Il est sans doute le père de la sixième Constitution du Maroc indépendant. Une belle revanche pour ce fils de la Chaouia que rien ou presque ne prédestinait à une telle carrière.
Mohamed Moâtassim a patiemment attendu son heure. Dans le carré royal, l’homme n’a jamais fait de vague. Professeur universitaire émérite, il était surtout connu pour sa maîtrise du droit constitutionnel et sa connaissance du champ politique marocain. “Un brillant fonctionnaire”, nous dit-on. Un bosseur acharné qui a toujours travaillé dans l’ombre, se tenant à l’écart des querelles de la Cour. Mais depuis quelques semaines, l’homme attire, presque malgré lui, la lumière. Normal, il est l’architecte de la première Constitution de Mohammed VI. C’est également lui qui a soufflé au monarque son “discours historique” du 9 mars 2011. En tant que président du fameux mécanisme politique de suivi, il a effectué d’incessants va-et-vient entre la Commission consultative pour la révision de la Constitution (CCRC), les partis politiques et le palais royal. “Il aurait personnellement introduit les derniers amendements au terme de longues négociations restées secrètes avec certains dirigeants politiques”, confie un politicien de gauche. Résultat : une constitution consensuelle qui ne fâche personne, mais qui ne séduit pas grand-monde non plus. “Car si le texte apporte des avancées notables en matière de droits de l’homme, il reste assez prudent, voire conservateur, sur les réformes politiques et institutionnelles”, résume un observateur, proche de la CCRC. Un conservatisme et un esprit de consensus qui seraient, selon plusieurs de nos interlocuteurs, une marque de fabrique chez Mohamed Moâtassim. “C’est un excellent technicien. Un véritable fqih constitutionnel. Mais il n’a pas d’avis ou d’opinion politique. Il écoute ses interlocuteurs et essaye de les mettre d’accord, dans le cadre d’un plafond politique qu’on lui aurait fixé d’avance, ce qui réduit ses capacités de négociations”, explique une source qui a fréquenté le conseiller de Mohammed VI.
Vendredi 17 juin, c’est en tout cas lui que choisit le roi pour lire l’intégralité des 180 articles de la nouvelle Constitution à la télévision. Pendant près d’une heure et demie, les Marocains découvrent le visage carré et le débit monotone de celui qui passe déjà pour “le nouvel homme fort” du cabinet royal. Une consécration pour cet enfant de la Chaouia, devenu successivement professeur, ministre, conseiller de Hassan II puis de Mohammed VI.
Enfant de l’indépendance
Mohamed Moâtassim voit le jour en 1956, dans la région de Settat. C’est un enfant de l’indépendance, qui pousse son premier cri au sein d’une famille modeste de cinq enfants. Le père, artisan, s’est d’abord installé à Douar Oulad El Kihel, dans la Chaouia, avant de rallier Settat à la recherche de meilleures opportunités. La famille finit par s’installer à Nzalet Cheikh, un quartier populaire de la capitale de la Chaouia. Contrairement à d’autres conseillers de Mohammed VI, Moâtassim ne se fait pas repérer par les “recruteurs” du collège royal… même si ses notes l’y prédisposent. Il coule donc une enfance tranquille dans les ruelles de Settat. Entre-temps, son père est devenu auxiliaire de l’administration territoriale (moqaddem), sans que cela ne bouleverse le quotidien de la petite famille. Le jeune Settati décroche haut la main son baccalauréat au lycée Ibn Abbad au milieu des années 1970. Comme la majorité de ses congénères à l’époque, il s’inscrit à la faculté de droit de Rabat et obtient sa licence en 1977. A cette époque, le Maroc bouillonne. L’université est un bastion de la gauche radicale. On rêve de république et de socialisme qui viendrait “délivrer les masses populaires du joug du capitalisme et du despotisme”. Moâtassim n’est pas insensible à ces discours révolutionnaires, mais il préfère les écouter de loin. Il se concentre sur ses études et décroche un DES en droit à l’université Hassan II de Casablanca. “Il n’a jamais appartenu à un mouvement politique, mais il a le cœur à gauche. En tant que professeur universitaire, il a souvent animé ou encadré des conférences et colloques de l’USFP à Settat”, affirme l’un de ses amis sur place. Idem lorsqu’il choisit de publier des analyses ou des tribunes dans la presse, Moâtassim choisit comme support le quotidien Al Ittihad Al Ichtiraki.
