Jonathan Cook
Nous devons combattre l’apartheid israélien où qu’il soit - à Jaffa et à Jérusalem, à Nazareth et à Naplouse, à Beersheva et à Bil’in. C’est le seul combat qui peut apporter la justice aux Palestiniens.
Discours prononcé à la 5è Conférence internationale de Bil’in sur la Résistance populaire palestinienne, le 21 avril à Bil’in, Cisjordanie.
Nous devons combattre l’apartheid israélien, où qu’il soit.
Les apologistes d’Israël sont très préoccupés par l’idée qu’Israël ait fait l’objet d’investigations et de critiques particulières. Je voudrais affirmer cependant que dans la plupart des débats concernant Israël, celui-ci s’en tire à bon compte : que bien des aspects de la politique israélienne seraient considérés comme exceptionnels voire extraordinaires dans tout autre Etat démocratique.
Cela n’est pas surprenant parce ce que, comme je vais l’exposer, Israël n’est ni une démocratie libérale ni même un « Etat juif et démocratique », comme ses partisans le prétendent. C’est un Etat d’apartheid, non seulement dans les territoires occupés de Cisjordanie et de la bande de Gaza, mais à l’intérieur même d’Israël. Aujourd’hui, dans les territoires occupés, la nature d’apartheid du régime israélien est irréfutable - et si peu évoquée par les politiciens ou les médias occidentaux. Mais en Israël, elle est en grande partie voilée et cachée. Mon but aujourd’hui est d’essayer de soulever un peu le voile.
Je dis « un peu », parce qu’il me faudrait beaucoup plus que le temps qui m’est imparti pour traiter correctement et à fond le sujet. Il y a, par exemple, quelque 30 lois qui établissent explicitement une discrimination entre juifs et non-juifs - autre façon de se référer au cinquième de la population israélienne composé de Palestiniens censés profiter de la pleine citoyenneté. Il y a aussi beaucoup d’autres lois et de pratiques administratives israéliennes qui conduisent à une ségrégation ethnique, même si ces discriminations ne sont pas aussi manifestes.
Ainsi, au lieu d’essayer de me plonger dans tous les aspects de l’apartheid israélien, permettez-moi de me concentrer plutôt sur quelques-uns de ses traits révélateurs, des questions sur lesquelles d’ailleurs j’ai écrit récemment.
D’abord, examinons la nature de la citoyenneté israélienne.
Il y a quelques semaines, j’ai rencontré Uzi Ornan, un professeur de 86 ans qui enseigne au Technion, une université de Haïfa, et qui est l’une des rares personnes à posséder une carte d’identité en Israël indiquant comme nationalité, « Hébreu ». Pour la plupart des autres Israéliens, leur carte et leurs documents personnels déclarent qu’ils sont de nationalité « juive » ou « arabe ». Pour les immigrants dont la judéité est reconnue par l’Etat mais qui pose question aux autorités rabbiniques, quelque 130 autres classifications de nationalité sont approuvées, la plupart ayant trait à la religion de la personne, ou à son pays d’origine. La seule nationalité que vous ne trouverez pas sur la liste, c’est « Israélien ». C’est précisément pourquoi le Professeur Oran, et quelques douzaines d’autres, se battent devant les tribunaux : ils veulent être enregistrés en tant qu’ « Israélien ». Il s’agit d’un combat extrêmement important - et pour cette seule raison, ils sont quasiment certains de le perdre. Pourquoi ?
Ce qui est en jeu, c’est beaucoup plus que l’étiquette ethnique ou nationale. Israël exclut une nationalité d’ « Israélien » afin que, dans l’accomplissement de son autodétermination en tant qu’ « Etat juif », il soit en mesure d’attribuer des droits de citoyenneté à la « nation » collective des juifs du monde, supérieurs à ceux de la masse des citoyens actuellement sur son territoire, à savoir de nombreux Palestiniens. Dans la pratique, il agit en créant deux classes principales de citoyenneté : une citoyenneté juive pour les « nationaux juifs » et une citoyenneté arabe pour les « nationaux arabes ». Les deux nationalités ont été en réalité inventées par Israël et n’ont aucune signification en dehors d’Israël.
Cette différenciation dans la citoyenneté est inscrite dans la législation israélienne : la Loi du Retour, pour les juifs, rend pratiquement automatique l’immigration pour tout juif dans le monde qui le désire ; et la Loi sur la Citoyenneté, pour les non-juifs, détermine sur une base entièrement séparée les droits de la minorité palestinienne du pays à la citoyenneté. Plus important encore, cette dernière loi abolit le droit des familles de citoyens palestinien, qui ont été expulsées par la force en 1948, de revenir dans leurs maisons et sur leurs terres. Autrement dit, il existe deux systèmes juridiques de citoyenneté en Israël qui différencient les droits des citoyens selon qu’ils sont juifs ou Palestiniens.
