Actualités : ENTRETIEN AVEC MOHAMED BOUCHAKOUR, ENSEIGNANT, CHERCHEUR HEC - ALGER
Affaire Djezzy, partie d’échecs et fiasco russe
Le Soir d’Algérie : Le groupe Vimpelcom a proposé de céder sa filiale Djezzy au gouvernement algérien pour un montant de 7,8 milliards de dollars. Pensez-vous que ce soit un montant équitable comme l’affirme le patron de ce groupe ?
Mohamed Bouchakour : Il ne s’agit pas ici comme vous le savez d’un simple rachat de sociétés, mais d’une affaire beaucoup plus complexe où l’Algérie a été… disons naïve au départ. Et aujourd’hui, nous sommes en train d’en récolter les conséquences. Il y a trois aspects à prendre en compte dans les choix que l’Algérie peut faire : tout d’abord il faut décider du principe d’acheter ou non, et la réponse n’est pas évidente. Ensuite, si c’est la première option qui est retenue, il faut fixer sa stratégie de négociation en commençant par s’appuyer sur une évaluation neutre. Et là aussi, il n’est pas dit qu’elle aboutisse. Enfin, le troisième aspect à intégrer est que sur le terrain des marchandages économiques, les relations politiques entre les Etats doivent rester totalement à l’écart. C’est l’usage depuis au moins la chute du Mur de Berlin. Dans la guerre économique qui mène le monde, il n’y a ni pays frères, ni pays amis, mais seulement des partenaires, des clients et des fournisseurs en alliance et en compétition. Si l’on a commencé à comprendre ce principe en Algérie, après l’affaire Lafarge, il faut vite apprendre à le mettre à exécution de manière froide et systématique.
Alors faut-il envisager de racheter Djezzy ?
Franchement, sans avoir toutes les informations en main, je pense que non. Si la puissance publique veut récupérer cette société, pour des raisons politiques impérieuses, il lui reste la possibilité de la nationaliser et d’en payer le prix en termes d’indemnisation, quel qu’il soit. Je ne pense pas que les choses aillent jusque-là, sauf s’il y a des aspects qui, pour le moment, échappent au grand public. Mais si c’est l’Etat actionnaire qui cherche à racheter cette société, par holdings interposés, on est sur le terrain d’une transaction économique qui, elle, doit se justifier commercialement et financièrement. Les deux terrains sont totalement différents. Cette seconde option ne me semble pas se justifier quel que soit le niveau de prix sur lequel les parties pourraient s’entendre.
Justement, le groupe Vimpelcom a proposé un prix de 7,8 milliards de dollars qu’il a qualifié d’équitable.
Un petit détour par des notions de base va nous permettre de bien comprendre les termes du débat. Dans les cessions de sociétés, il y a toujours un prix plafond idéal pour le vendeur, au-delà duquel le projet n’est plus rentable pour le candidat acquéreur. Ce premier prix est calculé et proposé par le vendeur à l’acquéreur comme si celui-ci faisait un investissement, ce qui est d’ailleurs le cas. Plus la rentabilité future est élevée, plus le prix demandé est fort, ce dernier étant calculé par une méthode dite la méthode des cash flows actualisés. Mais il y a une seconde façon de déterminer le prix et qui aboutit à fixer un niveau plancher, c’est celle qui convient à l’acquéreur. Elle est basée en gros sur l’évaluation du patrimoine que possède l’entreprise en propriété, diminué de ses dettes, ce que l’on appelle, la méthode de l’actif net corrigé. En dessous de ce prix, le vendeur n’a plus intérêt à céder les actions de son entreprise, mais à la liquider par la vente aux enchères de ses actifs physiques par lots. D’après les informations publiées dans la presse à l’occasion de cette affaire Djezzy, les 7,8 milliards de dollars proposés par le groupe russe correspondent au prix plafond, alors que le prix plancher se situe à environ 3 milliards de dollars.
Est- ce à dire que la bonne affaire pour l’Algérie serait de pouvoir acquérir Djezzy à un prix avoisinant les 3 milliards de dollars ?
