La consommation de pétrole de la plupart des pays exportateurs augmente, et leurs extractions stagnent. Un expert français demande la mise en place d'une mission d'information parlementaire : les pays importateurs tels que la France risquent de trouver de moins en moins de brut disponible sur le marché.
L'Arabie Saoudite est surtout connue pour être le premier exportateur mondial de brut, la « banque centrale du pétrole » qui garantit la stabilité du marché pétrolier mondial.
Ce que l'on sait moins, c'est que les Saoudiens figurent parmi les consommateurs de pétrole les plus voraces de la planète. Malgré une population de seulement 27 millions d'habitants et une industrie atrophiée, le royaume saoudien consume plus de pétrole que l'Allemagne et à peine moins que l'Inde.
La consommation saoudienne de pétrole, généreusement subventionnée, croît à vitesse grand V. Elle a progressé de 75 % depuis 2001, pour s'établir à 2,8 millions de barils par jour (Mb/j) en 2010. Et elle devrait encore augmenter de plus de 5 % cette année, s'inquiète le Financial Times. Elle pourrait atteindre 6,5 Mb/j d'ici à 2030 si rien n'est fait pour la contenir, d'après Jadwa Investment, un fonds d'investissement basé à Riyad.
Les capacités d'extractions saoudiennes, elles, ont peu augmenté (*) depuis plus d'une décennie. Elles sont aujourd'hui de 12,5 Mb/j, officiellement. Un niveau considéré comme un maximum indépassable par nombre de pétrogéologues, en Arabie Saoudite et ailleurs ; l'armée américaine redoute même de voir les extractions saoudiennes s'effondrer au cours des prochaines années, faute de réserves exploitables suffisantes. * et non "stagnent", correction, voir commentaires.
Toujours plus à se partager des exportations toujours plus réduites ? [DR]
Les exportations de l'Arabie Saoudite menacent donc de se réduire comme peau de chagrin. Un péril brandi l'an dernier par nul autre que le PDG de la Saudi Aramco, la compagnie pétrolière nationale saoudienne, puis à nouveau cette année par le gouverneur saoudien de l'Opep.
L'Arabie Saoudite est l'un des derniers endroits sur Terre où l'électricité est encore massivement produite à partir de pétrole : 581 000 barils par jour en moyenne, avec un pic durant l'été, nécessaire pour faire tourner les millions de systèmes de climatisation de l'un des pays les plus riches et les torrides de la planète (les non-climatosceptiques apprécieront).
« Le problème, c'est que les Saoudiens sont passés du stade où ils permettaient au monde d'assouvir son addiction au pétrole, à celui où ils sont eux-mêmes devenus accros. Imaginez un dealer d'héroïne qui n'a plus assez de doses à vendre, parce qu'il est trop occupé à se shooter lui-même », ironise un analyste du site Energy and Capital.
[ Les subventions saoudiennes à la consommation menacent aussi de poser un problème de prix. Pas étonnant, quand on sait que le pétrole brut est vendu localement à 10 dollars le baril, dix fois moins cher que les prix du marché mondial. A mesure que le temps passera, le royaume devrait avoir besoin d'exporter son brut à un prix de plus en plus élevé, afin de pouvoir équilibrer son budget. Le point d'équilibre, situé aujourd'hui à 85 dollars le baril, pourrait atteindre 321 dollars en 2030 si Riyad ne modifie pas sa politique actuelle, mettent en garde les économistes de Jadwa Investment. ]
L'Arabie Saoudite n'est pas le seul pays producteur qui consomme trop de pétrole.
Les exportations mondiales de pétrole brut conventionnel ont diminué de 5 % depuis 2005, à mesure que la consommation totale des 44 pays exportateurs de brut augmentait, et tandis que la somme de leurs extractions stagnait, note l'ancien directeur de la division géologie-géochimie de l’Institut français du pétrole, Bernard Durand, dans une étude [pdf] publiée début juillet sur ce blog (cf p. 12).