Cela, en soit, répond à la définition de l’apartheid, telle que définie par les Nations-Unies en 1973 : « Toutes les mesures, législatives ou autres, destinées à empêcher un groupe racial ou plusieurs groupes raciaux de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays et la création délibérée de conditions faisant obstacle au plein développement du groupe ou des groupes considérés. » Et la clause prévoit les droits suivants : « Le droit de quitter son pays et d’y revenir, le droit à une nationalité, le droit de circuler librement et de choisir sa résidence, le droit à la liberté d’opinion et d’expression. »
Une telle séparation dans la citoyenneté est absolument essentielle au maintien d’Israël en tant qu’Etat juif. Si tous les citoyens devaient être définis uniformément en tant qu’Israéliens, il n’y aurait qu’une seule loi relative à la citoyenneté et des conséquences dramatiques en découleraient. La plus importante serait que la Loi du Retour, soit cesserait de s’appliquer pour les juifs, soit s’appliquerait également pour les citoyens palestiniens, ce qui leur permettraient de faire venir leurs familles exilées en Israël, ce Droit au Retour tant redouté. Dans les deux cas, après une période plus ou moins longue, la majorité juive d’Israël s’estomperait et Israël deviendrait un Etat binational, probablement avec une majorité palestinienne.
Il y aurait beaucoup d’autres conséquences prévisibles à une égalité dans la citoyenneté. Les colons juifs, par exemple, pourraient-ils conserver leur statut privilégié en Cisjordanie quand les Palestiniens à Jénine ou à Hébron auraient des parents en Israël avec les mêmes droits que les juifs ? L’armée israélienne pourrait-elle toujours fonctionner en tant qu’armée d’occupation dans un Etat complètement démocratique ? Et les tribunaux, dans un Etat où les citoyens sont égaux, pourraient-ils continuer à fermer les yeux sur les violences de l’occupation ? Dans tous ces cas, il semble vraiment peu probable que le statu quo puisse être maintenu.
Autrement dit, c’est l’ensemble de l’édifice du régime d’apartheid d’Israël, à l’intérieur d’Israël, qui soutient et fait respecter son régime d’apartheid dans les territoires occupés. Ils tiennent ensemble, ou ils tombent ensemble.
(Voir de l’auteur sur cette question : Pourquoi il n’y a aucun « Israélien » dans l’Etat juif)
Nous devons combattre l’apartheid israélien où qu’il soit - à Jaffa et à Jérusalem, à Nazareth et à Naplouse, à Beersheva et à Bil’in. C’est le seul combat qui peut apporter la justice aux Palestiniens.
Discours prononcé à la 5è Conférence internationale de Bil’in sur la Résistance populaire palestinienne, le 21 avril à Bil’in, Cisjordanie.
Nous devons combattre l’apartheid israélien, où qu’il soit.
Les apologistes d’Israël sont très préoccupés par l’idée qu’Israël ait fait l’objet d’investigations et de critiques particulières. Je voudrais affirmer cependant que dans la plupart des débats concernant Israël, celui-ci s’en tire à bon compte : que bien des aspects de la politique israélienne seraient considérés comme exceptionnels voire extraordinaires dans tout autre Etat démocratique.
Cela n’est pas surprenant parce ce que, comme je vais l’exposer, Israël n’est ni une démocratie libérale ni même un « Etat juif et démocratique », comme ses partisans le prétendent. C’est un Etat d’apartheid, non seulement dans les territoires occupés de Cisjordanie et de la bande de Gaza, mais à l’intérieur même d’Israël. Aujourd’hui, dans les territoires occupés, la nature d’apartheid du régime israélien est irréfutable - et si peu évoquée par les politiciens ou les médias occidentaux. Mais en Israël, elle est en grande partie voilée et cachée. Mon but aujourd’hui est d’essayer de soulever un peu le voile.
Je dis « un peu », parce qu’il me faudrait beaucoup plus que le temps qui m’est imparti pour traiter correctement et à fond le sujet. Il y a, par exemple, quelque 30 lois qui établissent explicitement une discrimination entre juifs et non-juifs - autre façon de se référer au cinquième de la population israélienne composé de Palestiniens censés profiter de la pleine citoyenneté. Il y a aussi beaucoup d’autres lois et de pratiques administratives israéliennes qui conduisent à une ségrégation ethnique, même si ces discriminations ne sont pas aussi manifestes.
Ainsi, au lieu d’essayer de me plonger dans tous les aspects de l’apartheid israélien, permettez-moi de me concentrer plutôt sur quelques-uns de ses traits révélateurs, des questions sur lesquelles d’ailleurs j’ai écrit récemment.
D’abord, examinons la nature de la citoyenneté israélienne.
