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Edward Said- The Myth of Culture Clash

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  • Edward Said- The Myth of Culture Clash



    Désolée pour ceux qui ne comprennent pas.


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    “La vérité est rarement enterrée, elle est juste embusquée derrière des voiles de pudeur, de douleur, ou d’indifférence; encore faut-il que l’on désire passionnément écarter ces voiles” Amin Maalouf

  • #2
    Traduction non pas de la vidéo mais d'un texte du même auteur sur le même sujet.


    Le choc des ignorances

    Par Edward Said

    L'article de Samuel Huntington "The Clash of Civilizations?", paru dans le numéro d'été 1993 des Affaires étrangères, a immédiatement attiré un nombre surprenant d'attentions et de réactions.

    L'article était destiné à donner aux Américains une thèse originale sur "une nouvelle phase" dans la politique mondiale après la fin de la guerre froide. Les arguments de Huntington de l'argument semblent convaincants, grands, audacieux, voire visionnaire.

    Il visait très clairement ses rivaux parmi les théoriciens de la politique tels que Francis Fukuyama et ses idées dans "La fin de l'histoire", ainsi que tout ceux, fort nombreux, qui avait célébré le début de l'internationalisme, le tribalisme et la dissolution de l'Etat.
    Mais lui comme eux, n'avaient compris que quelques aspects de cette nouvelle période. Il décrit "l'aspect crucial, vraiment central" que «la politique mondiale était susceptible de devenir dans les prochaines années."

    "Mon hypothèse est que la source fondamentale de conflit dans ce nouveau monde ne sera ni essentiellement idéologique ni économique. Les grandes divisions au sein de l'humanité et les principales sources de conflit seront culturelles. Les États-nations resteront les acteurs les plus puissants dans les affaires mondiales, mais les principaux conflits de la politique mondiale aura lieu entre les nations et les groupes de différentes civilisations. Le choc des civilisations dominera la politique mondiale. Les lignes de fracture entre civilisations seront les lignes de combat de l'avenir. "

    La plupart des arguments dans les pages qui suivaient étaient fondés sur une vague notion de quelque chose que Huntington appela l ' «identité d'une civilisation» et «les interactions entre les sept ou huit [sic] grandes civilisations», dont le conflit entre deux d'entre elles, l'Islam et l'Occident, se taillaient la part du lion dans son attention.

    Dans ce même genre de pensées belliqueuses, il s'appuie beaucoup sur un article de 1990 de l'orientaliste Bernard Lewis, dont les couleurs idéologiques se manifestent dans son titre, «The Roots of Muslim Rage».

    Dans les deux articles, la personnification d'énormes entités nommées «Ouest» et «Islam» est témérairement affirmée, comme si les questions extrêmement complexes comme l'identité et la culture vivaient dans un monde où des personnages de dessins animés comme Popeye et Brutus se harcèlent uns les autres sans pitié, avec toujours un plus vertueux pugiliste prenant le dessus sur son adversaire.

    Il est certain que ni Huntington, ni Lewis n'ont beaucoup de temps à consacrer à la dynamique interne et la pluralité des civilisations, ni au fait que le problème majeur dans la plupart des cultures modernes concerne la définition ou l'intelligibilité des cultures, ni à la possibilité que ce soit une bonne dose de démagogie et d'ignorance arrogante qui donnent cette prétention de parler au nom de toute une religion ou de toute une civilisation. Non, rien de tout cela : l'Occident est l'Occident et l'islam est l'islam. Le défi pour les décideurs occidentaux, selon Huntington, reste de s'assurer que l'Occident devient plus fort et repousse tous les autres, l'Islam en particulier.

    Plus troublante est l'axiome de Huntington que le point de vue qui consiste à sonder le monde entier à partir d'un perchoir à l'extérieur de tous attachements et loyautés ordinaires, serait le bon, comme si tous le monde couraient à la recherche des réponses qu'il a trouvées.

    En fait, Huntington est un idéologue, quelqu'un qui veut faire de «civilisations» et des «identités» ce qu'elles ne sont pas: des entités arrêtées et closes, purgées des multiples courants et contre-courants qui ont animé l'histoire humaine, et qui, au cours des siècles, permirent à cette histoire, de comporter autre chose que les guerres de religion et des conquête impériales, d'être aussi des échanges, des enrichissement mutuels et des partages. Il évacue toute cette histoire, bien moins visible, dans sa précipitation à mettre en évidence de manière ridiculement réductrice, les situations de guerre, que dans «Le choc des civilisations», il affirme être LA réalité.

