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La révolte des habitants du village du cancer en Chine

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  • La révolte des habitants du village du cancer en Chine

    Ils sont des centaines à s'être rassemblés, en cet après-midi de février, dans le parc qui fait face à la mairie de Yongxing, un village de la banlieue nord de Canton ( Chine).

    A l'intérieur du bâtiment, une réunion se tient entre des officiels et cinq représentants des villageois, autour du problème qui obnubile la population : la présence sur leurs terres d'un incinérateur géré par Veolia, qu'ils accusent de les empoisonner et dont la capacité de traitement des déchets doit doubler d'ici peu.

    De vieilles dames distribuent des tracts. "Laissez les experts s'exprimer ! Un fait est un fait !", lit-on sur l'un d'entre eux, qu'une fillette brandit à bout de bras. Des jeunes, masques chirurgicaux sur le visage, tentent d'enfoncer un cordon policier. Les manifestants sont furieux contre l'usine aux deux cheminées effilées dont ils ont "bombé" la façade, au pied de la montagne, à quelques centaines de mètres du village de Likeng.

    "On habite tout près. Ça sent tellement fort qu'on ne peut pas ouvrir les fenêtres. Les enfants sont malades", dit en pleurant une mère de famille. Après l'explosion, début janvier, d'une conduite d'eau chaude qui a fait cinq blessés, l'incinérateur a été arrêté. Pourtant - et aucun des habitants interrogés ne semble le savoir -, c'est un projet modèle : une usine de valorisation énergétique des déchets, dont l'opération et la maintenance ont été confiées à Veolia Propreté en 2005, pour une durée de dix ans, avec un contrat à la clé de 45 millions d'euros.

    Les mécontents en veulent, eux, au groupe Guangri, le promoteur du projet, une entreprise municipale de Canton devenue l'un des géants locaux de la propreté. Veolia, à Paris comme à Pékin, n'a pas souhaité répondre à nos questions, au prétexte que seules les autorités de Canton étaient habilitées à le faire. Celles-ci ont fait savoir, via un porte-parole, que le sujet était "trop sensible".

    Yongxing a, en matière de pollution, un lourd passé : l'incinérateur a remplacé une décharge contre laquelle les habitants se battaient depuis de longues années. Certains ont fait de la prison pour leur combat. Avec leur statut rural, qui leur interdit de vendre leurs terres, ils se disent aujourd'hui prisonniers de leur "village du cancer" : "On n'a pas touché un centime quand l'incinérateur a été installé. On nous a dit que c'était une centrale électrique ! Vendre nos maisons ? Elles ne valent rien !", poursuit la mère de famille. Quant aux travaux d'extension qui ne devaient se faire qu'avec l'accord des habitants, ils ont commencé en juin 2009, sous la protection d'une centaine de "gros bras". En réalité, le groupe Guangri a signé depuis belle lurette un contrat avec le Danois Volund, pour fabriquer sous licence le matériel de la phase 2 de l'incinérateur de Likeng, qui traitera 2 000 tonnes de déchets par jour.

    Malgré le silence des médias, le malheur des habitants de Likeng, qui multiplient les pétitions depuis plusieurs années à Canton comme à Pékin, a nourri des protestations en chaîne autour de plusieurs projets d'incinérateurs à Canton. Riche mais surpeuplée et surpolluée, la région se dote en urgence de nouvelles capacités, en faisant souvent appel aux spécialistes étrangers du secteur, comme Veolia.

    A une cinquantaine de kilomètres de Likeng, au bord de la rivière des Perles, dans l'arrondissement de Panyu, les habitants de Riverside Garden et Hailong Bay, grands ensembles résidentiels, ont commencé à s'intéresser au sort des paysans de Yongxing quand ils ont découvert, en septembre 2009, qu'un incinérateur devait être construit à 3 kilomètres de chez eux. "Ils ont commencé à se concerter sur les forums en ligne internes des résidences", raconte Wen Yunchao, alias Bei Feng, un blogueur-activiste qui a relayé le mouvement de fronde anti-incinérateurs de Canton. "On trouve à Panyu des classes moyennes, dont une grande proportion de gens des médias, mais aussi des Hongkongais", dit-il. Une équipe de journalistes résidents de Panyu est allée discrètement à Likeng pour dresser une liste des personnes atteintes d'un cancer : ils en ont dénombré 62 pour la période 2005-2009 (dont 42 décès). Selon eux, plus de 70 % des cas seraient d'origine respiratoire. Ces données n'ont pas la prétention d'être scientifiques - aucune comparaison n'est donnée, et l'incidence de la pollution sur les cancers est discutable sur un temps si court -, mais la liste, qui circule sur Internet, échauffe les esprits.

    Le 23 novembre 2009, les "bobos" de Panyu sont descendus dans la rue : près de 200 personnes, hommes, femmes, enfants, ont manifesté dans le centre-ville. Une trentaine d'habitants de Likeng s'étaient joints au cortège. Un mois plus tard, les autorités de Panyu ont annoncé la suspension du projet jusqu'à 2012 pour "consultation". Mais la colère continue d'enfler. Fin janvier, une autre manifestation a eu lieu à Foshan, ville voisine de Canton, contre le projet d'un autre incinérateur industriel...

    Tous ces contestataires mettent en avant la lutte des habitants de Likeng, mobilisés contre les dangers d'un incinérateur... pourtant considéré comme un modèle.

    "J'ai visité l'incinérateur de Veolia il y a quelques jours", a raconté lundi 1er mars au Monde, Zhao Zhangyuan, un chercheur à la retraite de l'Académie des sciences environnementales, devenu un opposant de l'incinération des déchets. "De mon point de vue, Veolia fait partie des opérateurs mondiaux les plus expérimentés.

    Mais haute technologie ne garantit pas l'application rigoureuse des procédés. Selon le témoignage des habitants locaux et mes propres observations personnelles, il existe réellement un problème de gestion au sein de cet incinérateur. L'odeur est insupportable, surtout dans la nuit. Dans la journée, la fumée des émissions est blanche et noire en fin de journée. On observe des restes non totalement brûlés de sacs plastiques, de bouteilles, des chaussures. Je pense que certaines normes ne sont pas suivies", persiste-t-il.

    Par Brice Pedroletti, le Monde
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