Non. La bonne affaire, c’est le groupe russe qui l’a déjà faite, ou plutôt qui a cru la faire en prenant le contrôle de Djezzy sur la base d’un prix vraisemblablement proche du prix plancher.
Qu’est-ce qui vous le fait dire ?
Ce sont là des données confidentielles...
Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais je m’appuie sur une forte présomption qui part du principe que dans ce type d’affaires et à ce niveau d’enjeux, nos vis-à-vis sont hyperrationnels. OTH, sachant que sa présence est devenue indésirable en Algérie, a dû faire ses calculs, consulter ses experts en stratégie et trouver que la meilleure option était de vendre une partie de ses actions à un groupe comme Vimpelcom et réaliser d’une pierre plusieurs coups : (I) se soustraire à la confrontation directe avec les autorités algériennes tout en assurant la présence de ses intérêts dans un marché encore rentable, en termes de rémunération de l’action même si le nombre d’actions en portefeuille est moindre, (II) réaliser une plus-value colossale en vendant au groupe Vimpelcom la majorité des actions de Djezzy dont la valeur initiale était dérisoire, (III) neutraliser les velléités algériennes de prendre le contrôle de la filiale, en leur imposant un autre interlocuteur muni d’une proposition de cession au prix fort, (IV) en cas de rachat de Djezzy par la partie algérienne au prix fort, prendre part au partage de la plus-value raflée par le groupe Vimpelcom. Un véritable coup de maître dans cette partie d’échecs ! Mais il ne faut pas insulter l’intelligence des Russes. Ils sont également très rationnels. Le deal avec les Egyptiens ne pouvait être accepté par eux que dans la mesure où OTH accepte de baisser ses prétentions jusqu’aux alentours du prix plancher, ce que l’opérateur égyptien n’a pas eu trop de mal à accepter, compte tenu de la valeur initiale dérisoire de ses actions et des multiples points marqués que je viens de souligner à l’instant.
Donc, le rachat de Djezzy n’est même pas possible sur la base du prix plancher que vous estimez à 3 milliards de dollars.
Affaire Djezzy, partie d’échecs et fiasco russe
Le Soir d’Algérie : Le groupe Vimpelcom a proposé de céder sa filiale Djezzy au gouvernement algérien pour un montant de 7,8 milliards de dollars. Pensez-vous que ce soit un montant équitable comme l’affirme le patron de ce groupe ?
Mohamed Bouchakour : Il ne s’agit pas ici comme vous le savez d’un simple rachat de sociétés, mais d’une affaire beaucoup plus complexe où l’Algérie a été… disons naïve au départ. Et aujourd’hui, nous sommes en train d’en récolter les conséquences. Il y a trois aspects à prendre en compte dans les choix que l’Algérie peut faire : tout d’abord il faut décider du principe d’acheter ou non, et la réponse n’est pas évidente. Ensuite, si c’est la première option qui est retenue, il faut fixer sa stratégie de négociation en commençant par s’appuyer sur une évaluation neutre. Et là aussi, il n’est pas dit qu’elle aboutisse. Enfin, le troisième aspect à intégrer est que sur le terrain des marchandages économiques, les relations politiques entre les Etats doivent rester totalement à l’écart. C’est l’usage depuis au moins la chute du Mur de Berlin. Dans la guerre économique qui mène le monde, il n’y a ni pays frères, ni pays amis, mais seulement des partenaires, des clients et des fournisseurs en alliance et en compétition. Si l’on a commencé à comprendre ce principe en Algérie, après l’affaire Lafarge, il faut vite apprendre à le mettre à exécution de manière froide et systématique.
Alors faut-il envisager de racheter Djezzy ?