    Quand il publia son livre en 1996, Huntington essaya de donner à son argument un peu plus de subtilité avec beaucoup, beaucoup, de notes de bas de page; tout ce qu'il fit, cependant, c'est de se montrer confus, et de démontrer qu'il n'était qu'un écrivain et un penseur inélégant et maladroit.

    Le paradigme fondamental de l'Ouest contre le reste (l'opposition guerre froide reformulée) est demeuré intact, et c'est ce qui a persisté, souvent de façon insidieuse et, implicitement, en discussion depuis les terribles événements du 11 Septembre. Les horribles attentats-suicide, aux motivations pathologiques, soigneusement planifiés et les massacres de masse par un petit groupe de militants dérangés ont été transformés en une preuve de la thèse de Huntington.

    Au lieu de les voir pour ce qu'ils sont - l'appropriation de grandes idées (j'utilise le mot dans un sens vague) par une petite bande de fanatiques fous à des fins criminelles - des personnages de stature internationale comme l'ancien Premier ministre pakistanais Benazir Bhutto ou le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi, pontifièrent sur des troubles de l'islam, et dans le cas de ce dernier utilisèrent les idées de Huntington pour vociférer sur la supériorité de l'Occident, et comment «nous» avions Mozart et Michel-Ange et pas eux (Berlusconi a depuis présenté des excuses sans conviction pour son insulte à «l'islam».)

    Pourquoi donc ne pas voir plutôt les parallèles, certes moins spectaculaire dans leur caractère destructeur, de Oussama ben Laden et ses adeptes avec des cultes comme les Davidiens ou les disciples du révérend Jim Jones au Guyana ou le japonais Aum Shinrikyo?

    Même l'habituellement sobre hebdomadaire britannique "The Economist", dans son numéro de Septembre 22-28, ne peut finalement résister à la mode de la vaste généralisation en faisant un éloge extravagant de Huntington pour sa "cruelle et radicale, mais non moins aiguë" observations sur l'islam. "Aujourd'hui", dit le journal avec une solennité incongrue, Huntington écrit que "un milliard de musulmans sont convaincus de la supériorité de leur culture et obsédés par l'infériorité de leur pouvoir". Parlent-ils de 100 Indonésiens, de 200 Marocains, de 500 Égyptiens et des cinquante Bosniaques? Même s'il le faisait, que signifierait cet échantillon ?

    Des innombrables éditoriaux de tous les journaux et magazines américains et européens, adoptent ce vocabulaire de gigantisme et d'apocalypse, et chaque fois évidemment non pas pour édifier mais pour enflammer la passion indignée du lecteur en tant que membre de «l'Occident», et ce que nous devons faire.

    suite =>

    Commentaire


    • #3
      La rhétorique Churchillienne est utilisée de façon inappropriée par les auto-désignés combattants de l'Ouest, et particulièrement par l'Amérique, guerre contre ses ennemis, spoliateurs, destructeurs, sans attention portées aux histoires complexes qui s'opposent à ce réductionnisme, qui passent d'un territoire à l'autre, dans un processus dépassant les frontières censées nous séparer en camps divisés et armés.

      C'est le problème avec des termes aussi peu significatifs que Islam ou Occident : ils induisent en erreur et embrouillent l'esprit qui cherche à donner un sens à une réalité désordonnée qui ne se laisse attraper aussi facilement que ça.

      Je me souviens d'avoir interrompu un homme qui, après une conférence que j'avais donnée à une université de Cisjordanie en 1994, se leva dans l'assistance et commença à attaquer mes idées comme «occidentale», par opposition à celles islamiques strictes qu'il professait. "Pourquoi portes-tu un costume et une cravate?" fut d'abord la riposte qui m'est venue à l'esprit. "Ils sont occidentaux aussi". Il s'assit avec un sourire gêné sur son visage, mais je me suis souvenu de l'incident lorsque les informations sur les terroristes du 11 Septembre ont commencé à nous parvenir : la manière dont ils avaient maîtrisé tous les détails techniques nécessaires pour commettre leur terribles homicides sur le World Trade Center et le Pentagone et l'avion dont ils avaient pris les commandes.

