L’Arabie Saoudite est certes dominée par un clergé rigoriste ; mais les gouvernements ont su faire évoluer le régime, estime un think tank américain.
Le plus frappant, dans ce qu’a vécu le royaume au fil de ces semaines de crise, c’est l’absence de véritable rejet du gouvernement. Cela pourrait ne pas durer. Les jeunes et les intellectuels laïcs sont de plus en plus nombreux à envoyer lettres et pétitions, et à réclamer davantage de réformes. Certains appellent à des “jours de colère” – reproduisant des appels du même type lancés en Tunisie et en Libye. En ces temps de troubles, personne ne peut garantir la stabilité de l’Arabie Saoudite.
Pourtant, il y a des raisons de penser que l’Arabie Saoudite va continuer sur la voie de la réforme et du changement pacifique. Une petite minorité bruyante ne saurait représenter un pays. Cela s’explique en partie par l’histoire du royaume. Depuis l’époque de Nasser [à la tête de l’Egypte de 1954 à 1970], chaque crise au Moyen-Orient donne lieu à des spéculations sur l’Arabie Saoudite et l’avenir de la monarchie. Pourtant, après un demi-siècle de spéculations, l’Arabie Saoudite n’a pas changé de régime. Cette stabilité est due au fait qu’à chaque vague de changement le gouvernement a réagi en appliquant les réformes nécessaires pour avoir le soutien du peuple.
Le souverain actuel, Abdallah ben Abdul Aziz, a mis en œuvre une politique de réformes sociales, économiques et de l’enseignement. Dans le même temps, il a dû tenir compte du fait que le clergé saoudien est profondément engagé dans un islam puritain et qu’il reste hostile à tout changement social qui pourrait entrer en conflit avec les pratiques traditionnelles. Il a également tenu compte du fait que la société saoudienne s’appuie sur des valeurs très différentes de celles de l’Occident.
Lorsque a commencé cette nouvelle vague de crises, le roi Abdallah n’a pas réagi en imposant un train de mesures sécuritaires. En revanche, son gouvernement a pris une série de mesures sociales :
− 7,55 milliards d’euros pour financer des crédits au logement ;
− 5,6 milliards d’euros pour augmenter le capital de la Banque de crédit saoudienne ;
− 189,5 millions d’euros pour permettre à la sécurité sociale d’augmenter le nombre de personnes couvertes dans une même famille ;
− 227,9 millions d’euros pour le développement des services sociaux ; − 664,7 millions d’euros pour aider les néces*siteux à entreprendre des travaux dans leurs *logements et à payer les charges ;
− 90,4 millions d’euros pour soutenir les programmes destinés aux étudiants démunis ;
− 2,7 milliards d’euros pour financer l’Autorité générale du logement ;
− une augmentation de 15 % des salaires des *fonctionnaires.
Ces mesures, qui représentent 25,6 milliards d’euros de dépenses, ont manifestement pour but de désamorcer l’agitation populaire. Ce ne sont pas des décisions hâtives, mais la suite logique des efforts du gouvernement dans des secteurs prioritaires, secteurs qui touchent à la justice sociale et qui sont précisément à l’origine des manifestations en Egypte et en Tunisie. L’Arabie Saoudite est indispensable aux intérêts stratégiques américains et au reste du monde. Les dernières projections du ministère de l’Energie américain n’envisagent aucune réduction d’ici à 2025 du niveau de dépendance des Etats-Unis vis-à-vis des importations de pétrole.
Ce pays est tout aussi indispensable à la stabilité de la région qu’à l’économie mondiale. Ryad joue un rôle de contrepoids essentiel face à un Iran radical et agressif ; il est à l’origine du plan de paix de la Ligue arabe avec Israël ; et il est devenu un partenaire vital dans la guerre contre le terrorisme. La stratégie américaine au Moyen-Orient repose entièrement sur la présence d’un régime bienveillant en Arabie Saoudite.
Nul ne peut nier que les dirigeants saoudiens doivent relever plusieurs défis. Il leur faut essayer de conserver le soutien populaire tout en trouvant un chemin entre modernisation, progrès social et respect des aspirations d’une population très conservatrice.