Nous sommes alors au milieu des années 1980. Et un autre enfant de la Chaouia, Driss Basri, est en train de se faire une place au soleil. Il dirige d’une main de fer le ministère de l’Intérieur et livre une bataille sans relâche pour le contrôle de l’université. Il garde également un œil sur sa ville natale, Settat, et donne volontiers un coup de pouce aux enfants de ces terres fertiles de la côte atlantique. Autant d’éléments qui donnent à penser qu’à cette époque, Driss Basri a certainement déjà dû repérer Mohamed Moâtassim. Mais ce dernier continue de couler des jours ordinaires et sans encombres. A l’aise dans son costume de professeur universitaire, il continue d’habiter Settat où il a ses habitudes, notamment au café Restinga, au centre-ville. Ses étudiants de l’époque le décrivent comme un “homme rigoureux et ponctuel”. Sans plus. Bosseur acharné, il prépare également sa thèse de doctorat, qu’il soutient en mars 1988. Le sujet qu’il choisit n’est pas anodin : l’évolution traditionaliste du droit constitutionnel marocain. Il y affirme que le Commandeur des croyants se place au-dessus du texte constitutionnel. Moâtassim va encore plus loin en soutenant que “le roi constitutionnel n’est que le prolongement moderne d’Amir Al Mouminine, qui puise sa légitimité dans le Coran, la Sounna et la descendance du prophète”. Selon lui, la monarchie marocaine se place au-dessus des autres acteurs du jeu politique. Elle règne et gouverne en même temps. Il ne saurait en être autrement d’ailleurs. “Le peuple ne comprendrait pas que le roi ne gouverne pas effectivement le pays”, disait Hassan II dans Le défi, cité par Mohamed Moâtassim dans sa thèse de doctorat. Selon plusieurs observateurs, c’est cette thèse (trop makhzénienne selon certains) qui a fait accéder Mohamed Moâtassim aux cercles du pouvoir.
Le temps des technocrates
Il faut dire que la fin des années 1980 est une époque charnière pour le Maroc. L’économie est au plus bas, malgré un programme d’ajustement structurel drastique lancé en 1982. A l’international, la chute du mur de Berlin chamboule les cartes et installe les prémices d’un nouvel ordre mondial. Dans ce contexte mouvementé, Hassan II propose une nouvelle réforme constitutionnelle, censée accorder davantage de pouvoirs au parlement et au gouvernement. Comme d’habitude, la rédaction de ce texte est confiée à des experts étrangers, majoritairement français, épaulés par les conseillers royaux Ahmed Réda Guédira et Driss Slaoui. Fort de son nouveau titre de docteur en droit constitutionnel, Mohamed Moâtassim se passionne pour le débat en cours. Il publie même des lectures critiques des mémorandums présentés par les partis de la Koutla et se fait de plus en plus remarquer par l’entourage de Hassan II. A l’université, l’homme gagne en notoriété. Il passe désormais pour un grand spécialiste du droit et des sciences politiques. A partir de 1988, il édite quelques ouvrages sur le droit constitutionnel, les systèmes politiques comparés ou encore un essai sur La vie politique marocaine de 1962 à 1992.
En septembre 1992, la nouvelle Constitution est adoptée avec 99,98% des voix. En septembre 1993, des élections législatives sont organisées. Hassan II tend la main aux partis de l’opposition pour la constitution du nouveau gouvernement. Sans succès. Deux mois plus tard, l’équipe de Mohamed Karim Lamrani est largement remaniée. Furieux, Hassan II confie la gestion des affaires publiques à une équipe de technocrates. Le listing est assez impressionnant : Driss Jettou, Mourad Cherif, Abdeslam Ahizoune, Taïeb Fassi Fihri, Abdelaziz Meziane Belfqih ou encore Omar Azziman, font notamment partie de la nouvelle équipe gouvernementale. Pour beaucoup, c’est le début d’une longue carrière dans les arcanes du pouvoir. A la limite, la nomination de Mohamed Moâtassim en tant que ministre chargé des Relations avec le parlement, passe presque inaperçue. Mais lui sait qu’il tient la chance de sa vie. Et cette chance, il la doit à l’homme fort du moment, Driss Basri. Au parlement, Moâtassim parfait sa connaissance du landerneau politique marocain. L’homme se sent dans son élément et se fait doucement adopter par la majorité des hommes politiques qu’il séduit par sa simplicité et son savoir académique. En 1994, Moâtassim rempile au même poste, mais cette fois au sein d’un gouvernement dirigé par Abdellatif Filali. Le Maroc est, une nouvelle fois, à l’aube d’une réforme constitutionnelle. Hassan II prépare l’alternance en remodelant la loi fondamentale du pays.
