Les crimes commis par le régime militaire algérien sous couvert de lutte contre le terrorisme ont été blanchis dans la presse internationale par des agents d’influence. Au centre de ce dispositif, observe Lounis Aggoun dans un entretien avec Silvia Cattori, des tireurs de ficelles (Jacques Attali, Bernard-Henry Lévy, etc.) et des second couteaux peu scrupuleux (Yasmina Khadra, Daniel Leconte, Xavier Raufer, Mohamed Sifaoui etc.).
Cet entretien fait suite à :
« Algérie : Les années de sang et les complicités de la France ».
Silvia Cattori : En 1999 les téléspectateurs francophones ont pu voir, horrifiés, « Bentalha autopsie d’un massacre » [1] ; ce reportage montrait que, dans la nuit du 22 au 23 septembre 1997, l’armée algérienne avait sauvagement tué quelque deux cents villageois. En vous lisant on comprend que ces révélations n’avaient alors pas réussi à lever le voile sur les crimes d’État. Notamment à cause de « l’influence de Bernard-Henri Lévy [2] et d’une brochette d’intellectuels négatifs, André Glucksmann [3], Denis Jeambar [4], Daniel Leconte [5], etc.), bien secondés par des hommes politiques influents », dont Jack Lang et Hubert Védrine. Pouvez-vous expliciter comment cette « influence » s’est manifestée ?
Lounis Aggoun : Il faut d’abord saluer la rédaction de France 2 qui a eu le courage de présenter ce document ; il y avait à cette époque Paul Nahon et Bernard Benyamin. Elle n’a plus osé reproduire l’expérience, depuis notamment qu’Arlette Chabot en a été nommée directrice et où la culture du mensonge a atteint une apogée.
Concernant Bernard-Henri Lévy (surnommé BHL), on connaît son rôle habituel dans la galaxie médiatique et l’influence néfaste qu’il a exercée en 1998 en publiant dans Le Monde – à la suite d’une visite de deux jours sous escorte militaire en Algérie – un texte où il exonérait les généraux algériens de tous leurs crimes, hormis peut-être, disait-il, celui d’incompétence.
Permettez que je cite un extrait de la réponse de Pierre Bourdieu à Bernard-Henri Lévy, qu’aucun média n’a jugé opportun de publier, et qui illustre bien le personnage :
« Tous ceux qui ont été là, jour après jour, pendant des années, pour recevoir les réfugiés algériens, […] qui se sont mobilisés, dès juin 1993, dès les premiers assassinats, non seulement pour apporter secours et protection autant que c’était possible, mais pour essayer de s’informer et d’informer, de comprendre et de faire comprendre une réalité complexe, et qui se sont battus, inlassablement […] pour arracher la crise algérienne aux visions unilatérales, tous ces intellectuels de tous les pays qui se sont unis pour combattre l’indifférence ou la xénophobie, pour rappeler au respect de la complexité du monde en dénouant les confusions, délibérément entretenues par certains, ont soudain découvert que tous leurs efforts pouvaient être détruits, anéantis, en deux temps trois mouvements. Deux articles écrits au terme d’un voyage sous escorte, programmé, balisé, surveillé par les autorités ou l’armée algérienne, qui seront publiés dans le plus grand quotidien français, quoique bourrés de platitudes et d’erreurs et tout orientés vers une conclusion simpliste, bien faite pour donner satisfaction à l’apitoiement superficiel et à la haine raciste, maquillée en indignation humaniste. Un meeting unanimiste regroupant tout le gratin de l’intelligentsia médiatique et des hommes politiques allant du libéral intégriste à l’écologiste opportuniste en passant par la passionaria des “éradicateurs” [6]. Une émission de télévision parfaitement unilatérale sous des apparences de neutralité. Et le tour est joué. Le compteur est remis à zéro. L’intellectuel négatif a rempli sa mission : qui voudra se dire solidaire des égorgeurs, des violeurs et des assassins, – surtout quand il s’agit de gens que l’on désigne, sans autre attendu historique, comme des “fous de l’islam”, enveloppé sous le nom honni d’islamisme, condensé de tous les fanatismes orientaux, bien fait pour donner au mépris raciste l’alibi indiscutable de la légitimité éthique et laïque ? […] » [7]
Bernard-Henri Lévy, ce médiocre penseur présenté partout comme un intellectuel, cet essayiste engagé aux côtés des puissants — en l’occurrence, des criminels de masse — a réussi à mettre sous chape un mouvement d’opinion naissant en France, favorable au peuple algérien.
Cela se passait quelques mois après le massacre de Bentalha où, rappelons-le, les militaires qu’il exonérait ainsi de toute responsabilité, avaient planifié et exécuté — en encadrant des escadrons de la mort constitués de terroristes « islamistes » à leur solde — le massacre indicible d’un millier de personnes en quelques heures de la nuit, dans un secteur soigneusement balisé par l’armée qui, pour toute intervention, s’est bornée à empêcher les populations des villages voisins de porter secours aux assiégés, et à barrer la route aux victimes pour les forcer à regagner les lieux du massacre.
