Lynchages publics, vendetta : la justice populaire s’impose en Égypte
29/03/2013, France24
Plusieurs villages égyptiens ont été le théâtre, ces derniers mois, d’actes de lynchage d’une extrême cruauté. Souvent, les corps sans vie des personnes accusées sont pendus par la foule dans le village. Encore sous le choc, deux Observateurs habitant dans ces zones reculées, où l’ultra-violence semble se banaliser, témoignent.
Le dernier acte de lynchage recensé a eu lieu dans le village de Mahallat Ziyad, dans le gouvernorat de Gharbeya, dimanche 17 mars. Deux Égyptiens accusés de vol ont été battus à mort par la foule et leurs corps ont été pendus en public. Capturés par des habitants, les deux hommes étaient accusés d’avoir tenté de kidnapper une fillette de quatre ans et, pour se faire, d’avoir volé un pousse-pousse.
Comme dans la plupart des actes de lynchage, cette scène a été largement filmée par les habitants. Les images, insoutenables, des corps des deux hommes ensanglantés, dénudés et exposés au public, ont fait le tour des réseaux sociaux. Nous avons choisi de n’en diffuser qu’une capture d’écran.
Cet acte extrême n’est malheureusement pas isolé. Dans le gouvernorat d'Ach-Charqiya (dans l'est de l’Égypte), pas moins de 17 lynchages ont été recensés depuis la révolution de 2011. La vidéo de l'un d'entre eux, commis à l’encontre d’un meurtrier présumé et de son complice dans le village de Hassyniya en février dernier, a été diffusée il y a quelques jours sur Internet. Accusé d’avoir tué son cousin qu’il avait kidnappé dans le but d’obtenir une rançon, un homme et son présumé complice ont été battus à mort, brûlés et pendus par les pieds à un poteau par une foule déchaînée. On entend un homme crier : "C’est Hussein, il a tué son cousin pour de l’argent. Justice t’a été rendue mon fils, justice t’a été rendue !"
Le ministre égyptien de la Justice, Ahmed Mekki, a vivement dénoncé ces actes dans les médias affirmant que "le fait que les citoyens se fassent eux même justice face aux 'baltaguia' et aux bandits signifie la mort de l’État ". Et d’avouer l’échec des autorités : "Un gouvernement qui ne peut pas protéger les citoyens est un gouvernement injuste ".
Accusée de laxisme, la police a, elle, dénoncé un manque de moyens et d’effectifs qui l’empêchent d’accomplir ses missions, alors que le pays doit faire face à une explosion de la criminalité.
J’ai peur que le pays plonge dans un véritable climat de guerre civile"
Mustapha Amine est un militant associatif qui habite à Mahallat Ziyad, village de Gharbeya où le dernier lynchage a eu lieu.
La police est débordée car elle doit gérer les nombreuses manifestations et marches qui secouent le pays depuis la chute de Moubarak en janvier 2011. Cette situation a favorisé une forte montée de la criminalité, une multiplication des kidnappings et des vols à main armée. Comme la police a déserté les rues, de nombreux citoyens ont récemment constitué des groupes d’autodéfense pour se protéger, et c’est un de ces groupes qui a lynché les deux hommes à Mahallat Ziyad.
Je considère que le procureur général, Talaat Ibrahim, est en grande partie responsable de ce qui s’est passé dans notre village. Récemment, il n’a pas trouvé mieux que de lancer, au début du mois de mars, un appel aux citoyens pour arrêter eux-mêmes les personnes prises en flagrant délit de vol ou de vandalisme, afin de pallier l’absence des policiers qui étaient alors en grève. Il a encouragé ainsi la population à se faire justice elle-même.
C’est une décision catastrophique qui ouvre la porte à toutes les dérives. N’importe qui peut désormais accuser un voisin ou un collègue de travail qu’il n’apprécie pas d’un crime et inciter les gens à le tuer. D’ailleurs, qui dit que les deux hommes qui ont été lynchés à Mahallat Ziyad sont coupables ? On a raconté qu’ils avaient volé un pousse-pousse, que c’était des kidnappeurs d’enfants, mais il n’existe aucune preuve de cela. Ils ont été tués et pendus dans une place située en face d’une école où se trouvaient des enfants !
