ELECTIONS – Victoire en demi-teinte pour Erdoğan et l’AKP
Le Parti de la justice et du développement (AKP) a remporté ce dimanche, pour la troisième fois consécutive, les élections législatives en Turquie. Son score majoritaire (49,9%) l’autorise à gouverner seul. Recep Tayyip Erdoğan reste donc Premier ministre, un fauteuil qu’il occupe depuis mars 2003
Le vainqueur, Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre pour la troisième fois d'affilée (archives AA)
Ce n’était pas tant le nom que le score du vainqueur que tout le monde attendait. Avec 49,9% (après dépouillement de 99,7% des suffrages), l’AKP fait mieux qu’aux législatives de juillet 2007 (46,66%), et mieux qu’à celles de 2002 (34,43%). À première vue, une victoire historique pour l’AKP, puisqu’aucun parti n’avait obtenu près de 50% des suffrages exprimés depuis les législatives de 1965. En réalité, une fois les votes répartis, l’AKP ne s’arroge que 325 députés sur 550, soit 16 de moins que dans l’Assemblée sortante (341).
Un score décevant pour Recep Tayyip Erdoğan
Le leader de l'AKP avait demandé aux électeurs une majorité renforcée des deux tiers (367 députés), indispensable pour réviser la Constitution sans référendum et sans l’appui des autres partis. À défaut, il espérait plus de 330 députés, seuil minimum pour soumettre à référendum tout amendement de la loi fondamentale. Derrière ce paradoxe : pourcentage en hausse / représentation en baisse, trois facteurs principaux se dégagent : la percée du CHP et du BDP, le maintien du MHP
Nouvelle Constitution : l’AKP n’auva devoir compter avec l'opposition
Juste derrière l’AKP, le Parti républicain du peuple (CHP) reste le premier parti d’opposition avec 26% des suffrages. Kemal Kılıçdaroğlu, son leader depuis un an, améliore de plus de cinq points le score de sa formation aux dernières législatives (20,85%). Il pourra désormais compter sur 135 députés, 23 de plus qu’en 2007 (112). Ce résultat est néanmoins décevant pour Kemal Kılıçdaroğlu, qui comptait sur un score proche de 30% pour assoir son autorité à la tête du CHP.
Autre score très attendu, celui du Parti d’action nationaliste. Le MHP "sauve les meubles", après une campagne perturbée par un scandale de cassettes compromettantes et la démission de dix de ses cadres. Avec 13 % des voix (contre 14,3% en 2007), il se maintient au Parlement. Le parti perd cependant des députés (54 contre 71 en 2007) et la défaite est lourde pour son leader, Devlet Bahçeli, qui cède la majorité dans son fief d’Osmaniye au profit de l’AKP.
Aucun des 15 autres partis en lice n’obtient plus de 10 % des suffrages au niveau national, condition sine qua non pour être représenté. Les sièges restants seront occupés par des candidats indépendants, soutenus par le parti pro-kurde BDP (Parti pour la paix et la démocratie). Avec 5,9% des voix, ce dernier envoie 36 députés à Ankara, 16 de plus que dans l’Assemblée sortante. Ses représentants pourront former un groupe parlementaire, comme la Constitution les y autorise.
Pour rédiger la Constitution civile, très largement souhaitée par la population, qu’il promet depuis 2007, l’AKP va devoir coopérer avec au moins l’un de ses adversaires au Parlement. Cela change beaucoup la donne pour Recep Tayyip Erdoğan et son ambition, plusieurs fois signalée, d’instaurer en Turquie un système présidentiel dont il se verrait bien… le président.
Erdoğan : "Nous ne fermerons pas notre porte"
Après l’annonce des résultats, le Premier ministre a d’ailleurs rappelé que son parti n’avait pas été élu "seulement pour gouverner " mais qu’il avait "reçu la mission d’écrire une nouvelle Constitution". Recep Tayyip Erdoğan, dans un discours unificateur, a promis de consulter ("nous ne fermerons pas notre porte ") et de chercher un compromis avec " l’opposition au Parlement, les partis en dehors du Parlement, la société civile, les médias, les universitaires ". Il s’est adressé "aux 74 millions de citoyens" de Turquie, y compris à ceux de l’étranger, « de Paris à Toronto ». À noter également une allusion à la politique étrangère, lorsqu’il a salué ses frères à « Bagdad, Damas, Beyrouth, Tunis, au Caire, à Bakou… »
De son côté, le leader du CHP a livré un discours qu’on pourrait résumer ainsi : " Nous allons bien, et nous irons de mieux en mieux." Kemal Kılıçdaroğlu a souligné que son parti était le seul à avoir augmenté son nombre de sièges à l’issue de cette campagne (si l’on ne tient pas compte du BDP, dont les candidats concouraient en " indépendants "). Après avoir félicité son rival, il a prévenu l’AKP que le CHP d’aujourd’hui était " plus fort, plus dynamique " que celui d’hier. " Ne nous démoralisons pas ", a-t-il demandé à ses partisans. " Notre objectif : le pouvoir dans quatre ans ".
