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L’après-pétrole sur fond de baril cher

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  • L’après-pétrole sur fond de baril cher

    Usque non ascendat ? Jusqu’où montera-t-il ? s’interrogeraient les Latins. Le cours du pétrole pourrait connaître des replis ponctuels importants mais la tendance générale est durablement haussière. Au moins tant que l’économie mondiale ne maîtrisera pas «l’après-pétrole»

    Chakib Khelil, le ministre algérien de l’Energie et des Mines, a fait sursauter plus d’un observateur en laissant entendre, à l’heure où le pétrole flambe, l’hypothèse d’un possible retour d’un baril à prix bas. Selon le quotidien Liberté (*), le responsable répondait à une question d’actualité posée par le club Excellence MDI: «... Sommes-nous entrés dans un cycle durable de pétrole cher ?». Chakib Khelil rappelait à juste raison que la demande pétrolière est avant tout liée à la croissance économique. En 1998, les prix du pétrole ont chuté du fait de la crise asiatique qui a entraîné une récession et donc un affaiblissement de la demande pétrolière, débouchant sur une baisse des prix. L’élasticité des prix à la demande est faible car la production continue d’être à «flux tendu»: très peu de pays producteurs ont un surplus de capacité. Dans un tel contexte, tout retournement de la conjoncture mondiale peut être avoir des effets insoupçonnés, allant jusqu’à un effondrement des cours.

    Les propos volontairement iconoclastes du patron de l’Energie doivent être pris en bonne part: si l’Algérie dispose de recettes pétrolières et gazières très importantes, elle doit d’abord consacrer cette manne au désendettement et à la diversification de son économie, sans s’endormir sur un «effet de rente» qui n’est absolument pas garanti sur le long terme.

    Au-delà de cet effort de prudente pédagogie, Chakib Khelil a-t-il raison d’aller à contre-courant des idées reçues et de relativiser, au pire, la thèse d’une course inéluctable vers un baril à 100 ou 150 dollars, au mieux celle d’un pétrole durablement stabilisé à son cours actuel, aux alentours de 70 dollars ?

    Un pétrole à la fois abondant et cher

    La disponibilité des principales ressources fossiles (pétrole, gaz et charbon) n’est pas assurée indéfiniment: cette tension est à l’origine de nombreuses spéculations. Toutefois, le pétrole, bien que de plus en plus onéreux, reste une énergie relativement abondante. Le pétrole reste en effet la forme d’énergie primaire la plus utilisée. Bien que l’ensemble des pays de l’OCDE tente de réduire la part du pétrole dans leur facture énergétique (de 46% en 1973 à 36% en 2002), sa consommation en valeur absolue a même fortement augmenté. Ainsi, la consommation de pétrole aux Etats-Unis a augmenté de 16% entre 1993 et 2003: les Américains engloutissent le quart de la production totale de pétrole, alors qu’ils représentent moins de 5% de la population mondiale. Durant la même période, la consommation de pétrole de l’Asie a augmenté en moyenne de 39%. Cette croissance, consécutive à un phénomène de rattrapage, ne devrait pas ralentir, puisqu’un Chinois consomme toujours 15 fois moins de pétrole qu’un Américain et un Indien 30 fois moins.

    Mais s’il est plus difficile à trouver et plus coûteux, le pétrole ne connaît pas de difficultés particulières ou alors très ponctuelles en approvisionnement. La demande est forte mais les ressources existent. «Pour être plus juste, l’augmentation des prix reflète bien plus une incertitude sur l’avenir qu’un véritable rationnement du marché», note Europétrole, le site des industriels français, qui affichent comme tous leurs concurrents internationaux du secteur des bénéfices exubérants. Il semble bien que l’économie mondiale continue «de parier sur le pétrole», comme le confirme le World Energy Outlook.

    Mais est-ce un choix volontaire et confiant ou bien la preuve que nos économies modernes ont le plus grand mal à s’adapter à un «après-pétrole» qui sous-entend une baisse de cette consommation et une diversification très volontaire des sources énergétiques ?

