L’Islamisme et l’Empire, un flirt qui perdure
Fethi GHARBI
Le ciel du "printemps arabe" s'assombrit par l'ouest. Les belles et éphémères éclaircies des révoltes tunisienne et égyptienne se rembrunissent. Face à l'imminence de ce grain dévastateur, une bonne partie de l'intelligentsia arabe continue de baigner dans sa léthargie légendaire, confondant le présent avec le passé, obsédée par son fantasme du retour au sein maternel.
Qui ne se souvient de la « grande révolte arabe » contre l'empire ottoman agonisant ?! L'historie serait-elle un éternel recommencement ?!
Il y a tout juste cent ans, Hypnotisés par l' Occident, manipulés par les Français et les Britanniques, les Arabes de la péninsule aidaient à porter le coup de grâce aux Ottomans.
Leur nationalisme fougueux fut savamment exploité par les grandes puissances de l'époque et se transforma en piège mortel. Mais il n y avait pas que les arabes qui fussent instrumentalisés ; usant du même stratagème, les puissances occidentales ont oeuvré à exacerber le nationalisme turc tout en poussant la communauté chrétienne à la révolte. C'est en dressant les ethnies et les confessions les unes contre les autres que l'Occident parvient à faire imploser l'empire Ottoman. Le rêve naïf de libération arabe a vite viré au cauchemar à la suite des accords franco-britanniques de Sykes-Picot. Balkanisé, le Proche-Orient ne se relèvera plus et continue jusqu'à nos jours à être miné par les dissensions internes, confessionnelles, ethniques et politiques entretenues par Londres Paris et Washington.
Ayant failli aux promesses faites à Hussein ibn Ali, Chérif de la Mecque, les Britanniques et les Français s'employèrent après la première guerre mondiale à dépecer et à coloniser le Proche et Moyen Orient. Une anecdote riche en significations a marqué les péripéties de cette guerre coloniale : juste après l'occupation de Damas par l'armée française, le Général Gouraud, confondant francs et français, se rendit devant le tombeau de Saladin et prononça cette phrase demeurée célèbre : " Nous voici de retour ". Presque mille ans d'histoire n'ont pas suffit aux Occidentaux de digérer la défaite des croisés envahisseurs face à Salah Eddine. Cette attitude revancharde continue à alimenter l'imaginaire occidental et sert depuis des siècles de substrat idéologique à tous les projets coloniaux visant l' Orient.
Dès la fin du XVIIIème siècle, les arabes répondaient à l'expansion européenne et à la domination ottomane en empruntant deux cheminements opposés. C'est au moment même où Mohammed Ali mettait en œuvre un projet de rénovation de l’Égypte considéré par les historiens comme l'amorce de la renaissance arabe( Nahda) que se répondait en Arabie le courant salafiste, le wahhabisme. Mohammed Ali et son fils Ibrahim Pacha adhéraient pleinement à un projet de nation arabe qui rassemblerait tous les Arabes de l'Égypte à la Mésopotamie. Ils oeuvrèrent à l'émergence d'une renaissance intellectuelle, sociale et culturelle sans précédent et aidèrent au développement de l'agriculture et de l'industrie. Mohammed Ali s'appuya sur une jeune génération d'oulémas réformistes de l'envergure du cheikh Rifa'a al-Tahtawi. Ces oulémas ne voyaient pas de contradiction entre l'islam et la modernité et soutenaient la plupart des réformes. A la fin du XIXème siècle le mouvement nationaliste arabe touche la Grande Syrie. Le sentiment de plus en plus fort d'être dominé par les Turcs provoqua le rapprochement des chrétiens et des musulmans autour de leur identité arabe. Ce nationalisme avant tout culturel et moderniste finissait par céder le pas dès 1880 à un nationalisme politisé et revendicatif . La répression ottomane du mouvement nationaliste arabe qui a suivi la révolution Jeunes-Turcs de 1908, développa du Machrek au Maghreb une radicalisation nationaliste revendiquant un gouvernement non confessionnel sur l'ensemble des territoires arabes.
A la veille de la première guerre mondiale, Paris est devenu la capitale des différents mouvements nationalistes arabes. Il faut dire que depuis un bon moment Londres et Paris ne tarissaient pas d'effort pour provoquer les dissensions entre groupes ethniques et confessionnels au sein de l'empire ottoman. En pleine guerre mondiale, le Chérif de la Mecque, Hussein ibn Ali, sollicité par les nationalistes arabes, poussé par les britanniques et les français, s'engagea militairement contre les ottomans. La création d'un État arabe unifié conduisant la nation dans la voie d'une authentique renaissance ne fut malheureusement qu'une chimère. Trahi à la fin du conflit par les franco-britanniques, Hussein ibn Ali perd même sa province du Hedjaz que les Hachemites ont toujours gardée même sous les Mamelouks et sous les Ottomans.
