Mouad L7a9ed libre. L’autre (notre) Maroc a gagné !
Un jeune rappeur des quartiers pauvres a osé défier la monarchie. TelQuel reconstitue l’histoire de son incarcération injuste, de sa libération et de son combat…qui continue.
Jeudi 13 janvier, 14h30 : une scène peu ordinaire se produit à l’entrée de la prison de Oukacha, à Casablanca. Des dizaines de personnes affluent rapidement avec, sur le visage, une expression de joie qui contraste avec la désolation des lieux. Les visiteurs ont pour seuls bagages des appareils photo et des bouquets de fleurs. Ils chantent, ils
crient, ils lancent de stridents youyous qui déchirent le silence, ils distribuent sans compter des dattes et du lait aux personnes présentes, plutôt médusées. Ces jeunes gens en délire, tous militants du Mouvement du 20 février (M20), sont venus célébrer une grande victoire : la libération de leur camarade, Mouad Belghouat, plus connu sous son nom d’artiste L7a9ed (invariablement l’enragé, ou l’indigné), à l’issue d’un procès politique proprement surréaliste.
Une heure et demie avant, tout ce beau monde s’était donné rendez-vous au tribunal de première instance de Aïn Sebaâ, où l’affaire L7a9ed, accusé de coups et blessures contre un membre d’une organisation anti-M20, allait se dénouer. Un long moment de suspense a régné dans la célèbre salle N°8 du tribunal, où plusieurs journalistes et militants ont été condamnés par le passé. “Au nom de Sa Majesté le roi, nous condamnons Mouad Belghouat à quatre mois de prison pour coups et blessures sans préméditation”, conclut le juge Jaber, célèbre pour avoir statué dans des affaires politiques (le procès Rachid Niny et, quelques années auparavant, le procès… TelQuel), avant de quitter précipitamment la salle d’audience. Malgré sa condamnation, Mouad, qui a déjà séjourné quatre mois à Oukacha, est enfin libre. Victoire ! Une incroyable manifestation de liesse a alors lieu à l’intérieur même du tribunal et partout autour. “Vive le peuple !” crient les amis de L7a9ed, qui se congratulent et n’arrivent plus à retenir leurs larmes, le tout sous le crépitement des flashs des appareils photo et les caméras des agences de presse, présentes en masse pour couvrir l’évènement.
De Oukacha à Oukacha
Une fois libre, L7a9ed ne s’est pas retourné une seule fois vers la porte de la prison. Pas la peine. Déjà oublié. Oukacha, ce n’est pas pour lui. Le rappeur lève la tête bien haut, et lâche un petit sourire au contact de la foule venue le saluer. La journée sera longue et elle ne fait que commencer. Mouad choisit de partir se reposer chez son frère et ses copains, déterminés à fêter en grande pompe sa “libération”, le devancent à son domicile familial, pour préparer le menu de la soirée à venir. Dans son quartier, qui s’appelle aussi Oukacha, un no man’s land à la périphérie de Hay Hassani, les “indignés” marocains et les voisins de Mouad ont installé une scène dans la rue. Ils se sont débrouillés pour mettre en place un sound system bon marché, en attentant l’apparition de leur héros, invité à se produire en live, en pleine rue.
Les militants d’Al Adl Wal Ihsane, qui ont pourtant déserté les rangs du M20, sont aussi de la partie. Leur “crooner”, Rachid Ghoulam, en a même profité pour faire un discours au nom de la Jamaâ de Cheikh Yassine. Très attendu, L7a9ed descend de sa maison, sacrifie au rituel bain de foule, et monte tout de suite sur scène. Avec les mots simples d’un rappeur ould chaâb, il remercie tout le monde et, rejoint par ses co-rappeurs, “performe” trois chansons, répétées en chœur par le public, surtout les enfants du quartier, qui connaissent les paroles par cœur.
Mouad exulte mais, malgré son grand sourire, il ne s’est pas encore remis de ses émotions. Il a des choses à dire, à faire, à rattraper, lui qui a été l’une des chevilles ouvrières de la coordination de Casablanca du Mouvement du 20 février.
“Tu peux tout chanter mais évite le roi !”