J’espère un retour rapide de la sécurité car si ça continue comme ça, j’ai peur que le pays plonge dans un véritable climat de guerre civile.
À Charqiya, les lynchages existaient avant la révolution mais se sont récemment multipliés"
Hazem Ibrahim vit à Zakazik, ville de la province de Charqiya qui a connu 17 lynchages en deux ans.
Ce type de châtiment qui consiste à frapper à mort et à pendre les criminels sur une place publique s’appelle "al-haraba" [Ce type de punition a également cours en Arabie Saoudite mais est appliqué par les autorités après jugement et non par les citoyens, ndlr].
Malheureusement, quasiment tous les villages du gouvernorat d’al-Charkia sont habitués à se faire justice eux même. Les bandits sont attrapés par la population et battus, parfois à mort. [Dans des cas récents, des bandits ont frappé puis remis à la police]. Ce sont des petits patelins où tout le monde connaît tout le monde et les auteurs de vols et de viols sont donc rapidement identifiés et châtiés par la population. Ces pratiques existaient même avant la révolution et visaient surtout les auteurs de viols. Mais depuis la chute de Moubarak, les scènes de lynchage se sont multipliées. C’est une conséquence directe de la recrudescence de l’insécurité.
Dans la plupart des cas, la police n’intervient pas pour empêcher les lynchages car, à mon avis, elle ne souhaite pas se mettre à dos la population avec qui les relations sont devenues très tendues depuis la révolution. Des enquêtes sont ouvertes sur les derniers cas signalés mais n’ont pas encore abouti. À ma connaissance personne n’a été inculpé pour meurtre après des cas de justice populaire comme ceux là dans la région.
Billet rédigé en collaboration avec Djamel Belayachi, journaliste à France 24.
29/03/2013, France24
Plusieurs villages égyptiens ont été le théâtre, ces derniers mois, d’actes de lynchage d’une extrême cruauté. Souvent, les corps sans vie des personnes accusées sont pendus par la foule dans le village. Encore sous le choc, deux Observateurs habitant dans ces zones reculées, où l’ultra-violence semble se banaliser, témoignent.
Le dernier acte de lynchage recensé a eu lieu dans le village de Mahallat Ziyad, dans le gouvernorat de Gharbeya, dimanche 17 mars. Deux Égyptiens accusés de vol ont été battus à mort par la foule et leurs corps ont été pendus en public. Capturés par des habitants, les deux hommes étaient accusés d’avoir tenté de kidnapper une fillette de quatre ans et, pour se faire, d’avoir volé un pousse-pousse.
Comme dans la plupart des actes de lynchage, cette scène a été largement filmée par les habitants. Les images, insoutenables, des corps des deux hommes ensanglantés, dénudés et exposés au public, ont fait le tour des réseaux sociaux. Nous avons choisi de n’en diffuser qu’une capture d’écran.
Cet acte extrême n’est malheureusement pas isolé. Dans le gouvernorat d'Ach-Charqiya (dans l'est de l’Égypte), pas moins de 17 lynchages ont été recensés depuis la révolution de 2011. La vidéo de l'un d'entre eux, commis à l’encontre d’un meurtrier présumé et de son complice dans le village de Hassyniya en février dernier, a été diffusée il y a quelques jours sur Internet. Accusé d’avoir tué son cousin qu’il avait kidnappé dans le but d’obtenir une rançon, un homme et son présumé complice ont été battus à mort, brûlés et pendus par les pieds à un poteau par une foule déchaînée. On entend un homme crier : "C’est Hussein, il a tué son cousin pour de l’argent. Justice t’a été rendue mon fils, justice t’a été rendue !"
