Dans cette affaire burlesque d’un président malade dont on ne sait s’il est mort ou vivant, s’il est à l’étranger ou en Algérie, s’il est victime d’un accident vasculaire, d’un cancer ou d’une rage de dents, nous faisons peu cas du seul fait qui soit significatif : voilà près d’un mois que l’Algérie est sans président et elle ne s’en porte pas plus mal.
Je veux dire pas plus mal qu’avant. Cela prouve une chose : l’Algérie n’a pas besoin d’être gouvernée. Du moins, pas au sens occidental du terme, celui que vous et moi, créatures contemplatives conditionnées par nos lectures, nos débats enfumés et nos références contemporaines, donnons au mot « gouvernance », c’est-à-dire celle en cours dans les sociétés occidentales régies par la démocratie libérale, où la gouvernance renvoie aux interactions entre l’État, le corps politique et la société. Rien de tout cela chez nous.
En Algérie, la gouvernance se limite au contrôle de la population, les citoyens ne jouant aucun rôle dans la désignation, la reconduction ou la mise à l’écart de Bouteflika qui, en retour, règne sans rien leur devoir. C'est tout le charme de ce que les Russes appellent les vybori bez vybora (élections sans choix). Au demeurant, Bouteflika n’est pas venu pour gouverner, mais pour reprendre « la place qui revenait au clan fondateur du pouvoir », le clan d’Oujda. Il a régné dans la pleine conscience d’ « avoir récupéré son bien », avec tout ce que cela suppose comme mépris du peuple et pour tout ce qui s’est fait avant lui.
Aussi, pour revenir à la question de la santé de notre président, nous passons notre temps, vous et moi, à chercher auprès de confrères occidentaux des réponses adaptées aux démocraties occidentales et qui ne nous servent à rien, un peu comme ces godillots qui ramènent des écrans plasma dans leur village du bled, pas encore raccordé à l’électricité. Nous oublions, ou nous feignons d’oublier que l’Algérie est une république bananière dont le président n’a aucun compte à rendre à la population, ni sur sa bonne santé, ni sur sa maladie, ni sur l’argent du pétrole. Les bulletins médicaux sont une exigence en démocratie.
En autocratie, où la question du pouvoir, de la façon dont s’exerce le pouvoir, est du seul ressort des dirigeants, le bon peuple n’a à s’inquiéter de rien : avec ou sans président, l’état fonctionne. Du reste, seule une élite, ou supposée telle, cherche à savoir la vérité sur la maladie du président. Le bon peuple, lui, ne se pose jamais les mauvaises questions. D’abord parce qu’il en a pas les moyens. Ensuite parce qu’il n’a que faire des réponses. Tout cela ne le regarde pas. Il voit, désormais, la politique comme un loisir réservé à des initiés se souciant exclusivement de leurs intérêts. Au risque de vous décourager, rien de ce qui émeut l’opposition ne perturbe l’Algérien moyen. La politique était et est encore considérée comme une activité sans rapports avec la vie quotidienne de la plupart des gens. La population regarde, de loin, cette foire d’empoigne qui ne la concerne pas. Elle se moque de savoir qui sont les bons et qui sont les méchants puisqu’elle n’a ni la chance de faire partie des premiers ni la malchance de compter parmi les seconds.
Pour dire les choses simplement, dans une démocratie, les gouvernants sont soumis aux gouvernés. À l’inverse, dans un régime autoritaire, les gouvernés sont soumis aux gouvernants. Dans l’Algérie de Bouteflika, la société et l’État se sont mutuellement tourné le dos, en jouant à cache-cache chaque fois que c’était possible. C’est pourquoi, conformément aux vybori bez vybora, personne ne gouverne et personne n’est gouverné et que Bouteflika peut séjourner un mois au Val-de-Grâce sans que son absence ne soit remarquée.
Il est temps pour ceux qui persistent à exiger l’application de l’article 88 de la Constitution, de comprendre deux choses qui me semblent capitales.
La première est que, en régimes autocratiques irresponsables, la constitution n’est pas faite pour être appliquée mais pour servir de faire-valoir aux gouvernants. Aucun dictateur n’a encore promulgué une constitution qui se retournerait contre lui. Les autocraties possèdent toutes des constitutions écrites et souvent bien écrites, des parlements « élus » à intervalles réguliers, une « opposition » et tout le toutim... Et le « président » prend même des gants : il a des mandats de cinq ou six ans et il doit « solliciter » du « peuple » le renouvellement périodique de son mandat perpétuel. Nos roitelets ont bien saisi que, dans un monde où la démocratie et les élections étaient devenues la seule source de légitimité reconnue, il faut faire mine d’organiser des élections et veiller à ce qu’elles n’assurent aucune alternance, comme il faut savoir brandir la constitution quand il le faut.
La seconde vérité dont nos amis légalistes, qui exigent vainement l’application de l’article 88, devraient se rappeler toujours est que la maladie, pour un chef d’État, est handicapante qu’en démocratie. Il est tout à fait concevable pour un autocrate de « gouverner » à partir d’un lit d’hôpital pour toutes les raisons dites précédemment. N’oublions pas que l’Algérie est le seul pays au monde où le Conseil des ministres ne se réunit presque jamais, sans que cela n’émeuve qui que ce soit.