      Où peut-on tracer la ligne entre la technologie «occidentale», et comme Berlusconi le déclara : "l'incapacité de l'islam de faire partie de la "modernité" "? C'est difficile bien évidemment. En fin de compte, ces désignations, généralisations et affirmations culturelles sont bien inadéquates.

      À un certain niveau, par exemple, nos passions archaïques ou l'universel savoir-faire, font mentir la thèse d'une frontière fortifiée, non seulement entre «l'Occident» et «l'Islam», mais aussi entre le passé et le présent, nous et eux, sans parler des notions mêmes d'identité et de nationalité sur lesquelles il y a désaccord et débat sans fin.

      La décision unilatérale de graver des limites, d'entreprendre des croisades, d'opposer leur "mal" à notre "bien", d'extirper le terrorisme et, dans le vocabulaire nihiliste de Paul Wolfowitz, de mettre fin aux Nations, ne rend pas ces supposées entités plus intelligibles, plutôt elle montre qu'il est beaucoup plus simple de faire des déclarations belliqueuses afin de mobiliser les passions collectives, que de réfléchir, examiner, trier ce que nous traitons de la réalité, l'interdépendance des innombrables vies, «les nôtres», aussi bien que «les leurs».

      Dans une remarquable série de trois articles publiés entre Janvier et Mars 1999 dans Dawn, l'hebdomadaire le plus respecté du Pakistan, Eqbal Ahmad, écrivant pour un public musulman, a analysé ce qu'il appelle les racines de la droite religieuse, revenant très durement sur les mutilations au nom de l'Islam par les absolutistes et les tyrans fanatiques dans leur obsession de réglementer le comportement personnel, favorise pour lui "un ordre islamique réduit à un code pénal, dépouillé de son humanisme, son esthétique, les quêtes intellectuelles, et la dévotion spirituelle". Et cela "implique l'affirmation absolue d'un seul aspect de la religion, le plus souvent hors contexte, et une totale méconnaissance des autres aspects". Ce phénomène fausse la religion, avilit la tradition, et distord le processus politique partout où il se développe".

      Comme exemple rapide de cette dégradation, Ahmad s'emploie d'abord à présenter les riches, complexes et pluralistes significations du mot djihad puis ensuite à montrer que dans son actuelle unique acception de guerre aveugle contre les ennemis présumés, il est impossible de "reconnaître la religion, la société, la culture, l'histoire ou la politique musulmane- telle qu'elle fut vécue et expérimentée par les musulmans à travers les âges".

      Les islamistes modernes, conclut Ahmad, sont " intéressés par le pouvoir, pas par l'âme, ils mobilisent les gens à des fins politiques plutôt que pour partager et atténuer leurs souffrances, et partager leurs aspirations. Leur propre aspiration est un projet politique très limité. "Ce qui a fait empirer les choses, c'est que des distorsions et du fanatisme semblables se produisent dans les discours des univers "juif" et "chrétiens" ".

      A la fin du XIXe siècle, Joseph Conrad, plus profondément que n'importe lequel de ses lecteurs n'aurait pu l'imaginer, comprit que les distinctions entre le Londres civilisé et "le cœur des ténèbres» s'effondrerait rapidement dans des situations extrêmes, et que les hauteurs de la civilisation européenne pourraient instantanément tomber dans les pratiques les plus barbares, sans préparation ni transition. Et c'était aussi Conrad, dans The Secret Agent (1907), qui a décrit l'affinité du terrorisme pour des abstractions comme la «science pure» (et par extension pour «l'islam» ou «l'Occident»), ainsi que l'ultime dégradation morale du terroriste.

      Car il ya des liens plus étroits que la plupart d'entre nous n'aimeraient le croire; entre les civilisations apparemment en guerre, Freud et Nietzsche ont montré comment les échanges entre elles étaient soigneusement entretenus, et passent les frontières avec aisance.

      Les regards ambigus et sceptiques sur les principes auxquels nous tenons, ont du mal à nous fournir des moyens idoines, des directives pratiques pour les situations comme celle que nous connaissons aujourd'hui. C'est pourquoi des ordres de bataille bien plus rassurants (une croisade, le bien contre le mal, la liberté contre la peur, etc.) sont tirés de la prétendue opposition entre l'islam et l'Occident de Huntington, d'où le discours officiel a emprunté son vocabulaire dans les premiers jours après les attentats du 11 Septembre.