Le jour où cette vérité — que ne contestent que ces « agents » de la désinformation — sera admise par les médias, Bernard-Henri Lévy apparaîtra sous son vrai visage : celui du complice de bien des crimes de masse, de bien des crimes contre l’humanité, et le receleur des spoliations qui en découlent. En attendant, il est considéré comme le philosophe contemporain le plus talentueux du monde.
En vérité, les élucubrations de Bernard-Henri Lévy ne font illusion que dans le microcosme médiatique-politique français qui, contre l’évidence, et de façon délibérée, tente d’imposer une vision binaire du monde où il y a d’un côté les bons démocrates, eux, le Bien, et de l’autre les « islamo-terroristes » et leurs complices, c’est-à-dire tous ceux qui ne prennent pas ce qu’ils professent pour argent comptant, le Mal. Et si Bernard-Henri Lévy a cette influence, c’est qu’il peut compter sur de solides soutiens dans les médias.
Sur Arte, une chaîne télévisuelle qui ne manque pourtant pas de compétences, de journalistes et d’historiens intègres, Daniel Leconte sévit en potentat et semble détenir un pouvoir exorbitant. Qu’il y officie comme journaliste à l’éthique problématique, passe encore, étant donné que c’est le sport national. Mais il est aussi copropriétaire — avec Bernard-Henri Lévy — d’une maison de production, Docs en stock, où il réalise des films très contestables du point de vue de la déontologie et de la rigueur. Arte et France télévisions sont devenus un terrain conquis où tous ses films sont diffusés, sans restriction. Les trusts sont interdits dans tous les domaines, sauf dans les médias, où Bernard-Henri Lévy et Daniel Leconte jouent sur du velours.
C’est donc dans ce cadre qu’Arte a organisé une soirée Thema où Bernard-Henri Lévy et Leconte ont déversé leur fiel sur le plateau et au travers de reportages où la partialité était le moindre de leurs défauts. Le matraquage fait ensuite son œuvre, le dogme défendu par cette cohorte malfaisante étant le suivant : les tueurs à l’œuvre en Algérie étaient, de manière évidente, uniquement les fanatiques islamistes comme l’affirmaient les généraux au pouvoir ! Ainsi décrétés innocents par essence, les vrais criminels, pour l’essentiel des agents du DRS (Département du renseignement et de la sécurité), des escadrons de la mort, des ninjas, des milices, purent poursuivre leur œuvre en toute impunité. Et si, ma foi, quelques dérapages étaient à déplorer, ils étaient selon lui parfaitement excusables puisqu’ils avaient pour mission pionnière de barrer la route à la « barbarie islamiste » menaçant la France et l’Occident.
Cet entretien fait suite à :
« Algérie : Les années de sang et les complicités de la France ».
Silvia Cattori : En 1999 les téléspectateurs francophones ont pu voir, horrifiés, « Bentalha autopsie d’un massacre » [1] ; ce reportage montrait que, dans la nuit du 22 au 23 septembre 1997, l’armée algérienne avait sauvagement tué quelque deux cents villageois. En vous lisant on comprend que ces révélations n’avaient alors pas réussi à lever le voile sur les crimes d’État. Notamment à cause de « l’influence de Bernard-Henri Lévy [2] et d’une brochette d’intellectuels négatifs, André Glucksmann [3], Denis Jeambar [4], Daniel Leconte [5], etc.), bien secondés par des hommes politiques influents », dont Jack Lang et Hubert Védrine. Pouvez-vous expliciter comment cette « influence » s’est manifestée ?
Lounis Aggoun : Il faut d’abord saluer la rédaction de France 2 qui a eu le courage de présenter ce document ; il y avait à cette époque Paul Nahon et Bernard Benyamin. Elle n’a plus osé reproduire l’expérience, depuis notamment qu’Arlette Chabot en a été nommée directrice et où la culture du mensonge a atteint une apogée.
Concernant Bernard-Henri Lévy (surnommé BHL), on connaît son rôle habituel dans la galaxie médiatique et l’influence néfaste qu’il a exercée en 1998 en publiant dans Le Monde – à la suite d’une visite de deux jours sous escorte militaire en Algérie – un texte où il exonérait les généraux algériens de tous leurs crimes, hormis peut-être, disait-il, celui d’incompétence.