La monarchie, les élites et les technocrates œuvrent au sein d’un système politique et culturel difficile à comprendre pour des Occidentaux. La monarchie saoudienne n’a pas grand-chose à voir avec nos démocraties. Son expérience des assemblées législatives aux membres triés sur le volet, les Majlis, et de la représentation locale est encore très timide. Toutefois, elle a fait preuve de beaucoup plus d’empathie avec son peuple que de nombreux régimes du Moyen-Orient qui se veulent républicains.
Même si l’attachement populaire à un islam conservateur a évolué, la monarchie doit avancer prudemment : elle doit constamment prouver sa légitimité religieuse et son dévouement à l’islam. Le roi est le “gardien des deux saintes mosquées”, un titre qui, loin d’être honorifique, lui confère une partie de sa légitimité. Cela dit, le conservatisme religieux n’est pas l’islamisme : il joue aussi un rôle stabilisateur et rend moins probables les vagues soudaines de revendications populaires.
Le royaume est doté d’un système judiciaire très particulier et difficile à moderniser. Tant les tribunaux que les forces de sécurité peuvent être répressifs et présentent bien des dysfonctionnements. Pourtant, le rapport annuel du département d’Etat américain sur les droits de l’homme est plus favorable à l’Arabie Saoudite qu’à de nombreux autres pays en développement.
Lorsqu’on examine les plans quinquennaux et les rapports de l’agence monétaire d’Arabie Saoudite depuis le milieu des années 1970, on constate que le royaume a investi de très fortes sommes dans la création d’emplois et a tout mis en œuvre pour réduire sa dépendance envers la main-d’œuvre étrangère. Son élite est peut-être extraordinairement riche, mais la population dans son ensemble a tiré profit des revenus pétroliers saoudiens. Il existe une classe moyenne en progression constante.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de raisons de s’inquiéter. Tous les changements au sommet de la monarchie posent des problèmes, incontestablement. Les droits de l’homme et l’Etat de droit doivent être modernisés. Les chiites saoudiens subissent une discrimination qu’il faudra éradiquer. A terme, l’Arabie Saoudite sera également confrontée à cette même explosion démographique des jeunes qui a ébranlé ou renversé d’autres régimes du Moyen-Orient. D’après les évaluations, quelque 38 % des 25,7 millions d’habitants que compte l’Arabie Saoudite ont 14 ans ou moins.
Anthony Cordesman
Center for Strategic and International Studies (CSIS)
Pourtant, il y a des raisons de penser que l’Arabie Saoudite va continuer sur la voie de la réforme et du changement pacifique. Une petite minorité bruyante ne saurait représenter un pays. Cela s’explique en partie par l’histoire du royaume. Depuis l’époque de Nasser [à la tête de l’Egypte de 1954 à 1970], chaque crise au Moyen-Orient donne lieu à des spéculations sur l’Arabie Saoudite et l’avenir de la monarchie. Pourtant, après un demi-siècle de spéculations, l’Arabie Saoudite n’a pas changé de régime. Cette stabilité est due au fait qu’à chaque vague de changement le gouvernement a réagi en appliquant les réformes nécessaires pour avoir le soutien du peuple.
Le souverain actuel, Abdallah ben Abdul Aziz, a mis en œuvre une politique de réformes sociales, économiques et de l’enseignement. Dans le même temps, il a dû tenir compte du fait que le clergé saoudien est profondément engagé dans un islam puritain et qu’il reste hostile à tout changement social qui pourrait entrer en conflit avec les pratiques traditionnelles. Il a également tenu compte du fait que la société saoudienne s’appuie sur des valeurs très différentes de celles de l’Occident.
Lorsque a commencé cette nouvelle vague de crises, le roi Abdallah n’a pas réagi en imposant un train de mesures sécuritaires. En revanche, son gouvernement a pris une série de mesures sociales :
− 7,55 milliards d’euros pour financer des crédits au logement ;
− 5,6 milliards d’euros pour augmenter le capital de la Banque de crédit saoudienne ;
− 189,5 millions d’euros pour permettre à la sécurité sociale d’augmenter le nombre de personnes couvertes dans une même famille ;
− 227,9 millions d’euros pour le développement des services sociaux ; − 664,7 millions d’euros pour aider les néces*siteux à entreprendre des travaux dans leurs *logements et à payer les charges ;
− 90,4 millions d’euros pour soutenir les programmes destinés aux étudiants démunis ;
− 2,7 milliards d’euros pour financer l’Autorité générale du logement ;
− une augmentation de 15 % des salaires des *fonctionnaires.