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Mohamed Moâtassim a patiemment attendu son heure. Dans le carré royal, l’homme n’a jamais fait de vague. Professeur universitaire émérite, il était surtout connu pour sa maîtrise du droit constitutionnel et sa connaissance du champ politique marocain. “Un brillant fonctionnaire”, nous dit-on. Un bosseur acharné qui a toujours travaillé dans l’ombre, se tenant à l’écart des querelles de la Cour. Mais depuis quelques semaines, l’homme attire, presque malgré lui, la lumière. Normal, il est l’architecte de la première Constitution de Mohammed VI. C’est également lui qui a soufflé au monarque son “discours historique” du 9 mars 2011. En tant que président du fameux mécanisme politique de suivi, il a effectué d’incessants va-et-vient entre la Commission consultative pour la révision de la Constitution (CCRC), les partis politiques et le palais royal. “Il aurait personnellement introduit les derniers amendements au terme de longues négociations restées secrètes avec certains dirigeants politiques”, confie un politicien de gauche. Résultat : une constitution consensuelle qui ne fâche personne, mais qui ne séduit pas grand-monde non plus. “Car si le texte apporte des avancées notables en matière de droits de l’homme, il reste assez prudent, voire conservateur, sur les réformes politiques et institutionnelles”, résume un observateur, proche de la CCRC. Un conservatisme et un esprit de consensus qui seraient, selon plusieurs de nos interlocuteurs, une marque de fabrique chez Mohamed Moâtassim. “C’est un excellent technicien. Un véritable fqih constitutionnel. Mais il n’a pas d’avis ou d’opinion politique. Il écoute ses interlocuteurs et essaye de les mettre d’accord, dans le cadre d’un plafond politique qu’on lui aurait fixé d’avance, ce qui réduit ses capacités de négociations”, explique une source qui a fréquenté le conseiller de Mohammed VI.
Vendredi 17 juin, c’est en tout cas lui que choisit le roi pour lire l’intégralité des 180 articles de la nouvelle Constitution à la télévision. Pendant près d’une heure et demie, les Marocains découvrent le visage carré et le débit monotone de celui qui passe déjà pour “le nouvel homme fort” du cabinet royal. Une consécration pour cet enfant de la Chaouia, devenu successivement professeur, ministre, conseiller de Hassan II puis de Mohammed VI.
Enfant de l’indépendance
Mohamed Moâtassim voit le jour en 1956, dans la région de Settat. C’est un enfant de l’indépendance, qui pousse son premier cri au sein d’une famille modeste de cinq enfants. Le père, artisan, s’est d’abord installé à Douar Oulad El Kihel, dans la Chaouia, avant de rallier Settat à la recherche de meilleures opportunités. La famille finit par s’installer à Nzalet Cheikh, un quartier populaire de la capitale de la Chaouia. Contrairement à d’autres conseillers de Mohammed VI, Moâtassim ne se fait pas repérer par les “recruteurs” du collège royal… même si ses notes l’y prédisposent. Il coule donc une enfance tranquille dans les ruelles de Settat. Entre-temps, son père est devenu auxiliaire de l’administration territoriale (moqaddem), sans que cela ne bouleverse le quotidien de la petite famille. Le jeune Settati décroche haut la main son baccalauréat au lycée Ibn Abbad au milieu des années 1970. Comme la majorité de ses congénères à l’époque, il s’inscrit à la faculté de droit de Rabat et obtient sa licence en 1977. A cette époque, le Maroc bouillonne. L’université est un bastion de la gauche radicale. On rêve de république et de socialisme qui viendrait “délivrer les masses populaires du joug du capitalisme et du despotisme”. Moâtassim n’est pas insensible à ces discours révolutionnaires, mais il préfère les écouter de loin. Il se concentre sur ses études et décroche un DES en droit à l’université Hassan II de Casablanca. “Il n’a jamais appartenu à un mouvement politique, mais il a le cœur à gauche. En tant que professeur universitaire, il a souvent animé ou encadré des conférences et colloques de l’USFP à Settat”, affirme l’un de ses amis sur place. Idem lorsqu’il choisit de publier des analyses ou des tribunes dans la presse, Moâtassim choisit comme support le quotidien Al Ittihad Al Ichtiraki.
