Mazagan Beach Resort, situé entre El Jadida et Azemmour, à 90 km de Casablanca, a ouvert ses portes le 15 octobre dernier. Si cette station du Plan Azur a l'ambition d'implanter la marque «Maroc» aux quatre coins de la planète, elle répond surtout aux besoins d'une clientèle locale. Reportage.
Par : Aïda Alami et Christophe GuguenPalace d'Anfa, Casablanca, un lundi à 19h. Une navette gratuite affrétée par Mazagan Beach Resort attend des clients sur le boulevard d'Anfa afin de les transporter au complexe fraîchement ouvert par le milliardaire sud-africain Sol Kerzner. Ça faisait des semaines que l'on entendait partout parler de Mazagan dans les journaux, même sur Facebook où les gens ont posté des photos et des vidéos. Une excitation générale due en partie à la venue de plusieurs célébrités a accompagné l'ouverture du gigantesque complexe touristique se trouvant à proximité de Casablanca. En voyant la pub dans plusieurs magazines, une dizaine de SMS reçus sur nos téléphones et sur plusieurs panneaux d'affichage dans tout Casablanca, nous n'avons pas pu résister à l'appel «Et toi? Qu'est-ce que tu fais ce soir?» Le tout s'est organisé très rapidement : nous appelons le numéro sur la pub, l'employé chargé des réservations nous explique que la navette coûte 200 dirhams le weekend, incluant l'entrée en boîte de nuit. Elle est en revanche gratuite en semaine. Le bus, sur lequel est inscrit «Magic Mazagan, catch the bus», s’apprête à partir. Une hôtesse aide les passagers à prendre place dans le bus. Et l'aventure commence.
«Sensations et adrénaline»
Mazagan, qui se veut une nouvelle destination touristique «branchée», se démarque des autres stations du Plan Azur, plus axées sur la promotion immobilière (voir encadré). C’est un resort complètement intégré, regroupant hôtel, restaurants, casino, golf, un des plus grands centres de conférence du Maroc. Une offre de loisirs destinée autant aux touristes européens qu’à une clientèle marocaine aisée, le complexe se situant à une centaine de kilomètres seulement du plus grand creuset de population du royaume. Après un trajet d'environ 90 minutes, Mazagan est soudainement apparu telle une oasis au milieu d'un désert sombre. On se serait cru devant le palais illuminé de mille feux, gigantesque et fastueux d'un maharadja. Une partie de la forêt d’El Haouzia a été rasée pour laisser place au complexe s'étalant sur une superficie de 250 hectares et bordé par 7 kilomètres de plage. Le hall d'entrée est tellement grand et les plafonds si hauts que l'on a encore froid une fois à l'intérieur. De plus près, on a moins l'impression d'être dans un palais et la décoration tape-à-l'œil, les finitions en plastique et les couleurs clinquantes nous font plutôt penser aux hôtels kitchs de Dubaï. Il y a huit restaurants dont seulement trois sont ouverts pour l'instant, chacun avec un thème culinaire différent. Les 500 chambres de l'hôtel, le casino et la boîte de nuit sont tous reliés entre eux. Il faut d'ailleurs traverser le casino pour parvenir à la boîte de nuit, fermée ce soir-là. Le casino dispose également d'une salle, «Le Privé», pour les joueurs misant gros et préférant l'intimité.
Le casino de la station, «l’un des plus grands d’Afrique du Nord», est au cœur de la stratégie de Mazagan Beach Resort, bien que le mot «casino» n'apparaisse pas sur la plupart des communiqués officiels du ministère du Tourisme. «Il correspond aux attentes d’une partie de notre clientèle haut de gamme», explique aux médias la direction du groupe. Grâce à un contrat d’exclusivité dans un rayon de 130 km, le groupe Kerzner a l’assurance d’y attirer les «high rollers» qui logent à l’hôtel cinq étoiles de la station, mais aussi les joueurs de la région de Rabat et Casablanca. «Il n’est pas dans l’intention du gouvernement de développer l’activité Casino en tant que telle», a cependant affirmé le ministre du Tourisme Mohammed Boussaïd, lors de la soirée d’inauguration de la station. Et d’ajouter : «Il s’agit d’une autorisation exceptionnelle basée sur un cahier de charges qui fixe les critères. L’activité du casino est très réglementée et très encadrée au Maroc».
Rien ne va plus!
Nous décidons donc d'aller directement au casino, moins impersonnel que le reste du complexe. Il se trouve dans l'aile gauche de Mazagan. La salle est immense. On y trouve 50 tables de jeux (roulette, black jack et poker), et 415 machines à sous. On y trouve également un bar-restaurant. La clientèle, principalement masculine, est pour la plupart en tenue décontractée. Il y en a pour tous les goûts et tous les budgets. On peut miser dans les machines à partir de 50 centimes. Nous jouons des petites sommes pendant quelques instants, mais on ne peut s'empêcher d'arrêter et de se rapprocher des tables où règne une ambiance plutôt sérieuse et tendue avec des «high rollers», des joueurs invétérés qui risquent gros, gagnent parfois beaucoup, et perdent le plus souvent.