Les exportations totales de brut conventionnel pourraient à nouveau diminuer de 5 % d'ici à 2015, si la tendance actuelle se poursuit, prévient M. Durand (qui a également dirigé l’Ecole nationale supérieure de géologie).
Les quantités de brut que devront se partager les pays importateurs tels que la France ont toutes les chances de décroître dans les années à venir. D'autant que la soif de pétrole des économies émergentes ne cesse d'augmenter, tout comme les moyens financiers dont ces pays disposent pour étancher leur soif. La Chine, par exemple, est devenue l'un des meilleurs clients de la Saudi Aramco, et serait désormais le premier opérateur pétrolier en Irak.
Hausse de la consommation dans les pays exportateurs, hausse de l'appétit des pays émergents, stagnation et même possible déclin non anticipé des extractions mondiales fautes de réserves suffisantes : sur l'échiquier de la future géopolitique du pétrole, le chemin d'un petit pays endetté tel que la France promet d'être des plus délicats.
Bernard Durand lance l'alerte, et réclame la mise en place d'une mission d'information parlementaire. « Toute politique énergétique européenne doit (...) mettre en tête de son agenda la réduction rapide de la consommation pétrolière », insiste-t-il. Il précise : « A moins d’un miracle, il faudrait que [l'Europe] soit capable de diviser par deux sa consommation d’ici 25 ans, et de 60 % d’ici 35 ans. »
Un tel impératif convergerait avec les objectifs européens de la lutte contre le changement climatique, et les surpasserait même par son ampleur...
Pas vraiment le chemin actuellement tracé en France, au vu des récentes tergiversations et mesures de court terme du gouvernement Fillon, qui ont notamment conduit à subventionner les plus gros automobilistes avec l'argent de la compagnie Total.
Outre-Atlantique, les atermoiements de l'administration Obama (qu'il s'agisse de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ou d'indépendance énergétique) tendent à confirmer que toutes les vieilles puissances industrielles sont désormais dos au (même) mur.
Mathieu Auzanneau.
L'Arabie Saoudite est surtout connue pour être le premier exportateur mondial de brut, la « banque centrale du pétrole » qui garantit la stabilité du marché pétrolier mondial.
Ce que l'on sait moins, c'est que les Saoudiens figurent parmi les consommateurs de pétrole les plus voraces de la planète. Malgré une population de seulement 27 millions d'habitants et une industrie atrophiée, le royaume saoudien consume plus de pétrole que l'Allemagne et à peine moins que l'Inde.
La consommation saoudienne de pétrole, généreusement subventionnée, croît à vitesse grand V. Elle a progressé de 75 % depuis 2001, pour s'établir à 2,8 millions de barils par jour (Mb/j) en 2010. Et elle devrait encore augmenter de plus de 5 % cette année, s'inquiète le Financial Times. Elle pourrait atteindre 6,5 Mb/j d'ici à 2030 si rien n'est fait pour la contenir, d'après Jadwa Investment, un fonds d'investissement basé à Riyad.
Les capacités d'extractions saoudiennes, elles, ont peu augmenté (*) depuis plus d'une décennie. Elles sont aujourd'hui de 12,5 Mb/j, officiellement. Un niveau considéré comme un maximum indépassable par nombre de pétrogéologues, en Arabie Saoudite et ailleurs ; l'armée américaine redoute même de voir les extractions saoudiennes s'effondrer au cours des prochaines années, faute de réserves exploitables suffisantes. * et non "stagnent", correction, voir commentaires.
Toujours plus à se partager des exportations toujours plus réduites ? [DR]
Les exportations de l'Arabie Saoudite menacent donc de se réduire comme peau de chagrin. Un péril brandi l'an dernier par nul autre que le PDG de la Saudi Aramco, la compagnie pétrolière nationale saoudienne, puis à nouveau cette année par le gouverneur saoudien de l'Opep.