Le ministre égyptien de la Justice, Ahmed Mekki, a vivement dénoncé ces actes dans les médias affirmant que "le fait que les citoyens se fassent eux même justice face aux 'baltaguia' et aux bandits signifie la mort de l’État ". Et d’avouer l’échec des autorités : "Un gouvernement qui ne peut pas protéger les citoyens est un gouvernement injuste ".
Accusée de laxisme, la police a, elle, dénoncé un manque de moyens et d’effectifs qui l’empêchent d’accomplir ses missions, alors que le pays doit faire face à une explosion de la criminalité.
J’ai peur que le pays plonge dans un véritable climat de guerre civile"
Mustapha Amine est un militant associatif qui habite à Mahallat Ziyad, village de Gharbeya où le dernier lynchage a eu lieu.
La police est débordée car elle doit gérer les nombreuses manifestations et marches qui secouent le pays depuis la chute de Moubarak en janvier 2011. Cette situation a favorisé une forte montée de la criminalité, une multiplication des kidnappings et des vols à main armée. Comme la police a déserté les rues, de nombreux citoyens ont récemment constitué des groupes d’autodéfense pour se protéger, et c’est un de ces groupes qui a lynché les deux hommes à Mahallat Ziyad.
Je considère que le procureur général, Talaat Ibrahim, est en grande partie responsable de ce qui s’est passé dans notre village. Récemment, il n’a pas trouvé mieux que de lancer, au début du mois de mars, un appel aux citoyens pour arrêter eux-mêmes les personnes prises en flagrant délit de vol ou de vandalisme, afin de pallier l’absence des policiers qui étaient alors en grève. Il a encouragé ainsi la population à se faire justice elle-même.
C’est une décision catastrophique qui ouvre la porte à toutes les dérives. N’importe qui peut désormais accuser un voisin ou un collègue de travail qu’il n’apprécie pas d’un crime et inciter les gens à le tuer. D’ailleurs, qui dit que les deux hommes qui ont été lynchés à Mahallat Ziyad sont coupables ? On a raconté qu’ils avaient volé un pousse-pousse, que c’était des kidnappeurs d’enfants, mais il n’existe aucune preuve de cela. Ils ont été tués et pendus dans une place située en face d’une école où se trouvaient des enfants !
J’espère un retour rapide de la sécurité car si ça continue comme ça, j’ai peur que le pays plonge dans un véritable climat de guerre civile.
À Charqiya, les lynchages existaient avant la révolution mais se sont récemment multipliés"
Hazem Ibrahim vit à Zakazik, ville de la province de Charqiya qui a connu 17 lynchages en deux ans.
Ce type de châtiment qui consiste à frapper à mort et à pendre les criminels sur une place publique s’appelle "al-haraba" [Ce type de punition a également cours en Arabie Saoudite mais est appliqué par les autorités après jugement et non par les citoyens, ndlr].
Malheureusement, quasiment tous les villages du gouvernorat d’al-Charkia sont habitués à se faire justice eux même. Les bandits sont attrapés par la population et battus, parfois à mort. [Dans des cas récents, des bandits ont frappé puis remis à la police]. Ce sont des petits patelins où tout le monde connaît tout le monde et les auteurs de vols et de viols sont donc rapidement identifiés et châtiés par la population. Ces pratiques existaient même avant la révolution et visaient surtout les auteurs de viols. Mais depuis la chute de Moubarak, les scènes de lynchage se sont multipliées. C’est une conséquence directe de la recrudescence de l’insécurité.
Dans la plupart des cas, la police n’intervient pas pour empêcher les lynchages car, à mon avis, elle ne souhaite pas se mettre à dos la population avec qui les relations sont devenues très tendues depuis la révolution. Des enquêtes sont ouvertes sur les derniers cas signalés mais n’ont pas encore abouti. À ma connaissance personne n’a été inculpé pour meurtre après des cas de justice populaire comme ceux là dans la région.
Billet rédigé en collaboration avec Djamel Belayachi, journaliste à France 24.
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