      Il y a eu depuis une notable désescalade dans ce type de discours, mais à en juger par la quantité constante du discours et d'actions de haine, ainsi que les séries de mesures de répression dirigées contre les Arabes, les Musulmans et les Indiens dans tout le pays, le paradigme reste actif.

      Une raison de plus à sa persistance est la présence croissante de musulmans en Europe et aux États-Unis. Pensez aux populations, aujourd'hui, en France, Italie, Allemagne, Espagne, Grande-Bretagne, en Amérique, même en Suède, et il faut admettre que l'islam n'est plus en marge de l'Occident, mais en son centre. Mais qu'est ce qui est si menaçant dans cette présence?

      Les souvenirs des premières grandes conquêtes arabo-islamique, commencées au VIIe siècle sont gravés dans la culture collective et, comme le célèbre historien belge Henri Pirenne l'écrivit dans son livre d'Histoire : "Mahomet et Charlemagne" (1939), elles ont brisé définitivement la vieille unité Méditerranéenne, détruit la synthèse romano-chrétienne et ont donné naissance à une nouvelle civilisation dominée par les puissances du Nord (Allemagne et France carolingienne) dont la mission, selon lui, fut de défendre l«l'Occident» contre ses ennemis historiques et culturels.

      Ce que Pirenne évacue, hélas, est que la création de cette nouvelle ligne de défense de l'Occident envers la science, la philosophie, la sociologie et l'historiographie de l'islam, s'était déjà interposée entre le monde de Charlemagne et l'antiquité classique.

      L'islam est à l'intérieur dès le début, même Dante, grand ennemi de Mahomet, a dû le concéder quand il a placé le Prophète au cœur même de son Enfer.

      Ensuite, il y a l'héritage persistant du monothéisme lui-même, les religions abrahamiques, comme Louis Massignon les appelait avec justesse. Commençant avec le judaïsme et le christianisme, chacun est le successeur hanté par ce qui l'a précédé, pour les musulmans, l'islam accomplit et termine la ligne de la prophétie.

      Il y a encore pas d'Histoire décente ou de démystification des conflits multiformes entre ces trois successeurs (Aucun d'entre eux en soi ne signifie un camp monolithique, unifié), du plus jaloux des dieux, même si la convergence moderne sanglante sur la Palestine fournit un riche exemple séculaire de ce qui était si tragiquement inconciliables à leur sujet.

      Il n'est donc pas surprenant que les musulmans et les chrétiens parlent volontiers de croisades et de djihad, tous deux passant sous silence la présence juive avec une insouciance sublime. Un tel projet, dit Eqbal Ahmad, est "très rassurant pour les hommes et les femmes qui sont bloqués au milieu du gué, entre les eaux profondes de la tradition et la modernité."

      Mais nous nageons tous dans ces eaux, les Occidentaux et les musulmans et d'autres semblables. Et depuis que les eaux font partie de l'océan de l'Histoire, essayer de les diviser par des barrières est futile. Ce sont des moments de tension, mais il est préférable de penser en termes de pouvoir ou de non-pouvoir des communautés, de la séculaire politique de la raison et de l'ignorance, et des principes universels de justice et d'injustice, que d'errer à la recherche de vastes abstractions qui donne une satisfaction momentanée, mais peu de connaissance de soi ni d'analyse éclairante.

      La thèse du «Le Choc des civilisations», est un truc plus proche de la "La guerre des mondes", elle est plus destinée à renforcer l'auto-défense des ego qu'à aider à la compréhension critique de la déroutante interdépendance de notre époque.

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      • #4
        voilà pourquoi j'appelle de mes voeux une plus forte multipolarité generatrice d''equilibre et destructrice de l'unilateralisme US avec:

        1 Emergence geostrategique , economique de la Turquie pivot entre 3 voire 4 continents , avec au passage apaisement Armeno Azeri, liens plus etroits entre Turquie et Asie centrale turcophone qui est aussi musulmane ( imaginez le danger que l'Afghanistan fasse tache d'huile en Ouzbekistan etc etc ) , 1 cooperation avec la Federation de Russie, une action au proche et moyen orient pour 1 Etat palestinien viable avec Al Qods Jerusalem comme capitale commune.