Il y a quelques semaines, j’ai rencontré Uzi Ornan, un professeur de 86 ans qui enseigne au Technion, une université de Haïfa, et qui est l’une des rares personnes à posséder une carte d’identité en Israël indiquant comme nationalité, « Hébreu ». Pour la plupart des autres Israéliens, leur carte et leurs documents personnels déclarent qu’ils sont de nationalité « juive » ou « arabe ». Pour les immigrants dont la judéité est reconnue par l’Etat mais qui pose question aux autorités rabbiniques, quelque 130 autres classifications de nationalité sont approuvées, la plupart ayant trait à la religion de la personne, ou à son pays d’origine. La seule nationalité que vous ne trouverez pas sur la liste, c’est « Israélien ». C’est précisément pourquoi le Professeur Oran, et quelques douzaines d’autres, se battent devant les tribunaux : ils veulent être enregistrés en tant qu’ « Israélien ». Il s’agit d’un combat extrêmement important - et pour cette seule raison, ils sont quasiment certains de le perdre. Pourquoi ?
Ce qui est en jeu, c’est beaucoup plus que l’étiquette ethnique ou nationale. Israël exclut une nationalité d’ « Israélien » afin que, dans l’accomplissement de son autodétermination en tant qu’ « Etat juif », il soit en mesure d’attribuer des droits de citoyenneté à la « nation » collective des juifs du monde, supérieurs à ceux de la masse des citoyens actuellement sur son territoire, à savoir de nombreux Palestiniens. Dans la pratique, il agit en créant deux classes principales de citoyenneté : une citoyenneté juive pour les « nationaux juifs » et une citoyenneté arabe pour les « nationaux arabes ». Les deux nationalités ont été en réalité inventées par Israël et n’ont aucune signification en dehors d’Israël.
Cette différenciation dans la citoyenneté est inscrite dans la législation israélienne : la Loi du Retour, pour les juifs, rend pratiquement automatique l’immigration pour tout juif dans le monde qui le désire ; et la Loi sur la Citoyenneté, pour les non-juifs, détermine sur une base entièrement séparée les droits de la minorité palestinienne du pays à la citoyenneté. Plus important encore, cette dernière loi abolit le droit des familles de citoyens palestinien, qui ont été expulsées par la force en 1948, de revenir dans leurs maisons et sur leurs terres. Autrement dit, il existe deux systèmes juridiques de citoyenneté en Israël qui différencient les droits des citoyens selon qu’ils sont juifs ou Palestiniens.
Cela, en soit, répond à la définition de l’apartheid, telle que définie par les Nations-Unies en 1973 : « Toutes les mesures, législatives ou autres, destinées à empêcher un groupe racial ou plusieurs groupes raciaux de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays et la création délibérée de conditions faisant obstacle au plein développement du groupe ou des groupes considérés. » Et la clause prévoit les droits suivants : « Le droit de quitter son pays et d’y revenir, le droit à une nationalité, le droit de circuler librement et de choisir sa résidence, le droit à la liberté d’opinion et d’expression. »
Une telle séparation dans la citoyenneté est absolument essentielle au maintien d’Israël en tant qu’Etat juif. Si tous les citoyens devaient être définis uniformément en tant qu’Israéliens, il n’y aurait qu’une seule loi relative à la citoyenneté et des conséquences dramatiques en découleraient. La plus importante serait que la Loi du Retour, soit cesserait de s’appliquer pour les juifs, soit s’appliquerait également pour les citoyens palestiniens, ce qui leur permettraient de faire venir leurs familles exilées en Israël, ce Droit au Retour tant redouté. Dans les deux cas, après une période plus ou moins longue, la majorité juive d’Israël s’estomperait et Israël deviendrait un Etat binational, probablement avec une majorité palestinienne.
Il y aurait beaucoup d’autres conséquences prévisibles à une égalité dans la citoyenneté. Les colons juifs, par exemple, pourraient-ils conserver leur statut privilégié en Cisjordanie quand les Palestiniens à Jénine ou à Hébron auraient des parents en Israël avec les mêmes droits que les juifs ? L’armée israélienne pourrait-elle toujours fonctionner en tant qu’armée d’occupation dans un Etat complètement démocratique ? Et les tribunaux, dans un Etat où les citoyens sont égaux, pourraient-ils continuer à fermer les yeux sur les violences de l’occupation ? Dans tous ces cas, il semble vraiment peu probable que le statu quo puisse être maintenu.
Autrement dit, c’est l’ensemble de l’édifice du régime d’apartheid d’Israël, à l’intérieur d’Israël, qui soutient et fait respecter son régime d’apartheid dans les territoires occupés. Ils tiennent ensemble, ou ils tombent ensemble.
(Voir de l’auteur sur cette question : Pourquoi il n’y a aucun « Israélien » dans l’Etat juif)
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