Bien qu'ouvert sur son époque et moderniste, le nationalisme arabe a été tué dans l’œuf par les Occidentaux alors que c'est sous l’œil bienveillant des Britanniques qu'Abd al Aziz Ibn Saoud s'empare de Riyad en 1902 et se donne le titre politique d’émir du Nejd et celui religieux d’imam des Wahhabites. Il organise en 1912 les Bédouins en "ikhwan" (fratries). Cette force de frappe lui permet alors de reprendre graduellement le pouvoir dans la majeure partie de la péninsule au prix de dizaines de milliers de morts. Ayant observé la neutralité pendant la première guerre mondiale, il parachève en 1924 son oeuvre en chassant de la Mecque le chérif Hussein Ibn Ali. Il est utile de rappeler que depuis le milieu du XVIIIème siècle , l'alliance de Mohammad Ibn Saoud, chef d'une tribu du Nejd et de Mouhammad Ibnou Abdel Wahhab, fondateur de l'école wahhabite a permis de propulser les Saoud à la tête des tribus arabes qui onze siècles après la naissance de l'islam repartaient à la reconquête...du monde musulman. Il est évident que sans son instrumentalisation politique, le wahhabisme, courant unitarien né dans le désert de Nejd, condamnant le luxe somptuaire, brandissant une piété rude et austère, prônant un retour à un Islam dégagé des subtilités des glossateurs et des dévotions adventices n'aurait été qu'un courant réformiste parmi d'autres.
Le soutien de l'Occident au nationalisme islamique est une constante de sa politique proche et moyen-orientale. En effet, tout au long du XIXème siècle, les Britanniques ne cessaient de pousser les Saoud wahhabites à porter des coups répétés aux flancs de l'empire ottoman alors qu'ils se dressaient contre toute velléité de projet nationaliste arabe.
En 1840, ces mêmes Britanniques volaient au secours de leurs ennemis jurés, les Ottomans et mettaient fin aux ambitions panarabes de Mohamed Ali qui après avoir arraché l'Arabie aux Saoud et le Soudan aux Mamelouks, s'empara de la Grande Syrie et avança sur l'Anatolie. En aidant les wahhabites à dominer l'Arabie et ses lieux saints, les occidentaux ont cru pouvoir ainsi marginaliser le monde arabe en le poussant en quelque sorte hors de l'histoire.
L'effondrement de l'empire ottoman a conduit à son éclatement. La société impériale déstructurée se transforme en sociétés féodales malgré les apparences trompeuses. “Ce que nous voulons, disait Lord Crowe, ministre libéral de sa Gracieuse Majesté, ce n’est pas une Arabie unifiée, mais une Arabie fragmentée, divisée en principautés soumises à notre autorité”.
Mais ce qu'oublie de préciser ce même Crowe est cette exception accordée à l'Arabie Saoudite : un pays créé de toutes pièces, d'une superficie de plus de deux millions de km², encensé par les vainqueurs de la première guerre mondiale et échappant à la domination coloniale !..
Les dirigeants européens ont vite compris l'intérêt que représente l'intégrisme wahhabite, une idéologie qui ne peut que renforcer la dislocation du Proche et Moyen-Orient. En plus de l'hémorragie incontrôlable de Sykes-Picot qui affecte sa géographie, le monde arabe perd ses repères historiques et part au galop, à contre-sens, à la recherche de son identité... Les puissances occidentales font ainsi coup double en désorganisant du même coup l'espace et le temps de l'univers arabo-musulman. C'est cette "philosophie" qui constituera l'inlassable leitmotiv géopolitique appliqué par le monde dit libre à cette partie de la planète.
L'instrumentalisation de l'intégrisme musulman par le politique marquera de son sceau tout le XXème siècle. Manipulés , les islamistes continuent de jouer ( probablement à leur insu ) le jeu de l'Empire.
Après la conquête du Hidjaz, Abdelaziz Ibn Saoud signe le 20 mai 1927 avec les Britanniques le traité de Djeddah par lequel il renonce à toute extension du territoire saoudien. Les Ikhwân, désireux de poursuivre le jihad, désobéissent et attaquent l'Irak alors sous mandat britannique. En mars 1929, Abdelaziz écrase alors militairement ceux-là mêmes qui l'ont porté au pouvoir grâce notamment à l'appui de l'aviation britannique.