        2 un apaisement du sous continent indien avec reglement du contentieux Cachemire et une montée , 1 developpement de l'Inde et du Pakistan ensemble .
        L'interêt de cet apaisement est que l'Inde est aussi un pays qui compte pres de 200 millions de musulmans..qui s'il est apaisé contrecarre le mythe du choc des civilisations
        1 Inde et 1 Pakistan en bons termes c'est un bloc enorme, colossal qui emerge . Vite des nouveaux Gandhi au Pakistan et en Inde ! Gandhi avait avec lui ensemble, des musulmans et des hindouïstes.






        ces 2 blocs ajoutés au bloc Federation de Russie et à celui de la Chine doivent pouvoir permettre au monde de s'equilibrer, d'annihiler la these d'Huntigton,de detruire l'heritage diabolique de la geopolitique de la CIA durant les annés 90 , de detruire les forces neo conservatrices , les forces extremistes , predatrices et fauteuses de guerre americaines , ( de mettre en depôt de bilan Fox News et les sociétés de Cheney ... ).


        L' Afrique du Nord quand elle aura depassé ses problemes devra aussi songer à former un bloc non aligné .
        .
        Dernière modification par Sioux foughali, 16 janvier 2010, 10h41.

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        • #5
          Je n'ai pas cité l'UE car elle a decidé de ne pas exister geostrategiquement, diplomatiquement , de pas avoir de rôle surtout depuis les annés 90 .

          A part une fois Chirac, elle a preferé s'effacer et suivre systematiquement les Etats Unis dans tous les dossiers.




          .
          Dernière modification par Sioux foughali, 16 janvier 2010, 10h49.

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          • #6
            La thèse de Huntington, un "gimmick" comme l'a qualifié E Said, est complètement dépassée mais comme elle a eu un effet certain, du côté occident (surtout US) comme musulman, il est interessant de voir les réactions contemporaines et les arguments exposés peuvent être utiles pour retracer l'Histoire des idées, dont nous sommes souvent le réceptacle inconscient.


            Richard Rubinstein et Charles Crocker : Contre Samuel Huntington.

            La République des Lettres, 01 octobre 1996.


            La thèse d'Huntington est exposée simplement:

            le système international, autrefois fondé sur la polarité des puissants blocs soviétique, américain et du tiers monde, est en transition vers un nouveau système composé de huit civilisations principales.

            Elles sont occidentale, japonaise, confucéenne, hindoue, islamique, slavo-orthodoxe, latino-américaine, et -- "peut-être", dit le théoricien -- africaine.

            "Civilisation", dans son lexique (comme dans ceux de ses prédécesseurs, Oswald Spengler et Arnold Toynbee), dénote la plus vaste base pratique d'affiliation culturelle humaine en aval d'une conscience d'appartenance à l'espèce humaine.

            La Culture et non la classe, l'idéologie ou la nationalité, fera la différence dans la lutte des puissances du futur. La tendance dans chaque bloc est d'aller vers une plus grande "conscience" civilisationnelle. Les guerres décisives du futur seront combattues le long des lignes de fracture civilisationnelles, comme celles séparant la Croatie et la Slovénie occidentale de la Bosnie musulmane et la Serbie slavo-orthodoxe, ou le Pakistan musulman de l'Inde hindouiste.

            La politique occidentale, dans un contexte d'un nouvel ordre, sera nécessairement dirigée vers le maintien d'une hégémonie mondiale en déstabilisant les civilisations hostiles militairement et diplomatiquement, en jouant les uns contre les autres dans un genre d'équilibre des Puissances, et en apprenant à vivre dans la diversité totale.

            En supposant, pour le moment, qu'il y a huit (et seulement huit) civilisations, pourquoi leurs futures relations devraient-elles être orientées vers un conflit? "Les différences ne signifient pas nécessairement conflit", dit Huntington, mais les civilisations se heurteront parce qu'elles incarnent des valeurs politiques et morales incompatibles; par exemple, les idées occidentales d'individualisme et de démocratie vont à l'encontre des croyances de nombreuses civilisations non-occidentales.

            Quand même cela serait, demandent certains, pourquoi ne pas vivre et laisser vivre? Pourquoi des valeurs en opposition généreraient-elles automatiquement une confrontation politique et militaire? Huntington ne répond pas à la question directement. Il présume que les civilisations politisées sont des blocs de puissance chacun luttant naturellement pour la survie, l'influence, et au besoin, la domination.