L'Arabie Saoudite est l'un des derniers endroits sur Terre où l'électricité est encore massivement produite à partir de pétrole : 581 000 barils par jour en moyenne, avec un pic durant l'été, nécessaire pour faire tourner les millions de systèmes de climatisation de l'un des pays les plus riches et les torrides de la planète (les non-climatosceptiques apprécieront).
« Le problème, c'est que les Saoudiens sont passés du stade où ils permettaient au monde d'assouvir son addiction au pétrole, à celui où ils sont eux-mêmes devenus accros. Imaginez un dealer d'héroïne qui n'a plus assez de doses à vendre, parce qu'il est trop occupé à se shooter lui-même », ironise un analyste du site Energy and Capital.
[ Les subventions saoudiennes à la consommation menacent aussi de poser un problème de prix. Pas étonnant, quand on sait que le pétrole brut est vendu localement à 10 dollars le baril, dix fois moins cher que les prix du marché mondial. A mesure que le temps passera, le royaume devrait avoir besoin d'exporter son brut à un prix de plus en plus élevé, afin de pouvoir équilibrer son budget. Le point d'équilibre, situé aujourd'hui à 85 dollars le baril, pourrait atteindre 321 dollars en 2030 si Riyad ne modifie pas sa politique actuelle, mettent en garde les économistes de Jadwa Investment. ]
L'Arabie Saoudite n'est pas le seul pays producteur qui consomme trop de pétrole.
Les exportations mondiales de pétrole brut conventionnel ont diminué de 5 % depuis 2005, à mesure que la consommation totale des 44 pays exportateurs de brut augmentait, et tandis que la somme de leurs extractions stagnait, note l'ancien directeur de la division géologie-géochimie de l’Institut français du pétrole, Bernard Durand, dans une étude [pdf] publiée début juillet sur ce blog (cf p. 12).
Les exportations totales de brut conventionnel pourraient à nouveau diminuer de 5 % d'ici à 2015, si la tendance actuelle se poursuit, prévient M. Durand (qui a également dirigé l’Ecole nationale supérieure de géologie).
Les quantités de brut que devront se partager les pays importateurs tels que la France ont toutes les chances de décroître dans les années à venir. D'autant que la soif de pétrole des économies émergentes ne cesse d'augmenter, tout comme les moyens financiers dont ces pays disposent pour étancher leur soif. La Chine, par exemple, est devenue l'un des meilleurs clients de la Saudi Aramco, et serait désormais le premier opérateur pétrolier en Irak.
Hausse de la consommation dans les pays exportateurs, hausse de l'appétit des pays émergents, stagnation et même possible déclin non anticipé des extractions mondiales fautes de réserves suffisantes : sur l'échiquier de la future géopolitique du pétrole, le chemin d'un petit pays endetté tel que la France promet d'être des plus délicats.
Bernard Durand lance l'alerte, et réclame la mise en place d'une mission d'information parlementaire. « Toute politique énergétique européenne doit (...) mettre en tête de son agenda la réduction rapide de la consommation pétrolière », insiste-t-il. Il précise : « A moins d’un miracle, il faudrait que [l'Europe] soit capable de diviser par deux sa consommation d’ici 25 ans, et de 60 % d’ici 35 ans. »
Un tel impératif convergerait avec les objectifs européens de la lutte contre le changement climatique, et les surpasserait même par son ampleur...
Pas vraiment le chemin actuellement tracé en France, au vu des récentes tergiversations et mesures de court terme du gouvernement Fillon, qui ont notamment conduit à subventionner les plus gros automobilistes avec l'argent de la compagnie Total.
Outre-Atlantique, les atermoiements de l'administration Obama (qu'il s'agisse de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ou d'indépendance énergétique) tendent à confirmer que toutes les vieilles puissances industrielles sont désormais dos au (même) mur.
Mathieu Auzanneau.
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