Franchement, sans avoir toutes les informations en main, je pense que non. Si la puissance publique veut récupérer cette société, pour des raisons politiques impérieuses, il lui reste la possibilité de la nationaliser et d’en payer le prix en termes d’indemnisation, quel qu’il soit. Je ne pense pas que les choses aillent jusque-là, sauf s’il y a des aspects qui, pour le moment, échappent au grand public. Mais si c’est l’Etat actionnaire qui cherche à racheter cette société, par holdings interposés, on est sur le terrain d’une transaction économique qui, elle, doit se justifier commercialement et financièrement. Les deux terrains sont totalement différents. Cette seconde option ne me semble pas se justifier quel que soit le niveau de prix sur lequel les parties pourraient s’entendre.
Justement, le groupe Vimpelcom a proposé un prix de 7,8 milliards de dollars qu’il a qualifié d’équitable.
Un petit détour par des notions de base va nous permettre de bien comprendre les termes du débat. Dans les cessions de sociétés, il y a toujours un prix plafond idéal pour le vendeur, au-delà duquel le projet n’est plus rentable pour le candidat acquéreur. Ce premier prix est calculé et proposé par le vendeur à l’acquéreur comme si celui-ci faisait un investissement, ce qui est d’ailleurs le cas. Plus la rentabilité future est élevée, plus le prix demandé est fort, ce dernier étant calculé par une méthode dite la méthode des cash flows actualisés. Mais il y a une seconde façon de déterminer le prix et qui aboutit à fixer un niveau plancher, c’est celle qui convient à l’acquéreur. Elle est basée en gros sur l’évaluation du patrimoine que possède l’entreprise en propriété, diminué de ses dettes, ce que l’on appelle, la méthode de l’actif net corrigé. En dessous de ce prix, le vendeur n’a plus intérêt à céder les actions de son entreprise, mais à la liquider par la vente aux enchères de ses actifs physiques par lots. D’après les informations publiées dans la presse à l’occasion de cette affaire Djezzy, les 7,8 milliards de dollars proposés par le groupe russe correspondent au prix plafond, alors que le prix plancher se situe à environ 3 milliards de dollars.
Est- ce à dire que la bonne affaire pour l’Algérie serait de pouvoir acquérir Djezzy à un prix avoisinant les 3 milliards de dollars ?
Non. La bonne affaire, c’est le groupe russe qui l’a déjà faite, ou plutôt qui a cru la faire en prenant le contrôle de Djezzy sur la base d’un prix vraisemblablement proche du prix plancher.
Qu’est-ce qui vous le fait dire ?
Ce sont là des données confidentielles...
Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais je m’appuie sur une forte présomption qui part du principe que dans ce type d’affaires et à ce niveau d’enjeux, nos vis-à-vis sont hyperrationnels. OTH, sachant que sa présence est devenue indésirable en Algérie, a dû faire ses calculs, consulter ses experts en stratégie et trouver que la meilleure option était de vendre une partie de ses actions à un groupe comme Vimpelcom et réaliser d’une pierre plusieurs coups : (I) se soustraire à la confrontation directe avec les autorités algériennes tout en assurant la présence de ses intérêts dans un marché encore rentable, en termes de rémunération de l’action même si le nombre d’actions en portefeuille est moindre, (II) réaliser une plus-value colossale en vendant au groupe Vimpelcom la majorité des actions de Djezzy dont la valeur initiale était dérisoire, (III) neutraliser les velléités algériennes de prendre le contrôle de la filiale, en leur imposant un autre interlocuteur muni d’une proposition de cession au prix fort, (IV) en cas de rachat de Djezzy par la partie algérienne au prix fort, prendre part au partage de la plus-value raflée par le groupe Vimpelcom. Un véritable coup de maître dans cette partie d’échecs ! Mais il ne faut pas insulter l’intelligence des Russes. Ils sont également très rationnels. Le deal avec les Egyptiens ne pouvait être accepté par eux que dans la mesure où OTH accepte de baisser ses prétentions jusqu’aux alentours du prix plancher, ce que l’opérateur égyptien n’a pas eu trop de mal à accepter, compte tenu de la valeur initiale dérisoire de ses actions et des multiples points marqués que je viens de souligner à l’instant.
Donc, le rachat de Djezzy n’est même pas possible sur la base du prix plancher que vous estimez à 3 milliards de dollars.
Commentaire