            Heureusement, l'Occident est actuellement au sommet, mais d'autres civilisations sont finalement en train de développer des capacités économiques, militaires et culturelles pour défier l'hégémonie occidentale et refaçonner le monde vu à travers l'objectif de valeurs et de croyances non-occidentales. (C'est cette vision de l'ascendance non-occidentale qui rend l'essai du Professeur Huntington si séduisant pour beaucoup de politiciens du Tiers-Monde).

            "L'Occident contre le reste du monde" décrit donc la ligne de fracture la plus probable des futures relations civilisationnelles.

            Est-ce là un nouveau paradigme ou la simple modification du modèle de la guerre froide que Huntington affirme avoir abandonné? Certaines différences semblent évidentes: les unités fondamentales du conflit international sont maintenant des Civilisations, non des Etats; le monde des civilisations en conflit est multipolaire, non bipolaire; et les joueurs principaux sont unis par une affinité culturelle plus que par la classe ou l'idéologie.

            Mais sous la surface d'une nouvelle image du monde, les mécanismes familiers sont en action. La pensée de Huntington demeure limitée par les hypothèses du réalisme politique, la philosophie dominante de la période de la Guerre Froide. Pour lui, comme pour les réalistes d'avant, la politique internationale est, surtout, une lutte pour le pouvoir entre des unités cohérentes mais essentiellement isolées, dont chacune cherche à avancer ses propres intérêts dans un environnement anarchique.

            Huntington a remplacé l'Etat-nation, pièce principale du vieux jeu de la politique réaliste, par une pièce encore plus grande: la Civilisation. Mais à bien des égards le jeu lui-même continue comme auparavant.

            Les résultats de cette continuité sont particuliers. C'est comme si Galilée avait expliqué ses observations télescopiques en recourant à la physique Aristotélicienne. Les civilisations d'Huntington sont essentiellement des super-Etats motivés par les mêmes impératifs d'insécurité et d'auto-développement que l'étaient leurs prédécesseurs historiques de la Guerre Froide.

            En conséquence, les politiques générées par son nouveau paradigme ne sont pas vraiment différenciées de celles inspirées par le vieil ordre des états et des blocs idéologiques concurrents.

            Par exemple, puisque la place la plus sûre dans système anarchique est au sommet ou en alliance avec un souverain, Huntington conseille aux occidentaux de se méfier du désarmement, de peur que les autres civilisations profitent de la démilitarisation de l'Occident pour modifier la balance fondamentale du pouvoir. Il conseille aussi à l'Occident de développer "une compréhension plus approfondie" des autres civilisations, d'identifier "des éléments d'appartenance" comme d'apprendre à coexister avec les autres.

            Mais une "coexistence pacifique" de cette sorte était un principe de base de la stratégie de la Guerre Froide. Son contexte était une lutte incessante pour le pouvoir dont la diplomatie était, en fait, une continuation de la guerre par d'autres moyens. Le conseil d'Huntington -- co-existez sans vous battre -- demeure fermement enraciné dans le paradigme de la lutte pour la domination.

            Ce qui est nouveau, étant donné le triomphalisme de beaucoup d'écrits de l'après Guerre Froide, c'est le pessimisme d'Huntington. Dans un entretien, il dit que l'Occident doit maintenant affronter un monde dans lequel, "malgré sa prépondérance courante dans le pouvoir économique et militaire, la balance du pouvoir est en train de changer de mains". Ce pessimisme spenglerien a des racines dans le darwinisme social aussi bien que dans le réalisme; dans la lutte pour la survie et la suprématie, la victoire appartient à la civilisation la plus unifiée culturellement, la plus déterminée, et la mieux adaptée à la poursuite de la Puissance mondiale.

            Par conséquent, Huntington voit le multiculturalisme -- "la désoccidentalisation" -- comme une sérieuse menace pour les intérêts occidentaux. Le théoricien insiste sur le fait que les politiques favorisant le multiculturalisme menacent "les principes sous-jacents qui ont été les bases de l'unité politique américaine".

            Huntington nous offre-t-il à nouveau le plat réchauffé de la théorie de la Guerre Froide? La réponse semble malheureusement claire et évidente. La menace prétendue et les réponses conseillées sont toutes les deux assurément familières. La menace soviétique s'est peut-être évanouie, mais de nouveaux ennemis -- en particulier, la "connexion islamique-confucéenne" -- tant redoutée met en danger maintenant les intérêts occidentaux.