    Le secteur des transports apparaît bien comme une illustration du «pétrole subi». Les transports, qui représentent 47% de la consommation pétrolière, ne sont pas étrangers à cette explosion de la demande et on peut craindre que cette progression s’accélère encore. L’intensification sans précédent des échanges mondiaux se mesure par une addition d’autant plus lourde qu’elle est pour partie opaque. Dans un livre récent, «La Face cachée du pétrole», Eric Laurent note: «Une étude divertissante et instructive conduite en Grande-Bretagne révèle que le transport aérien d’une laitue des Etats-Unis en Grande-Bretagne occasionne la dépense de 127 calories d’énergie (le fuel de l’avion) pour acheminer 1 calorie de laitue; 97 calories (d’énergie) sont nécessaires pour importer par avion du Chili 1 calorie d’asperge; 66 calories sont dépensées pour 1 calorie de carotte sud-africaine».

    Autre facteur de dépenses continues, l’automobile, symbole de l’indépendance personnelle et de l’autonomie économique. Si le taux d’équipement par habitant est relativement élevé dans les principaux pays de l’OCDE (80% aux USA, 57,6% en Europe occidentale), il demeure extrêmement faible dans des pays comme la Chine (1,8%) ou l’Inde (0,9%). Le parc automobile dans les pays non OCDE devrait tripler d’ici 2030, ce qui constituerait un doublement du parc mondial et ferait passer la part des transports dans la consommation globale de pétrole à 54%. Les transports sont à l’origine des deux tiers de l’augmentation de la demande de pétrole prévue jusqu’à 2030.

  • #2

    Difficile reconversion à «l’après-pétrole»


    A l’inverse, le surenchérissement du coût du transport dans le flux des échanges mondiaux va finir par réduire ce dernier. A quoi sert-il en effet de délocaliser les productions vers des zones de main-d’oeuvre à bon marché si les marges réalisées s’évanouissent dans des dépenses dispendieuses de kérosène ou de fuel ? Plus généralement, la création mondiale de richesses est tirée par l’exceptionnelle croissance des pays émergents qui ont un besoin vital d’énergie. Mais les «vieux» pays industriels n’ont pas le même ressort et leur facture pétrolière grève leurs capacités financières à intégrer le flot continu des exportations chinoises ou indiennes, indispensable au développement de ces deux pays. Bref !, le système globalisé court le risque d’un collapsus général: un retournement brutal de croissance pourrait impliquer - Chakib Khelil a raison de le souligner - un effondrement des cours et un éclatement de la «bulle spéculative pétrolière». Déjà, le FMI estimait le mois dernier qu’une nouvelle hausse de 10% des cours du pétrole pourrait coûter 1 à 1,5 point à la croissance mondiale, soit un tiers du niveau actuel de celle-ci.

    Conséquence de la forte consommation d’énergies fissiles, la pollution a également un coût de plus en plus élevé pour l’ensemble des économies de la planète. Eric Laurent fait remarquer dans son ouvrage qu’en Grande-Bretagne toujours, «la nourriture consommée chaque année par une famille de quatre personnes, en comptabilisant la production, le transport, l’emballage et la diffusion, engendre 8 tonnes de CO2». C’est beaucoup et les conséquences sur l’environnement inciteront les principaux pays européens à reconsidérer les freins qu’ils avaient mis dans les années 80 et 90 au développement de l’énergie nucléaire, à l’exception notable de la France: pour ce pays qui s’apprête à lancer l’EPR, réacteur de 3ème génération, le nucléaire, qui garantit l’indépendance énergétique, représente 116 milliards sur une consommation énergétique globale de 276 millions de tonnes équivalent pétrole. L’ensemble des ces facteurs plaide pour une baisse de la demande pétrolière, au grand bénéfice du nucléaire.

    Restent quatre éléments qui peuvent jouer dans le sens contraire et maintenir les cours du baril à un cours élevé :

    * La croissance exceptionnelle des pays émergents est d’abord tirée par une forte demande intérieure. D’immenses populations exigent un rattrapage rapide et important en matière de biens d’équipements et de consommation.