La carte des résultats du scrutin avec: AKP (orange), CHP (rouge), MHP (marron), BDP (bleu)
Quelques résultats à noter :
• Aux dernières élections, l’AKP avait réalisé de bons scores dans les départements du sud-est. En 2005, Recep Tayyip Erdoğan avait officiellement reconnu " le problème kurde ". Hier, l’AKP a perdu des voix dans ces départements au profit du BDP. Il paye sans doute l’enlisement de son "ouverture kurde" (lancée en 2009) et sa campagne très nationaliste pour récupérer des voix au MHP. La résolution du problème kurde est l’autre enjeu majeur de l’après-scrutin.
• L’AKP maintient son avance et améliore même son score de 2007 dans les deux plus grandes villes du pays, Istanbul (49,5%) et Ankara (48,8%). Le CHP aussi y améliore ses scores. Il obtient 31,3% à Istanbul (contre 27% en 2007) et 32% à Ankara (28% en 2007). Il reste majoritaire à Izmir (43,7%, contre 36,9% pour l’AKP) et confirme son emprise sur la côte égéenne, raflant même la majorité dans la province de Aydın (où l’AKP était majoritaire en 2007).
• À Istanbul, seulement sept districts sur 39 ont voté en majorité CHP : Adalar, Bakırköy, Beşiktaş, Çatalca, Kadıköy, Sarıyer, Şişli.
• Leyla Zana, femme politique kurde, est élue à Diyarbakır. Elle avait été interdite de politique et emprisonnée en 1994 pour avoir prêté serment en kurde après son élection au Parlement.
• L’ancien footballeur international Hakan Şükür est élu à Istanbul sur une liste de l’AKP.
• Deux candidats actuellement emprisonnés dans le cadre de l’affaire Ergenekon, le journaliste Mustafa Balbay et Mehmet Haberal, ancien recteur d’université, ont été élus sur les listes du CHP. Engin Alan, candidat du MHP détenu dans le cadre du procès Balyoz, obtient lui aussi un siège. Ils vont donc être libérés.
• Erol Dora, un chrétien syriaque soutenu par le BDP, a été élu à Mardin. Il sera le seul député chrétien du nouveau Parlement.
Anne Andlauer (le petitjournal.com Istanbul), lundi 13 juin 2011
Le Parti de la justice et du développement (AKP) a remporté ce dimanche, pour la troisième fois consécutive, les élections législatives en Turquie. Son score majoritaire (49,9%) l’autorise à gouverner seul. Recep Tayyip Erdoğan reste donc Premier ministre, un fauteuil qu’il occupe depuis mars 2003
Le vainqueur, Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre pour la troisième fois d'affilée (archives AA)
Ce n’était pas tant le nom que le score du vainqueur que tout le monde attendait. Avec 49,9% (après dépouillement de 99,7% des suffrages), l’AKP fait mieux qu’aux législatives de juillet 2007 (46,66%), et mieux qu’à celles de 2002 (34,43%). À première vue, une victoire historique pour l’AKP, puisqu’aucun parti n’avait obtenu près de 50% des suffrages exprimés depuis les législatives de 1965. En réalité, une fois les votes répartis, l’AKP ne s’arroge que 325 députés sur 550, soit 16 de moins que dans l’Assemblée sortante (341).
Un score décevant pour Recep Tayyip Erdoğan
Le leader de l'AKP avait demandé aux électeurs une majorité renforcée des deux tiers (367 députés), indispensable pour réviser la Constitution sans référendum et sans l’appui des autres partis. À défaut, il espérait plus de 330 députés, seuil minimum pour soumettre à référendum tout amendement de la loi fondamentale. Derrière ce paradoxe : pourcentage en hausse / représentation en baisse, trois facteurs principaux se dégagent : la percée du CHP et du BDP, le maintien du MHP
Nouvelle Constitution : l’AKP n’auva devoir compter avec l'opposition
Juste derrière l’AKP, le Parti républicain du peuple (CHP) reste le premier parti d’opposition avec 26% des suffrages. Kemal Kılıçdaroğlu, son leader depuis un an, améliore de plus de cinq points le score de sa formation aux dernières législatives (20,85%). Il pourra désormais compter sur 135 députés, 23 de plus qu’en 2007 (112). Ce résultat est néanmoins décevant pour Kemal Kılıçdaroğlu, qui comptait sur un score proche de 30% pour assoir son autorité à la tête du CHP.
Autre score très attendu, celui du Parti d’action nationaliste. Le MHP "sauve les meubles", après une campagne perturbée par un scandale de cassettes compromettantes et la démission de dix de ses cadres. Avec 13 % des voix (contre 14,3% en 2007), il se maintient au Parlement. Le parti perd cependant des députés (54 contre 71 en 2007) et la défaite est lourde pour son leader, Devlet Bahçeli, qui cède la majorité dans son fief d’Osmaniye au profit de l’AKP.
