sont pas autorisés à circuler d'une ville à l'autre, mais ils peuvent partir se former à l'étranger...

    Tel est le casse-tête de la Palestine en 2009. Ou plutôt de la Cisjordanie. Car la bande de Gaza, géré par le Hamas, est maintenue à l'écart de cette étrange dynamique que les experts étrangers nomment "institution building" (construction des institutions) ou, dans leurs moments d'euphorie, "state building" (construction de l'Etat).

    Piloté entre Ramallah, Bruxelles et Washington, ce processus, qui mobilise une armada de 42 pays donateurs et 30 agences de développement, conduit à l'émergence d'un Etat fantôme, doté d'une maîtrise grandissante des compétences régaliennes, mais privé de tous les droits afférents.

    Bienvenue dans les locaux du projet "Asycuda", à Balou', banlieue de Ramallah. Ce sigle est la contraction de "Automated System for Custom Data", l'un des logiciels les plus performants au monde en matière de gestion des procédures douanières.

    Comme la Jordanie, la Lettonie et une poignée d'autres pays européens, la Palestine dispose désormais de ce système destiné à faciliter le commerce transfrontalier, améliorer la perception des taxes et adapter les pratiques locales aux standards internationaux de "bonne gouvernance". Son entrée en fonction s'intègre dans un programme de modernisation des services douaniers palestiniens, financé par des fonds européens.

    Mais à quoi bon cette sophistication quand lesdits douaniers ne sont présents sur aucune frontière ? Ni au pont Allenby, le terminal avec la Jordanie, ni à Rafah, le point de passage entre Gaza et l'Egypte, ni au port israélien d'Ashdod, terminus des conteneurs à destination des territoires occupés...

    "La frustration est grande, dit Mark Gallagher, le chef de la section économique du bureau de la Commission européenne à Jérusalem. Quand le projet a débuté en 2001, personne n'imaginait que, huit ans plus tard, les douaniers palestiniens ne pourraient toujours pas se déployer aux frontières de la Palestine. Faire de la formation sans qu'il y ait de mise en pratique grandeur nature, ce n'est pas simple."

    Pourtant, Mysief Mysief, le coordinateur du projet, ne baisse pas les bras. Car même s'il ne fonctionne qu'à mi-régime, le logiciel Asycuda a permis d'accroître les rentrées fiscales : ces taxes qu'Israël perçoit au nom de la Palestine, avant de les transférer dans les coffres du ministère des finances à Ramallah.

    "Chaque mois, nous repérons des erreurs car les douaniers israéliens s'intéressent davantage aux questions de sécurité qu'aux taxes, dit Mysief Mysief. En 2008, l'Autorité palestinienne a récupéré de la sorte 40 millions de shekels (8 millions d'euros). Si demain la Palestine est indépendante, nous saurons gérer nos frontières."

    Un pas en avant, deux pas en arrière. Ou l'inverse. Ce tempo ingrat rythme le travail de ces centaines d'expatriés dépêchés au chevet de la bureaucratie palestinienne. Prenez le système judiciaire, objet de toutes les attentions occidentales. La Suède et l'Italie équipent le ministère, les Pays-Bas construisent des prisons, le Canada modernise le bureau du procureur, l'Union européenne s'occupe du conseil de la magistrature, les Etats-Unis travaillent avec l'institut de formation des juges... Un déluge d'investissements dont le résultat le plus marquant est la mise en réseau des tribunaux de Cisjordanie, une véritable prouesse dans ce territoire en morceaux.

    "Il y a une infrastructure très solide, ici, dit Alfons Lentze, l'avocat hollandais qui dirige "Seyada", le programme d'aide européen dans le secteur judiciaire. Notre travail consiste à consolider ces institutions, de façon à niveler les différences entre les parties en conflit et à ouvrir un dialogue entre elles."

    L'intention est noble, mais ne suscite guère d'écho. L'armée israélienne persiste à s'opposer au déploiement de la police palestinienne dans 80 % de la Cisjordanie. Il suffit qu'un criminel s'y réfugie pour échapper à la justice, si performante soit-elle. Parfois, l'armée israélienne s'oppose même au déplacement d'un juge ou d'un détenu d'une ville à l'autre. "J'apprécie l'aide internationale, dit Salah Moussa, un avocat palestinien. De nouveaux ordinateurs, de nouveaux bâtiments, tout cela est utile. Mais tant que cette aide s'adaptera aux dispositifs d'occupation, elle ne nous rapprochera pas d'un centimètre d'un Etat indépendant."

    Qui dit modernité ne dit pas souveraineté. Nadim Barahmeh est directeur de l'Autorité de la terre, il gère l'un des projets les plus novateurs du moment, emblématique du virage volontariste pris par le régime palestinien. Avec le soutien de la Banque mondiale et de la Finlande, ses employés ont entrepris rien de moins que de relancer l'enregistrement foncier en Palestine. Un travail commencé par l'administration jordanienne entre 1948 et 1967, interrompu par Israël, si bien qu'aujourd'hui, le "tabu", le vieux cadastre ottoman, ne couvre qu'environ 30 % de la superficie de la Cisjordanie.

    "C'est un projet capital pour résoudre les conflits de terre, pour activer le marché de l'immobilier et pour défendre l'intégrité de notre territoire face à Israël", dit Nadim Barahmeh. Un million et demi de propriétés sont en attente.

    Prudence oblige, le projet commence par les 18 % de la Cisjordanie où Israël concède à l'Autorité palestinienne une forme d'autonomie, loin des terrains accaparés ou lorgnés par les colons. "On se glisse dans les petites cases où l'on peut travailler", soupire Nadim Barahmeh.

    D'aucuns diraient qu'en Palestine la construction de l'Etat s'apparente à un travail de fourmi. Pour les Palestiniens, cela ressemble au supplice de Sisyphe.

    Benjamin Barthe
    Le Monde
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