Retour sur l’affaire. Tout a commencé dans la soirée du vendredi 9 septembre 2011. Mouad et ses camarades distribuent des tracts appelant à une marche du M20 quand ils sont surpris par la présence d’un certain “Taliyani”, de son vrai nom Mohamed Dali, criant “Mouad le traître”. Il s’ensuit, évidemment, un accrochage mais “sans violence physique”, selon Mouad et ses témoins. La suite est plus étonnante. Le soir même, le rappeur reçoit un appel téléphonique. à l’autre bout du fil, la police de son quartier le convoque instamment au poste. Mohamed Dali a porté plainte contre lui. Selon la déposition de “Taliyani”, Mouad l’aurait frappé sur la nuque, causant sa chute et une perte de connaissance… Après le coup de fil de la police, Mouad se présente donc au commissariat de son quartier, “J’avais porté plainte contre la même personne pour harcèlement, et ils ont noté mon numéro de téléphone. C’est comme ça que les policiers ont pu me joindre facilement”. Reçu au commissariat, il s’entretient avec deux agents de la police judiciaire. Dans un premier temps, la plainte de “Taliyani” n’est même pas évoquée. “On me parlait de mes activités dans le quartier, on me posait toutes sortes de questions, tout l’interrogatoire était dédié à mon appartenance au M20”.
L’échange s’étale sur plusieurs heures et les agents de police en arrivent à l’essentiel. La plainte de “Taliyani” ? Non, les chansons de L7a9ed. Les policiers sont clairs : “Tu peux tout chanter mais évite le roi”.
Le lendemain, un samedi, Mouad rencontre le procureur, mais l’entrevue est brève, ce dernier n’ayant visiblement pas tous les éléments pour donner suite à “l’affaire” en cours de montage. Le dimanche, la police emmène Mouad au Centre hospitalier Ibn Rochd, où il va confronter sa version avec celle de Taliyani. “Quand j’étais dans le véhicule de la police, j’ai entendu un agent parler à son chef, lui expliquant que le médecin refusait de remettre le certificat médical à Taliyani”. Après prolongation de sa garde à vue, Mouad est officiellement placé en détention.
(àsuivre)
(TNIOUNI)
Un jeune rappeur des quartiers pauvres a osé défier la monarchie. TelQuel reconstitue l’histoire de son incarcération injuste, de sa libération et de son combat…qui continue.
Jeudi 13 janvier, 14h30 : une scène peu ordinaire se produit à l’entrée de la prison de Oukacha, à Casablanca. Des dizaines de personnes affluent rapidement avec, sur le visage, une expression de joie qui contraste avec la désolation des lieux. Les visiteurs ont pour seuls bagages des appareils photo et des bouquets de fleurs. Ils chantent, ils
crient, ils lancent de stridents youyous qui déchirent le silence, ils distribuent sans compter des dattes et du lait aux personnes présentes, plutôt médusées. Ces jeunes gens en délire, tous militants du Mouvement du 20 février (M20), sont venus célébrer une grande victoire : la libération de leur camarade, Mouad Belghouat, plus connu sous son nom d’artiste L7a9ed (invariablement l’enragé, ou l’indigné), à l’issue d’un procès politique proprement surréaliste.
Une heure et demie avant, tout ce beau monde s’était donné rendez-vous au tribunal de première instance de Aïn Sebaâ, où l’affaire L7a9ed, accusé de coups et blessures contre un membre d’une organisation anti-M20, allait se dénouer. Un long moment de suspense a régné dans la célèbre salle N°8 du tribunal, où plusieurs journalistes et militants ont été condamnés par le passé. “Au nom de Sa Majesté le roi, nous condamnons Mouad Belghouat à quatre mois de prison pour coups et blessures sans préméditation”, conclut le juge Jaber, célèbre pour avoir statué dans des affaires politiques (le procès Rachid Niny et, quelques années auparavant, le procès… TelQuel), avant de quitter précipitamment la salle d’audience. Malgré sa condamnation, Mouad, qui a déjà séjourné quatre mois à Oukacha, est enfin libre. Victoire ! Une incroyable manifestation de liesse a alors lieu à l’intérieur même du tribunal et partout autour. “Vive le peuple !” crient les amis de L7a9ed, qui se congratulent et n’arrivent plus à retenir leurs larmes, le tout sous le crépitement des flashs des appareils photo et les caméras des agences de presse, présentes en masse pour couvrir l’évènement.