Permettez que je cite un extrait de la réponse de Pierre Bourdieu à Bernard-Henri Lévy, qu’aucun média n’a jugé opportun de publier, et qui illustre bien le personnage :
« Tous ceux qui ont été là, jour après jour, pendant des années, pour recevoir les réfugiés algériens, […] qui se sont mobilisés, dès juin 1993, dès les premiers assassinats, non seulement pour apporter secours et protection autant que c’était possible, mais pour essayer de s’informer et d’informer, de comprendre et de faire comprendre une réalité complexe, et qui se sont battus, inlassablement […] pour arracher la crise algérienne aux visions unilatérales, tous ces intellectuels de tous les pays qui se sont unis pour combattre l’indifférence ou la xénophobie, pour rappeler au respect de la complexité du monde en dénouant les confusions, délibérément entretenues par certains, ont soudain découvert que tous leurs efforts pouvaient être détruits, anéantis, en deux temps trois mouvements. Deux articles écrits au terme d’un voyage sous escorte, programmé, balisé, surveillé par les autorités ou l’armée algérienne, qui seront publiés dans le plus grand quotidien français, quoique bourrés de platitudes et d’erreurs et tout orientés vers une conclusion simpliste, bien faite pour donner satisfaction à l’apitoiement superficiel et à la haine raciste, maquillée en indignation humaniste. Un meeting unanimiste regroupant tout le gratin de l’intelligentsia médiatique et des hommes politiques allant du libéral intégriste à l’écologiste opportuniste en passant par la passionaria des “éradicateurs” [6]. Une émission de télévision parfaitement unilatérale sous des apparences de neutralité. Et le tour est joué. Le compteur est remis à zéro. L’intellectuel négatif a rempli sa mission : qui voudra se dire solidaire des égorgeurs, des violeurs et des assassins, – surtout quand il s’agit de gens que l’on désigne, sans autre attendu historique, comme des “fous de l’islam”, enveloppé sous le nom honni d’islamisme, condensé de tous les fanatismes orientaux, bien fait pour donner au mépris raciste l’alibi indiscutable de la légitimité éthique et laïque ? […] » [7]
Bernard-Henri Lévy, ce médiocre penseur présenté partout comme un intellectuel, cet essayiste engagé aux côtés des puissants — en l’occurrence, des criminels de masse — a réussi à mettre sous chape un mouvement d’opinion naissant en France, favorable au peuple algérien.
Cela se passait quelques mois après le massacre de Bentalha où, rappelons-le, les militaires qu’il exonérait ainsi de toute responsabilité, avaient planifié et exécuté — en encadrant des escadrons de la mort constitués de terroristes « islamistes » à leur solde — le massacre indicible d’un millier de personnes en quelques heures de la nuit, dans un secteur soigneusement balisé par l’armée qui, pour toute intervention, s’est bornée à empêcher les populations des villages voisins de porter secours aux assiégés, et à barrer la route aux victimes pour les forcer à regagner les lieux du massacre.
Le jour où cette vérité — que ne contestent que ces « agents » de la désinformation — sera admise par les médias, Bernard-Henri Lévy apparaîtra sous son vrai visage : celui du complice de bien des crimes de masse, de bien des crimes contre l’humanité, et le receleur des spoliations qui en découlent. En attendant, il est considéré comme le philosophe contemporain le plus talentueux du monde.
En vérité, les élucubrations de Bernard-Henri Lévy ne font illusion que dans le microcosme médiatique-politique français qui, contre l’évidence, et de façon délibérée, tente d’imposer une vision binaire du monde où il y a d’un côté les bons démocrates, eux, le Bien, et de l’autre les « islamo-terroristes » et leurs complices, c’est-à-dire tous ceux qui ne prennent pas ce qu’ils professent pour argent comptant, le Mal. Et si Bernard-Henri Lévy a cette influence, c’est qu’il peut compter sur de solides soutiens dans les médias.
Sur Arte, une chaîne télévisuelle qui ne manque pourtant pas de compétences, de journalistes et d’historiens intègres, Daniel Leconte sévit en potentat et semble détenir un pouvoir exorbitant. Qu’il y officie comme journaliste à l’éthique problématique, passe encore, étant donné que c’est le sport national. Mais il est aussi copropriétaire — avec Bernard-Henri Lévy — d’une maison de production, Docs en stock, où il réalise des films très contestables du point de vue de la déontologie et de la rigueur. Arte et France télévisions sont devenus un terrain conquis où tous ses films sont diffusés, sans restriction. Les trusts sont interdits dans tous les domaines, sauf dans les médias, où Bernard-Henri Lévy et Daniel Leconte jouent sur du velours.
C’est donc dans ce cadre qu’Arte a organisé une soirée Thema où Bernard-Henri Lévy et Leconte ont déversé leur fiel sur le plateau et au travers de reportages où la partialité était le moindre de leurs défauts. Le matraquage fait ensuite son œuvre, le dogme défendu par cette cohorte malfaisante étant le suivant : les tueurs à l’œuvre en Algérie étaient, de manière évidente, uniquement les fanatiques islamistes comme l’affirmaient les généraux au pouvoir ! Ainsi décrétés innocents par essence, les vrais criminels, pour l’essentiel des agents du DRS (Département du renseignement et de la sécurité), des escadrons de la mort, des ninjas, des milices, purent poursuivre leur œuvre en toute impunité. Et si, ma foi, quelques dérapages étaient à déplorer, ils étaient selon lui parfaitement excusables puisqu’ils avaient pour mission pionnière de barrer la route à la « barbarie islamiste » menaçant la France et l’Occident.
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