            Deux réponses sont par conséquent exigées: un mouvement d'unification et de revitalisation culturelle, et un engagement renouvelé envers la sécurité collective militaire, politique et culturelle.

            1/ Tout d'abord, selon lui, nous devons nous occuper de l'ennemi de l'intérieur, défini comme des "groupes d'immigrants non intégrés et non blancs".

            2/ Deuxièmement, puisque "l'Occident est contre le reste du monde", les occidentaux n'auront aucun choix si ce n'est celui de contracter des alliances défensives avec des civilisations plus sympathiques et dociles contre les puissances les plus "autres" et ambitieuses. Huntington conseille à l'Occident "d'incorporer" les cultures d'Europe de l'Est et d'Amérique latine, de maintenir des "relations coopératives" avec la Russie et le Japon, et de "renforcer les institutions internationales qui reflètent et légitiment les intérêts et les valeurs occidentales. Il ne nous offre aucune raison de penser que son système civilisationnel demeure multipolaire. La vieille Guerre Froide est morte, tonitrue-t-il, puis -- sotto voce -- : Bienvenue à la nouvelle Guerre Froide.

            suite =>
            Dernière modification par Alain, 16 janvier 2010, 23h13.

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            • #7
              En réponse à la vision d'Huntington,

              nous ne soutenons pas que les différences culturelles sont politiquement sans signification. Les similarités ou différences culturelles peuvent devenir des bases pour une massive mobilisation politique, mais seulement comme réaction à des facteurs exogènes que le théoricien n'a pas pris en considération. Ce serait une erreur de rejeter sa vision d'une guerre civilisationnelle totale. Sa réalisation n'est que trop envisageable. Mais il est essentiel de fournir une meilleure explication aux conditions qui pourraient générer un tel violent conflit des civilisations.

              Finalement, la revendication d'Huntington d'avoir produit un nouveau paradigme dépend de sa capacité à défendre la distinction entre idéologie politique -- base de l'ancien ordre mondial -- et les valeurs culturelles, fondation de sa notion de "civilisation". Le théoricien le pose clairement dans une réponse adressée à ces critiques, en maintenant que: "Ce qui compte finalement pour les gens ce n'est pas une idéologie politique ou un intérêt économique. Foi et famille, sang et croyance, c'est ce à quoi les gens s'identifient et ce pour quoi ils se battront et mourront. Et c'est pourquoi la Guerre des Civilisations est en train de remplacer la Guerre Froide comme le phénomène central de la politique mondiale".

              Les cultures distinctes, de son point de vue, créent des différences de valeur qui sont de loin plus difficiles à réconcilier que de simples conflits d'intérêt ou d'idéologie. Huntington semble considérer que de tels engagements culturels sont primordiaux. Il nous ferait croire, par exemple, que même si les chinois décident d'emprunter la voie capitaliste, leurs valeurs "confucéennes" demeureront pour toujours étrangères à celles de l'Occident.

              De plus, en associant "foi" à "famille" et "croyance" à "sang", il laisse entendre que les valeurs culturelles sont inextricablement liées à l'identité ethnique. Enfin, il confond ethnicité et civilisation, en assurant que tous les musulmans, par exemple, font parti d'un vaste groupe ethnique dont les valeurs primordiales les conduit à persécuter inévitablement les hérétiques, à voiler les femmes et à établir des régimes théocratiques.

              Chaque lien dans cette chaîne d'hypothèses soulève des questions qu'Huntington ne semble pas avoir prises en considération. Est-ce que ses huit civilisations sont des groupes ethniques juridiquement constitués, ou sont-elles des formations multi-éthniques, instables, unifiées (ou pas) par coercition d'élites, intérêt économique et idéologie plutôt que par une culture commune? Les "valeurs" dont il discute sont-elles anciennes et résistantes au changement, ou sont-elles plutôt des constructions idéologiques d'un cru relativement récent, des synthèses capables de transformation devant des évènements changeant?

              Il semble qu'Huntington ait mal compris le processus du changement culturel et de la formation des valeurs. Il paraît tout à fait ignorer que, comme l'anthropologue Nigel Harris l'énonce, "la culture n'est pas quelque camisole de force mais plutôt de nombreux costumes, que nous pouvons endosser ou mettre de côté parce qu'ils gênent nos mouvements".