De Oukacha à Oukacha
Une fois libre, L7a9ed ne s’est pas retourné une seule fois vers la porte de la prison. Pas la peine. Déjà oublié. Oukacha, ce n’est pas pour lui. Le rappeur lève la tête bien haut, et lâche un petit sourire au contact de la foule venue le saluer. La journée sera longue et elle ne fait que commencer. Mouad choisit de partir se reposer chez son frère et ses copains, déterminés à fêter en grande pompe sa “libération”, le devancent à son domicile familial, pour préparer le menu de la soirée à venir. Dans son quartier, qui s’appelle aussi Oukacha, un no man’s land à la périphérie de Hay Hassani, les “indignés” marocains et les voisins de Mouad ont installé une scène dans la rue. Ils se sont débrouillés pour mettre en place un sound system bon marché, en attentant l’apparition de leur héros, invité à se produire en live, en pleine rue.
Les militants d’Al Adl Wal Ihsane, qui ont pourtant déserté les rangs du M20, sont aussi de la partie. Leur “crooner”, Rachid Ghoulam, en a même profité pour faire un discours au nom de la Jamaâ de Cheikh Yassine. Très attendu, L7a9ed descend de sa maison, sacrifie au rituel bain de foule, et monte tout de suite sur scène. Avec les mots simples d’un rappeur ould chaâb, il remercie tout le monde et, rejoint par ses co-rappeurs, “performe” trois chansons, répétées en chœur par le public, surtout les enfants du quartier, qui connaissent les paroles par cœur.
Mouad exulte mais, malgré son grand sourire, il ne s’est pas encore remis de ses émotions. Il a des choses à dire, à faire, à rattraper, lui qui a été l’une des chevilles ouvrières de la coordination de Casablanca du Mouvement du 20 février.
“Tu peux tout chanter mais évite le roi !”
Retour sur l’affaire. Tout a commencé dans la soirée du vendredi 9 septembre 2011. Mouad et ses camarades distribuent des tracts appelant à une marche du M20 quand ils sont surpris par la présence d’un certain “Taliyani”, de son vrai nom Mohamed Dali, criant “Mouad le traître”. Il s’ensuit, évidemment, un accrochage mais “sans violence physique”, selon Mouad et ses témoins. La suite est plus étonnante. Le soir même, le rappeur reçoit un appel téléphonique. à l’autre bout du fil, la police de son quartier le convoque instamment au poste. Mohamed Dali a porté plainte contre lui. Selon la déposition de “Taliyani”, Mouad l’aurait frappé sur la nuque, causant sa chute et une perte de connaissance… Après le coup de fil de la police, Mouad se présente donc au commissariat de son quartier, “J’avais porté plainte contre la même personne pour harcèlement, et ils ont noté mon numéro de téléphone. C’est comme ça que les policiers ont pu me joindre facilement”. Reçu au commissariat, il s’entretient avec deux agents de la police judiciaire. Dans un premier temps, la plainte de “Taliyani” n’est même pas évoquée. “On me parlait de mes activités dans le quartier, on me posait toutes sortes de questions, tout l’interrogatoire était dédié à mon appartenance au M20”.
L’échange s’étale sur plusieurs heures et les agents de police en arrivent à l’essentiel. La plainte de “Taliyani” ? Non, les chansons de L7a9ed. Les policiers sont clairs : “Tu peux tout chanter mais évite le roi”.
Le lendemain, un samedi, Mouad rencontre le procureur, mais l’entrevue est brève, ce dernier n’ayant visiblement pas tous les éléments pour donner suite à “l’affaire” en cours de montage. Le dimanche, la police emmène Mouad au Centre hospitalier Ibn Rochd, où il va confronter sa version avec celle de Taliyani. “Quand j’étais dans le véhicule de la police, j’ai entendu un agent parler à son chef, lui expliquant que le médecin refusait de remettre le certificat médical à Taliyani”. Après prolongation de sa garde à vue, Mouad est officiellement placé en détention.
(àsuivre)
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