Le vent de mon pays
souffle, hurle, gronde
sur la terre humide qu’il balaie
il trace des figures
il grave un passé
le mien, le tien, celui de chacun
son bruit me rappelle une symphonie
celle que tu susurrais à mon oreille chaque nuit
Avant, il y a longtemps déjà
aujourd’hui, ce soir, cette nuit
seules les empreintes de la vie
me reviennent à l’esprit et
la pluie tenace, le vent têtu
reviennent comme chaque année
et me ramènent à toi
aussi loin que tu sais
me rappellent encore
que j’ai un corps que j’ai une voix
que j’élève en offrande à toi.
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Nous marchions
La tête haute, le regard perdu
Tu parlais d’un monde merveilleux
Qui viendrait car nous le voulons
Dans ce monde, disais-tu
Les enfants ne connaitront plus la misère
Les mamans n’abandonneront plus leurs bébés
Les femmes ne seraient plus battues
Méprisées, avilies
Nous marchions encore et toujours
Comme des fous et des damnés
Lorsque nous sommes arrivés
Déjà je rêvais.
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Cette femme n’est pas seule
Elle est comme tant d’autres
Victime de l’exploitation
Du pouvoir des laquais
De New York et de Paris
Quand je l’ai vue
Son visage était calme
Un masque livide
Qui couve la terreur
Qui cache la douleur
Car l’homme qu’elle a aimé
Aujourd’hui l’a trahie
Il a prétexté l’adultère
Pour la jeter en prison
Et l’arracher à ses enfants
Le fer creuse son coeur
Si fort
Qu’elle a vomi du sang
Et elle est là
Gisante et souffrante
Réclamant justice à mille dieux
Mais les assassins veulent l’achever
Car elle est du peuple
Qui demain prendra l’arme
Pour la libérer.
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La prison, c'est laid
Tu la dessines, mon enfant
Avec des traits noirs
Des barreaux et des grilles
Tu imagines que c'est un lieu sans lumière
Qui fait peur aux petits
Aussi pour l'indiquer
Tu dis que c'est là-bas
Et tu montres avec ton petit doigt
Un point, un coin perdu
Que tu ne vois pas
Peut être la maîtresse t'a parlé
De prison hideuse
De maison de correction
Où l'on met les méchants
Qui volent les enfants
Dans ta petite tête
S'est alors posé une question
Comment et pourquoi
Moi qui suis pleine d'amour pour toi
Et tous les autres enfants
Suis-je là-bas ?
Parce que je veux que demain
La prison ne soit plus là
Saida Menebhi est née en 1952 à Marrakech. Professeur d’anglais. Membre de l’UNEM (Union Nationale des Étudiants du Maroc) puis de de l’UMT (Union Marocaine du Travail) et de l’organisation Ilal Amam.
Le 16 janvier 1976 à Rabat, elle est arrêtée et incarcérée au tristement célèbre centre "clandestin" de torture de Casablanca "Derb Moulay Chérif" où elle subit des tortures physiques et psychologiques.
En janvier 1977, elle est jugée à Casablanca, avec 138 autres inculpés, pour atteinte à la sûreté de l’État. Au procès, elle dénoncera entre autres la situation d’oppression que vivent les femmes au Maroc... Elle est condamnée à 5 ans de détention, plus deux ans pour outrages à magistrat.
Le 11 décembre 1977, elle meurt après 34 jours de grève de la faim, à l’âge de 25 ans.