              Il ne reconnaît pas non plus jusqu'à quel point les théorie de l'anthropologie moderne ont miné la distinction entre tradition culturelle et idéologie.

              Comme l'anthropologue K. Avruche le relève dans un article de la Revue d'Etudes Ethniques et Raciales d'octobre 1992: "Traditions" et "Nations" sont des concepts récents et modernes parce qu'ils sont continuellement impliqués dans le processus de construction sociale et culturelle. Elles sont inventées et réinventées, produites et reproduites, selon des contingences complexes, interactives et changeantes, suivant les conditions matérielles et les pratiques historiques.

              Elles sont des produits de lutte et de conflit, d'intérêts matériels et de conceptions concurrentes d'authenticité et d'identité. Elles sont enracinées dans des structures d'inégalité. La patine d'antiquité apparemment requise est liée d'une façon ou d'une autre au besoin d'identité authentique".

              Il est clair que les civilisations selon Huntington sont des constructions idéologiques aussi "récentes et modernes" que les nations, et également enracinées dans des "structures d'inégalité". Les matériaux culturels disponibles pour définir une "civilisation" politisée sont si riches, variés, et contradictoires que toute définition politique contemporaine reflète choix faits par des dirigeants modernes en réponse à des problèmes modernes.

              Par exemple, la tendance à caractériser la culture indienne comme exclusivement Hindou ne réussit pas à donner un reflet réel des problèmes actuels des castes supérieures assiégées par les revendications des castes inférieures.

              Similairement, l'Islamisme moderne est pour beaucoup un produit du XXe siècle. Sans doute, certains des matériaux bruts utilisés dans sa construction remonte au temps du Prophète. D'autres matériaux, depuis les revenus du pétrole et les communications électroniques jusqu'aux théories économiques de l'Ayatollah Khomeini, sont totalement nouveaux.

              Mais même les plus vieilles traditions ne représentent pas des valeurs impérissables autant que des attitudes et des coutumes qui sont elles-mêmes les produits d'un changement antérieur. La survie des ces coutumes reflète leur plasticité , leur capacité à participer dans la création d'une culture nouvelle. Et les coutumes qui sont choisies pour la continuation ou le renouveau par les islamistes du XXe siècle dépend de leur conception de "pertinence", non des diktats d'une tradition immuable. La femme musulmane voilée qui regarde la télévision à la maison, fait les courses en public, assiste à des rassemblements politiques ou travaille dans un bureau, n'est ni la femme "émancipée" de l'Occident ni la femme mise à l'écart de la tradition islamique. En effet, jusqu'où les rôles et les attitudes sexuels anciens peuvent être ou devraient être préservés, est une question débattue, même dans les cercles fondamentalistes.

              Les matières premières de la tradition peuvent être utilisées pour créer une gamme extrêmement large de "civilisations" alternatives. Ce qui conditionne principalement la procédure créatrice n'est pas la tradition autant que les environnements locaux et mondiaux dans lesquels la culture se développe. Mais Huntington nous ferait croire que la gamme des choix civilisationnels est strictement limité par des "valeurs" traditionnelles données.

              L'effet de ce déterminisme culturel est de raviver cette tension particulière de la pensée occidentale qui a vu la Guerre Froide elle-même comme une Kulturkampf, un choc de civilisations.

              Dans l'anticommunisme américain, il y avait toujours une scission, traversant et coupant la division séparant les conservateurs des libéraux, entre les interprétations rationnelle / volontariste et irrationnelles/ déterministes du comportement communiste. Cette dernière interprétation mit l'accent sur la force du déterminisme culturel -- ce "quelque chose" ineffable et immuable dans la culture Russe, Chinoise, ou Vietnamienne qui rendait ces peuples enclins à un totalitarisme agressif.

              L'implication logique, à l'époque et encore maintenant, n'était pas simplement que l'autre était différent, mais qu'il était inférieur.

              Si chaque civilisation est le produit (et le prisonnier) de ses traditions uniques, il n'existe pas de base pour un jugement ou une action supra-culturelle. Presque à la fin de son essai, Huntington peint "un monde de différentes civilisations, chacune d'elles devant apprendre à coexister avec les autres". Mais son propre relativisme extrême mine ce pieux espoir. Si "l'Occident contre le reste du monde" décrit véritablement un avenir de conflit international, quel autre choix nous reste-t-il , si ce n'est de défendre "Nos" valeurs héritées contre les "Leurs" ?

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