Aucun des 15 autres partis en lice n’obtient plus de 10 % des suffrages au niveau national, condition sine qua non pour être représenté. Les sièges restants seront occupés par des candidats indépendants, soutenus par le parti pro-kurde BDP (Parti pour la paix et la démocratie). Avec 5,9% des voix, ce dernier envoie 36 députés à Ankara, 16 de plus que dans l’Assemblée sortante. Ses représentants pourront former un groupe parlementaire, comme la Constitution les y autorise.
Pour rédiger la Constitution civile, très largement souhaitée par la population, qu’il promet depuis 2007, l’AKP va devoir coopérer avec au moins l’un de ses adversaires au Parlement. Cela change beaucoup la donne pour Recep Tayyip Erdoğan et son ambition, plusieurs fois signalée, d’instaurer en Turquie un système présidentiel dont il se verrait bien… le président.
Erdoğan : "Nous ne fermerons pas notre porte"
Après l’annonce des résultats, le Premier ministre a d’ailleurs rappelé que son parti n’avait pas été élu "seulement pour gouverner " mais qu’il avait "reçu la mission d’écrire une nouvelle Constitution". Recep Tayyip Erdoğan, dans un discours unificateur, a promis de consulter ("nous ne fermerons pas notre porte ") et de chercher un compromis avec " l’opposition au Parlement, les partis en dehors du Parlement, la société civile, les médias, les universitaires ". Il s’est adressé "aux 74 millions de citoyens" de Turquie, y compris à ceux de l’étranger, « de Paris à Toronto ». À noter également une allusion à la politique étrangère, lorsqu’il a salué ses frères à « Bagdad, Damas, Beyrouth, Tunis, au Caire, à Bakou… »
De son côté, le leader du CHP a livré un discours qu’on pourrait résumer ainsi : " Nous allons bien, et nous irons de mieux en mieux." Kemal Kılıçdaroğlu a souligné que son parti était le seul à avoir augmenté son nombre de sièges à l’issue de cette campagne (si l’on ne tient pas compte du BDP, dont les candidats concouraient en " indépendants "). Après avoir félicité son rival, il a prévenu l’AKP que le CHP d’aujourd’hui était " plus fort, plus dynamique " que celui d’hier. " Ne nous démoralisons pas ", a-t-il demandé à ses partisans. " Notre objectif : le pouvoir dans quatre ans ".
La carte des résultats du scrutin avec: AKP (orange), CHP (rouge), MHP (marron), BDP (bleu)
Quelques résultats à noter :
• Aux dernières élections, l’AKP avait réalisé de bons scores dans les départements du sud-est. En 2005, Recep Tayyip Erdoğan avait officiellement reconnu " le problème kurde ". Hier, l’AKP a perdu des voix dans ces départements au profit du BDP. Il paye sans doute l’enlisement de son "ouverture kurde" (lancée en 2009) et sa campagne très nationaliste pour récupérer des voix au MHP. La résolution du problème kurde est l’autre enjeu majeur de l’après-scrutin.
• L’AKP maintient son avance et améliore même son score de 2007 dans les deux plus grandes villes du pays, Istanbul (49,5%) et Ankara (48,8%). Le CHP aussi y améliore ses scores. Il obtient 31,3% à Istanbul (contre 27% en 2007) et 32% à Ankara (28% en 2007). Il reste majoritaire à Izmir (43,7%, contre 36,9% pour l’AKP) et confirme son emprise sur la côte égéenne, raflant même la majorité dans la province de Aydın (où l’AKP était majoritaire en 2007).
• À Istanbul, seulement sept districts sur 39 ont voté en majorité CHP : Adalar, Bakırköy, Beşiktaş, Çatalca, Kadıköy, Sarıyer, Şişli.
• Leyla Zana, femme politique kurde, est élue à Diyarbakır. Elle avait été interdite de politique et emprisonnée en 1994 pour avoir prêté serment en kurde après son élection au Parlement.
• L’ancien footballeur international Hakan Şükür est élu à Istanbul sur une liste de l’AKP.
• Deux candidats actuellement emprisonnés dans le cadre de l’affaire Ergenekon, le journaliste Mustafa Balbay et Mehmet Haberal, ancien recteur d’université, ont été élus sur les listes du CHP. Engin Alan, candidat du MHP détenu dans le cadre du procès Balyoz, obtient lui aussi un siège. Ils vont donc être libérés.
• Erol Dora, un chrétien syriaque soutenu par le BDP, a été élu à Mardin. Il sera le seul député chrétien du nouveau Parlement.
Anne Andlauer (le petitjournal.com Istanbul), lundi 13 juin 2011
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