Nous sommes alors au milieu des années 1980. Et un autre enfant de la Chaouia, Driss Basri, est en train de se faire une place au soleil. Il dirige d’une main de fer le ministère de l’Intérieur et livre une bataille sans relâche pour le contrôle de l’université. Il garde également un œil sur sa ville natale, Settat, et donne volontiers un coup de pouce aux enfants de ces terres fertiles de la côte atlantique. Autant d’éléments qui donnent à penser qu’à cette époque, Driss Basri a certainement déjà dû repérer Mohamed Moâtassim. Mais ce dernier continue de couler des jours ordinaires et sans encombres. A l’aise dans son costume de professeur universitaire, il continue d’habiter Settat où il a ses habitudes, notamment au café Restinga, au centre-ville. Ses étudiants de l’époque le décrivent comme un “homme rigoureux et ponctuel”. Sans plus. Bosseur acharné, il prépare également sa thèse de doctorat, qu’il soutient en mars 1988. Le sujet qu’il choisit n’est pas anodin : l’évolution traditionaliste du droit constitutionnel marocain. Il y affirme que le Commandeur des croyants se place au-dessus du texte constitutionnel. Moâtassim va encore plus loin en soutenant que “le roi constitutionnel n’est que le prolongement moderne d’Amir Al Mouminine, qui puise sa légitimité dans le Coran, la Sounna et la descendance du prophète”. Selon lui, la monarchie marocaine se place au-dessus des autres acteurs du jeu politique. Elle règne et gouverne en même temps. Il ne saurait en être autrement d’ailleurs. “Le peuple ne comprendrait pas que le roi ne gouverne pas effectivement le pays”, disait Hassan II dans Le défi, cité par Mohamed Moâtassim dans sa thèse de doctorat. Selon plusieurs observateurs, c’est cette thèse (trop makhzénienne selon certains) qui a fait accéder Mohamed Moâtassim aux cercles du pouvoir.
Le temps des technocrates
Il faut dire que la fin des années 1980 est une époque charnière pour le Maroc. L’économie est au plus bas, malgré un programme d’ajustement structurel drastique lancé en 1982. A l’international, la chute du mur de Berlin chamboule les cartes et installe les prémices d’un nouvel ordre mondial. Dans ce contexte mouvementé, Hassan II propose une nouvelle réforme constitutionnelle, censée accorder davantage de pouvoirs au parlement et au gouvernement. Comme d’habitude, la rédaction de ce texte est confiée à des experts étrangers, majoritairement français, épaulés par les conseillers royaux Ahmed Réda Guédira et Driss Slaoui. Fort de son nouveau titre de docteur en droit constitutionnel, Mohamed Moâtassim se passionne pour le débat en cours. Il publie même des lectures critiques des mémorandums présentés par les partis de la Koutla et se fait de plus en plus remarquer par l’entourage de Hassan II. A l’université, l’homme gagne en notoriété. Il passe désormais pour un grand spécialiste du droit et des sciences politiques. A partir de 1988, il édite quelques ouvrages sur le droit constitutionnel, les systèmes politiques comparés ou encore un essai sur La vie politique marocaine de 1962 à 1992.
En septembre 1992, la nouvelle Constitution est adoptée avec 99,98% des voix. En septembre 1993, des élections législatives sont organisées. Hassan II tend la main aux partis de l’opposition pour la constitution du nouveau gouvernement. Sans succès. Deux mois plus tard, l’équipe de Mohamed Karim Lamrani est largement remaniée. Furieux, Hassan II confie la gestion des affaires publiques à une équipe de technocrates. Le listing est assez impressionnant : Driss Jettou, Mourad Cherif, Abdeslam Ahizoune, Taïeb Fassi Fihri, Abdelaziz Meziane Belfqih ou encore Omar Azziman, font notamment partie de la nouvelle équipe gouvernementale. Pour beaucoup, c’est le début d’une longue carrière dans les arcanes du pouvoir. A la limite, la nomination de Mohamed Moâtassim en tant que ministre chargé des Relations avec le parlement, passe presque inaperçue. Mais lui sait qu’il tient la chance de sa vie. Et cette chance, il la doit à l’homme fort du moment, Driss Basri. Au parlement, Moâtassim parfait sa connaissance du landerneau politique marocain. L’homme se sent dans son élément et se fait doucement adopter par la majorité des hommes politiques qu’il séduit par sa simplicité et son savoir académique. En 1994, Moâtassim rempile au même poste, mais cette fois au sein d’un gouvernement dirigé par Abdellatif Filali. Le Maroc est, une nouvelle fois, à l’aube d’une réforme constitutionnelle. Hassan II prépare l’alternance en remodelant la loi fondamentale du pays.
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