Alors, plutôt que s’épuiser à exiger des droits démocratiques au sein d’une démocratie fictive, nous serions peut-être plus avisés d’ouvrir les yeux et d’entreprendre à bâtir un vrai État et, si possible, une vraie démocratie. Alors, pour nous avoir enseigné cela, la maladie des présidents n’aura pas été tout à fait inutile.
Je veux dire pas plus mal qu’avant. Cela prouve une chose : l’Algérie n’a pas besoin d’être gouvernée. Du moins, pas au sens occidental du terme, celui que vous et moi, créatures contemplatives conditionnées par nos lectures, nos débats enfumés et nos références contemporaines, donnons au mot « gouvernance », c’est-à-dire celle en cours dans les sociétés occidentales régies par la démocratie libérale, où la gouvernance renvoie aux interactions entre l’État, le corps politique et la société. Rien de tout cela chez nous.
En Algérie, la gouvernance se limite au contrôle de la population, les citoyens ne jouant aucun rôle dans la désignation, la reconduction ou la mise à l’écart de Bouteflika qui, en retour, règne sans rien leur devoir. C'est tout le charme de ce que les Russes appellent les vybori bez vybora (élections sans choix). Au demeurant, Bouteflika n’est pas venu pour gouverner, mais pour reprendre « la place qui revenait au clan fondateur du pouvoir », le clan d’Oujda. Il a régné dans la pleine conscience d’ « avoir récupéré son bien », avec tout ce que cela suppose comme mépris du peuple et pour tout ce qui s’est fait avant lui.
Aussi, pour revenir à la question de la santé de notre président, nous passons notre temps, vous et moi, à chercher auprès de confrères occidentaux des réponses adaptées aux démocraties occidentales et qui ne nous servent à rien, un peu comme ces godillots qui ramènent des écrans plasma dans leur village du bled, pas encore raccordé à l’électricité. Nous oublions, ou nous feignons d’oublier que l’Algérie est une république bananière dont le président n’a aucun compte à rendre à la population, ni sur sa bonne santé, ni sur sa maladie, ni sur l’argent du pétrole. Les bulletins médicaux sont une exigence en démocratie.
En autocratie, où la question du pouvoir, de la façon dont s’exerce le pouvoir, est du seul ressort des dirigeants, le bon peuple n’a à s’inquiéter de rien : avec ou sans président, l’état fonctionne. Du reste, seule une élite, ou supposée telle, cherche à savoir la vérité sur la maladie du président. Le bon peuple, lui, ne se pose jamais les mauvaises questions. D’abord parce qu’il en a pas les moyens. Ensuite parce qu’il n’a que faire des réponses. Tout cela ne le regarde pas. Il voit, désormais, la politique comme un loisir réservé à des initiés se souciant exclusivement de leurs intérêts. Au risque de vous décourager, rien de ce qui émeut l’opposition ne perturbe l’Algérien moyen. La politique était et est encore considérée comme une activité sans rapports avec la vie quotidienne de la plupart des gens. La population regarde, de loin, cette foire d’empoigne qui ne la concerne pas. Elle se moque de savoir qui sont les bons et qui sont les méchants puisqu’elle n’a ni la chance de faire partie des premiers ni la malchance de compter parmi les seconds.
Pour dire les choses simplement, dans une démocratie, les gouvernants sont soumis aux gouvernés. À l’inverse, dans un régime autoritaire, les gouvernés sont soumis aux gouvernants. Dans l’Algérie de Bouteflika, la société et l’État se sont mutuellement tourné le dos, en jouant à cache-cache chaque fois que c’était possible. C’est pourquoi, conformément aux vybori bez vybora, personne ne gouverne et personne n’est gouverné et que Bouteflika peut séjourner un mois au Val-de-Grâce sans que son absence ne soit remarquée.
Il est temps pour ceux qui persistent à exiger l’application de l’article 88 de la Constitution, de comprendre deux choses qui me semblent capitales.
La première est que, en régimes autocratiques irresponsables, la constitution n’est pas faite pour être appliquée mais pour servir de faire-valoir aux gouvernants. Aucun dictateur n’a encore promulgué une constitution qui se retournerait contre lui. Les autocraties possèdent toutes des constitutions écrites et souvent bien écrites, des parlements « élus » à intervalles réguliers, une « opposition » et tout le toutim... Et le « président » prend même des gants : il a des mandats de cinq ou six ans et il doit « solliciter » du « peuple » le renouvellement périodique de son mandat perpétuel. Nos roitelets ont bien saisi que, dans un monde où la démocratie et les élections étaient devenues la seule source de légitimité reconnue, il faut faire mine d’organiser des élections et veiller à ce qu’elles n’assurent aucune alternance, comme il faut savoir brandir la constitution quand il le faut.
La seconde vérité dont nos amis légalistes, qui exigent vainement l’application de l’article 88, devraient se rappeler toujours est que la maladie, pour un chef d’État, est handicapante qu’en démocratie. Il est tout à fait concevable pour un autocrate de « gouverner » à partir d’un lit d’hôpital pour toutes les raisons dites précédemment. N’oublions pas que l’Algérie est le seul pays au monde où le Conseil des ministres ne se réunit presque jamais, sans que cela n’émeuve qui que ce soit.
Alors, plutôt que s’épuiser à exiger des droits démocratiques au sein d’une démocratie fictive, nous serions peut-être plus avisés d’ouvrir les yeux et d’entreprendre à bâtir un vrai État et, si possible, une vraie démocratie. Alors, pour nous avoir enseigné cela, la maladie des présidents n’aura pas été tout à fait inutile.
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