Ces mesures, qui représentent 25,6 milliards d’euros de dépenses, ont manifestement pour but de désamorcer l’agitation populaire. Ce ne sont pas des décisions hâtives, mais la suite logique des efforts du gouvernement dans des secteurs prioritaires, secteurs qui touchent à la justice sociale et qui sont précisément à l’origine des manifestations en Egypte et en Tunisie. L’Arabie Saoudite est indispensable aux intérêts stratégiques américains et au reste du monde. Les dernières projections du ministère de l’Energie américain n’envisagent aucune réduction d’ici à 2025 du niveau de dépendance des Etats-Unis vis-à-vis des importations de pétrole.
Ce pays est tout aussi indispensable à la stabilité de la région qu’à l’économie mondiale. Ryad joue un rôle de contrepoids essentiel face à un Iran radical et agressif ; il est à l’origine du plan de paix de la Ligue arabe avec Israël ; et il est devenu un partenaire vital dans la guerre contre le terrorisme. La stratégie américaine au Moyen-Orient repose entièrement sur la présence d’un régime bienveillant en Arabie Saoudite.
Nul ne peut nier que les dirigeants saoudiens doivent relever plusieurs défis. Il leur faut essayer de conserver le soutien populaire tout en trouvant un chemin entre modernisation, progrès social et respect des aspirations d’une population très conservatrice.
La monarchie, les élites et les technocrates œuvrent au sein d’un système politique et culturel difficile à comprendre pour des Occidentaux. La monarchie saoudienne n’a pas grand-chose à voir avec nos démocraties. Son expérience des assemblées législatives aux membres triés sur le volet, les Majlis, et de la représentation locale est encore très timide. Toutefois, elle a fait preuve de beaucoup plus d’empathie avec son peuple que de nombreux régimes du Moyen-Orient qui se veulent républicains.
Même si l’attachement populaire à un islam conservateur a évolué, la monarchie doit avancer prudemment : elle doit constamment prouver sa légitimité religieuse et son dévouement à l’islam. Le roi est le “gardien des deux saintes mosquées”, un titre qui, loin d’être honorifique, lui confère une partie de sa légitimité. Cela dit, le conservatisme religieux n’est pas l’islamisme : il joue aussi un rôle stabilisateur et rend moins probables les vagues soudaines de revendications populaires.
Le royaume est doté d’un système judiciaire très particulier et difficile à moderniser. Tant les tribunaux que les forces de sécurité peuvent être répressifs et présentent bien des dysfonctionnements. Pourtant, le rapport annuel du département d’Etat américain sur les droits de l’homme est plus favorable à l’Arabie Saoudite qu’à de nombreux autres pays en développement.
Lorsqu’on examine les plans quinquennaux et les rapports de l’agence monétaire d’Arabie Saoudite depuis le milieu des années 1970, on constate que le royaume a investi de très fortes sommes dans la création d’emplois et a tout mis en œuvre pour réduire sa dépendance envers la main-d’œuvre étrangère. Son élite est peut-être extraordinairement riche, mais la population dans son ensemble a tiré profit des revenus pétroliers saoudiens. Il existe une classe moyenne en progression constante.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de raisons de s’inquiéter. Tous les changements au sommet de la monarchie posent des problèmes, incontestablement. Les droits de l’homme et l’Etat de droit doivent être modernisés. Les chiites saoudiens subissent une discrimination qu’il faudra éradiquer. A terme, l’Arabie Saoudite sera également confrontée à cette même explosion démographique des jeunes qui a ébranlé ou renversé d’autres régimes du Moyen-Orient. D’après les évaluations, quelque 38 % des 25,7 millions d’habitants que compte l’Arabie Saoudite ont 14 ans ou moins.
Anthony Cordesman
Center for Strategic and International Studies (CSIS)
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