    * Le second facteur qui plaide pour une poursuite de la croissance, et donc de la demande pétrolière, est l’étonnante résistance financière des investisseurs des pays industriels. En un an, les cours du baril ont grimpé de 20%. En quatre ans, la hausse est de 250%. ! Comme la tendance haussière est générale pour toutes les matières premières, les économies dites développées, principalement celles d’Amérique du Nord, d’Europe et du Japon, auraient dû voir leurs croissances durement malmenées. Il n’en a rien été et les principaux marchés financiers se sont appréciés de 6 à 10% dans les quatre derniers mois. La facture pétrolière, qui pesait 5% du PIB français dans les années 80, ne grève plus en effet que de 2,3% la richesse nationale. Par ailleurs, la croissance des puissances occidentales est dorénavant davantage tirée par les services, moindres consommateurs d’énergie et de matières premières que l’industrie ou l’agriculture.

    * D’autre part, les économies développées bénéficient d’une étonnante abondance de l’épargne mondiale. Les principales places financières bénéficient aujourd’hui d’un surcroît de liquidités de 14.000 milliards de dollars ! Les pays pétroliers participent à cette disponibilité financière. Le doublement des prix du pétrole a permis aux pays producteurs d’engranger plus de 800 milliards de recettes supplémentaires. Une partie de cette aubaine finance l’achat aux entreprises occidentales de biens et de services, tandis que l’essentiel est reconverti sur les marchés de capitaux. Un matelas financier qui stimule la croissance et protège l’économie des pays industriels des chocs de conjoncture.

    * Le niveau réel des réserves mondiales est enfin difficile à estimer: outre la difficulté matérielle, géologique, à estimer les stocks, les pays producteurs et les industriels manquent de transparence dans leurs estimations réelles. L’Association for the Study of Peak Oil and Gas (ASPO), composée de scientifiques et d’anciens hauts responsables de l’industrie du pétrole, estime ainsi que 46% des réserves du Moyen-Orient seraient douteuses ! La production pétrolière serait par conséquent plus proche qu’on ne le croit du fameux «peak oil» (le pic de production), le point de retournement où la production commencera à baisser. «Si les projections de l’ASPO se vérifient, l’effet dévastateur de ce pic pourrait entraîner un choc pétrolier permanent et fatal», note Europétrole. En attendant, chacun achète au plus et se constitue des stocks.

    La géopolitique favorise la hausse

    L’environnement géopolitique: il ne fait guère de doute que le contrôle des réserves pétrolières est la véritable clé de nombre de conflits actuels, particulièrement dans la zone Proche-Orient-Asie centrale. Principale réserve énergétique du monde, cette vaste région est le champ de rivalité de pays consommateurs, avides d’indépendance énergétique, et de pays producteurs obnubilés par leur pérennité économique (et donc leur indépendance stratégique, comme le montre le dossier nucléaire iranien) dans un monde de «l’après-pétrole».

    Le moindre dérapage entraînerait une nouvelle flambée des cours: le gouvernement iranien n’a pas ainsi fait mystère de son intention de bloquer le détroit d’Ormuz, porte du principal trafic pétrolier mondial, en cas d’agression américaine.

    Les pays producteurs, qui ont intégré le caractère nécessairement temporaire de leurs réserves, savent qu’ils ont un quart de siècle et guère plus pour réussir dans les meilleures conditions la transformation de leurs économies. D’où la tentation d’agir vite et fort, à l’exemple de la décision, le 1er mai dernier, du président Evo Morales de renationaliser la totalité des hydrocarbures de la Bolivie. Il suit la route ouverte par Hugo Chavez qui, au Venezuela, avait «mis au pas» les compagnies pétrolières étrangères depuis son accession au pouvoir en 1998.

    Plus largement, les pays producteurs sont incités à modifier largement leurs alliances traditionnelles pour vendre au mieux leurs ressources à des pays très demandeurs comme la Chine. Quitte à bouleverser les règles traditionnelles: Hugo Chavez, en déplacement en Algérie en début de semaine, ne vient-il pas de proposer de libeller les prix de son pétrole en euros, à l’image de l’Iran qui a déclaré songer à adopter la devise européenne à la place du dollar américain pour ses exportations de brut ?

    *) Edition Du 9 Mai 2006

    Par pierre de morville-Quotidien d'Oran

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