Un croupier se penche légèrement en avant, annonce le fameux «rien ne va plus» lance du bout des doigts une boule blanche sur la machine a roulette. La boule commence à tourner rapidement, un homme, assis sur un tabouret, la tête entre ses mains, a misé 200 dirhams sur le chiffre 7. Il tire nerveusement sur sa cigarette et boit une gorgée de son whisky-coca. Un autre homme assis à côté de lui retient sa respiration, il a misé 400 dirhams sur la noire. Ils attendent fébrilement que la boule s'arrête. Finalement c’est le 13 rouge ! Ils viennent tous deux de perdre leur mise en seulement quelques secondes. Les deux hommes sont dépités, mais néanmoins poussent d'autres jetons sur le tapis pour tenter à nouveau leur chance. Une femme à quelques mètres d'eux pousse un cri de joie, on entend la sonnerie de la machine indiquant un gain important. Elle vient de gagner plusieurs centaines de dirhams sur une machine à sous, qu'elle s'empresse de réclamer au guichet et décide d'arrêter de jouer.
Autre ambiance à quelques pas de là. A une table de Black Jack, un joueur furieux d'avoir à payer un paquet de cigarettes s'exclame «on paie les cigarettes ici ?», avant de lancer en l'air le paquet lorsque la serveuse annonça d'une tout petite voix que cela coutait 50 DH. Le croupier ne peut s'empêcher de pousser un cri qui plonge le joueur dans une colère noire, le manager arrive pour calmer les choses et le joueur lui dit «Vous devriez mieux former votre personnel. J'en emploi des centaines comme lui !»
Dans une autre partie du casino, plus sélecte, se trouvent les tables de poker. Le staff, essentiellement étranger, est aux petits soins avec les joueurs de poker. Toutes les boissons sont offertes par la maison, la retauration leur est également offerte. Selon Frédéric Abadie, rédacteur en chef du Journal des Casinos, un organisme indépendant français spécialisé dans l'étude des casinos dans le monde, le casino a tout autant intérêt à attirer de gros clients qui dépenseront beaucoup aux tables de jeux que d'attirer ceux qui vont moins dépenser aux machines à sous, notamment avec la navette transportant des clients gratuitement de Casablanca. «Mazagan mise d’avantage sur une clientèle de prestige, et essaie d'attirer les gros joueurs. C'est la notion même du Resort», explique-t-il. «Les machines à sous rapportent quant à elle régulièrement de l'argent même si c'est de manière moins spectaculaire. Il faut noter qu'il est rare qu'un milliardaire perde un million de dollars à une table de poker et qu'il est donc important de remplir le casino avec les joueurs occasionnels».
Un bonheur pour les amateurs
Certains des clients du resort ont fait le voyage de l'étranger, d'autres sont venus de Casablanca en voiture ou dans la navette gratuite affrétée par le casino, pour y passer la soirée. Après minuit, de plus en plus de jeunes arrivent en groupe de trois ou quatre. Samir, un jeune cadre casablancais, vient assez souvent au complexe Mazagan depuis son ouverture. C'est un régulier des casinos européens et marocains, notamment celui de la Mamounia à Marrakech et du Mirage à Tanger. Il apprécie Mazagan pour sa proximité mais aussi pour le standing élevé de l'endroit. «C'est un casino très bien équipé et très professionnel. C'est la copie conforme d'un autre casino, Sun City, en Afrique du Sud (construit aussi par Krezner) où j'ai eu l'occasion de jouer», nous raconte-t-il.
Samir a une carte de fidélité à Mazagan. Grâce a cette carte, il accumule des points et s'est déjà vu offrir par le casino boissons et même une nuit d'hôtel gratuite, au bout de quelques nuits de jeu. «Je joue pour m'amuser, mais certaines personnes sont véritablement des addicts du jeu. Je connais un médecin casablancais qui a mis trois appartements en vente pour avoir de quoi jouer et a tout perdu en moins de deux ans», ajoute le jeune Casablancais.
Selon un psychiatre spécialiste des addictions, le docteur Jalal Taoufiq, cette dépendance au jeu est un problème sérieux auquel on ne fait pas suffisamment attention au Maroc. «Il existe ce que l'on appelle le jeu pathologique qui est un besoin impérieux de jouer, ce n'est pas l'euphorie du gain qui est recherchée mais l'excitation de l'attente du résultat. Très souvent il y'a désillusion, la personne refroidit et puis il y'a un besoin impétueux de rejouer. Le jeu, comme une drogue, contrôle la personne», explique le médecin. «Ceci entraîne chez beaucoup de gens des catastrophes économiques, relationnelles et sociales car ils sacrifient tout pour jouer». Le docteur Taoufiq explique qu'il existe deux centres qui prennent en charge les joueurs compulsifs à Casablanca et à Salé mais que très peu de gens consultent car il n'y a pas un accompagnement informatif, sous forme d'émissions télévisées ou autres, pour faire connaître au grand public les réalités de cette maladie.
Ce lundi 23 novembre, il y a une large majorité de Marocains présents au Casino. Une hôtesse nous explique que lors de la première semaine d'ouverture, il y avait davantage de touristes mais que la tendance s'est inversée et qu'il y a désormais un plus grand nombre de locaux qui fréquentent l'établissement. Après avoir gagné un peu d'argent aux machines, et puis tout reperdu, l'heure de quitter Mazagan arrive. Le bus nous ramène dans la nuit vers l'autre Maroc, loin des paillettes, des lumières et du faste.
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