A suivre ...
Fethi GHARBI
Le ciel du "printemps arabe" s'assombrit par l'ouest. Les belles et éphémères éclaircies des révoltes tunisienne et égyptienne se rembrunissent. Face à l'imminence de ce grain dévastateur, une bonne partie de l'intelligentsia arabe continue de baigner dans sa léthargie légendaire, confondant le présent avec le passé, obsédée par son fantasme du retour au sein maternel.
Qui ne se souvient de la « grande révolte arabe » contre l'empire ottoman agonisant ?! L'historie serait-elle un éternel recommencement ?!
Il y a tout juste cent ans, Hypnotisés par l' Occident, manipulés par les Français et les Britanniques, les Arabes de la péninsule aidaient à porter le coup de grâce aux Ottomans.
Leur nationalisme fougueux fut savamment exploité par les grandes puissances de l'époque et se transforma en piège mortel. Mais il n y avait pas que les arabes qui fussent instrumentalisés ; usant du même stratagème, les puissances occidentales ont oeuvré à exacerber le nationalisme turc tout en poussant la communauté chrétienne à la révolte. C'est en dressant les ethnies et les confessions les unes contre les autres que l'Occident parvient à faire imploser l'empire Ottoman. Le rêve naïf de libération arabe a vite viré au cauchemar à la suite des accords franco-britanniques de Sykes-Picot. Balkanisé, le Proche-Orient ne se relèvera plus et continue jusqu'à nos jours à être miné par les dissensions internes, confessionnelles, ethniques et politiques entretenues par Londres Paris et Washington.
Ayant failli aux promesses faites à Hussein ibn Ali, Chérif de la Mecque, les Britanniques et les Français s'employèrent après la première guerre mondiale à dépecer et à coloniser le Proche et Moyen Orient. Une anecdote riche en significations a marqué les péripéties de cette guerre coloniale : juste après l'occupation de Damas par l'armée française, le Général Gouraud, confondant francs et français, se rendit devant le tombeau de Saladin et prononça cette phrase demeurée célèbre : " Nous voici de retour ". Presque mille ans d'histoire n'ont pas suffit aux Occidentaux de digérer la défaite des croisés envahisseurs face à Salah Eddine. Cette attitude revancharde continue à alimenter l'imaginaire occidental et sert depuis des siècles de substrat idéologique à tous les projets coloniaux visant l' Orient.
Dès la fin du XVIIIème siècle, les arabes répondaient à l'expansion européenne et à la domination ottomane en empruntant deux cheminements opposés. C'est au moment même où Mohammed Ali mettait en œuvre un projet de rénovation de l’Égypte considéré par les historiens comme l'amorce de la renaissance arabe( Nahda) que se répondait en Arabie le courant salafiste, le wahhabisme. Mohammed Ali et son fils Ibrahim Pacha adhéraient pleinement à un projet de nation arabe qui rassemblerait tous les Arabes de l'Égypte à la Mésopotamie. Ils oeuvrèrent à l'émergence d'une renaissance intellectuelle, sociale et culturelle sans précédent et aidèrent au développement de l'agriculture et de l'industrie. Mohammed Ali s'appuya sur une jeune génération d'oulémas réformistes de l'envergure du cheikh Rifa'a al-Tahtawi. Ces oulémas ne voyaient pas de contradiction entre l'islam et la modernité et soutenaient la plupart des réformes. A la fin du XIXème siècle le mouvement nationaliste arabe touche la Grande Syrie. Le sentiment de plus en plus fort d'être dominé par les Turcs provoqua le rapprochement des chrétiens et des musulmans autour de leur identité arabe. Ce nationalisme avant tout culturel et moderniste finissait par céder le pas dès 1880 à un nationalisme politisé et revendicatif . La répression ottomane du mouvement nationaliste arabe qui a suivi la révolution Jeunes-Turcs de 1908, développa du Machrek au Maghreb une radicalisation nationaliste revendiquant un gouvernement non confessionnel sur l'ensemble des territoires arabes.
A la veille de la première guerre mondiale, Paris est devenu la capitale des différents mouvements nationalistes arabes. Il faut dire que depuis un bon moment Londres et Paris ne tarissaient pas d'effort pour provoquer les dissensions entre groupes ethniques et confessionnels au sein de l'empire ottoman. En pleine guerre mondiale, le Chérif de la Mecque, Hussein ibn Ali, sollicité par les nationalistes arabes, poussé par les britanniques et les français, s'engagea militairement contre les ottomans. La création d'un État arabe unifié conduisant la nation dans la voie d'une authentique renaissance ne fut malheureusement qu'une chimère. Trahi à la fin du conflit par les franco-britanniques, Hussein ibn Ali perd même sa province du Hedjaz que les Hachemites ont toujours gardée même sous les Mamelouks et sous les Ottomans.
Bien qu'ouvert sur son époque et moderniste, le nationalisme arabe a été tué dans l’œuf par les Occidentaux alors que c'est sous l’œil bienveillant des Britanniques qu'Abd al Aziz Ibn Saoud s'empare de Riyad en 1902 et se donne le titre politique d’émir du Nejd et celui religieux d’imam des Wahhabites. Il organise en 1912 les Bédouins en "ikhwan" (fratries). Cette force de frappe lui permet alors de reprendre graduellement le pouvoir dans la majeure partie de la péninsule au prix de dizaines de milliers de morts. Ayant observé la neutralité pendant la première guerre mondiale, il parachève en 1924 son oeuvre en chassant de la Mecque le chérif Hussein Ibn Ali. Il est utile de rappeler que depuis le milieu du XVIIIème siècle , l'alliance de Mohammad Ibn Saoud, chef d'une tribu du Nejd et de Mouhammad Ibnou Abdel Wahhab, fondateur de l'école wahhabite a permis de propulser les Saoud à la tête des tribus arabes qui onze siècles après la naissance de l'islam repartaient à la reconquête...du monde musulman. Il est évident que sans son instrumentalisation politique, le wahhabisme, courant unitarien né dans le désert de Nejd, condamnant le luxe somptuaire, brandissant une piété rude et austère, prônant un retour à un Islam dégagé des subtilités des glossateurs et des dévotions adventices n'aurait été qu'un courant réformiste parmi d'autres.
Le soutien de l'Occident au nationalisme islamique est une constante de sa politique proche et moyen-orientale. En effet, tout au long du XIXème siècle, les Britanniques ne cessaient de pousser les Saoud wahhabites à porter des coups répétés aux flancs de l'empire ottoman alors qu'ils se dressaient contre toute velléité de projet nationaliste arabe.
En 1840, ces mêmes Britanniques volaient au secours de leurs ennemis jurés, les Ottomans et mettaient fin aux ambitions panarabes de Mohamed Ali qui après avoir arraché l'Arabie aux Saoud et le Soudan aux Mamelouks, s'empara de la Grande Syrie et avança sur l'Anatolie. En aidant les wahhabites à dominer l'Arabie et ses lieux saints, les occidentaux ont cru pouvoir ainsi marginaliser le monde arabe en le poussant en quelque sorte hors de l'histoire.
L'effondrement de l'empire ottoman a conduit à son éclatement. La société impériale déstructurée se transforme en sociétés féodales malgré les apparences trompeuses. “Ce que nous voulons, disait Lord Crowe, ministre libéral de sa Gracieuse Majesté, ce n’est pas une Arabie unifiée, mais une Arabie fragmentée, divisée en principautés soumises à notre autorité”.
Mais ce qu'oublie de préciser ce même Crowe est cette exception accordée à l'Arabie Saoudite : un pays créé de toutes pièces, d'une superficie de plus de deux millions de km², encensé par les vainqueurs de la première guerre mondiale et échappant à la domination coloniale !..
Les dirigeants européens ont vite compris l'intérêt que représente l'intégrisme wahhabite, une idéologie qui ne peut que renforcer la dislocation du Proche et Moyen-Orient. En plus de l'hémorragie incontrôlable de Sykes-Picot qui affecte sa géographie, le monde arabe perd ses repères historiques et part au galop, à contre-sens, à la recherche de son identité... Les puissances occidentales font ainsi coup double en désorganisant du même coup l'espace et le temps de l'univers arabo-musulman. C'est cette "philosophie" qui constituera l'inlassable leitmotiv géopolitique appliqué par le monde dit libre à cette partie de la planète.
L'instrumentalisation de l'intégrisme musulman par le politique marquera de son sceau tout le XXème siècle. Manipulés , les islamistes continuent de jouer ( probablement à leur insu ) le jeu de l'Empire.
Après la conquête du Hidjaz, Abdelaziz Ibn Saoud signe le 20 mai 1927 avec les Britanniques le traité de Djeddah par lequel il renonce à toute extension du territoire saoudien. Les Ikhwân, désireux de poursuivre le jihad, désobéissent et attaquent l'Irak alors sous mandat britannique. En mars 1929, Abdelaziz écrase alors militairement ceux-là mêmes qui l'ont porté au pouvoir grâce notamment à l'appui de l'aviation britannique.
A suivre ...
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