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Les oies sauvages jouent aux montagnes russes au-dessus de l’Himalaya

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  • Les oies sauvages jouent aux montagnes russes au-dessus de l’Himalaya

    Elles ne payent pas de mine : une silhouette enrobée, un décollage laborieux, un vol sans grâce et, pour couronner le tout, un chant harmonieux comme un klaxon de scooter. Pourtant, l’oie à tête barrée est une athlète de haut, de très haut niveau. Au cours de sa migration, des plaines de Mongolie où elle niche en été jusqu’aux vallées indiennes où elle passe l’hiver, l’oiseau franchit la plus haute chaîne montagneuse du monde, l’Himalaya. Un exploit qu’un seul autre volatile – la grue demoiselle – parvient à réaliser. Pour la première fois, une équipe internationale dévoile ses secrets dans la revue Science, qui consacre sa couverture à l’événement.


    Car c’est bien d’un mystère qu’il s’agit là. Si la moitié des oiseaux migrent, la plupart d’entre eux ne se hasardent jamais au-dessus de 1 000 mètres, quitte à rallonger leurs parcours. Il faut dire qu’avec l’altitude, bien des paramètres changent. La pression atmosphérique chute de moitié entre le niveau de la mer et 5 500 mètres. La densité de l’air diminue, réduisant les appuis, et l’oxygène se raréfie, privant ainsi l’animal d’énergie. Dans ces conditions extrêmes, voler à 7 290 mètres, record enregistré jusqu’ici, relève de l’exploit.

    Mais la science ne se contente pas d’observer des raretés ; elle doit les expliquer. De précédentes études avaient ainsi montré que les oies à tête barrée disposaient de plus de capillaires pour transporter un sang lui-même plus riche en globules rouges. Quant à leurs muscles, ils concentrent davantage de mitochondries, ces structures qui fournissent aux cellules leur énergie.

    Cette fois, c’est à la nature du vol que les ornithologues se sont attelés. Avec un résultat étonnant : loin de suivre des trajectoires régulières, comme on le supposait jusqu’ici, les oies épousent le relief, quitte à multiplier un dénivelé réputé épuisant. L’équipe conduite par le Pr Charles Bishop, de l’Université de Bangor, au Pays de Galles, le résume en une image : « Les montagnes russes. »



    Pour obtenir ce résultat et en comprendre les raisons physiologiques et biomécaniques, les scientifiques ont profité de la période de trois semaines après la naissance des petits, pendant laquelle les oiseaux ne volent pas, pour équiper trente oies de 2,3 kg en moyenne de mini-capteurs de 30 g. Un an après, ils en ont retrouvé treize. Ils ont ainsi recueilli la position, l’altitude, mais aussi la vitesse des battements d’ailes et la fréquence cardiaque.

    Les observations ont de quoi surprendre. L’ampleur du dénivelé, d’abord, considérable. Sur une période de quinze heures, au cours de laquelle une oie est passée de 3 200 à 4 600 mètres d’altitude, l’oiseau a accompli, en réalité, un dénivelé positif de 6 340 m et négatif de 4 950 m. Une vraie fête foraine. Pourtant, ces mouvements ne tiennent pas du jeu. « Nos calculs montrent qu’une trajectoire ascendante régulière aurait augmenté le coût énergétique de ce parcours de 8 % », écrivent les auteurs.


    L’explication ? Alors que nos championnes battent des ailes en moyenne 3,94 fois par seconde à 2 300 mètres d’altitude, cette fréquence est de 4,35 fois à 4 800 mètres. Une simple augmentation de 5 % (de 4 à 4,2 battements) se traduit par une poussée du rythme cardiaque de 19 % et par une dépense supplémentaire d’énergie de 41 %. Et Charles Bishop, le premier signataire de la publication, de préciser : « L’oie ne plane jamais. Donc une trajectoire horizontale provoque déjà une dépense d’énergie importante. Si bien que, même si elle n’utilise que très peu les courants ascendants, le coût en énergie de ses montées à répétition est moindre que le gain obtenu en évitant la haute altitude et son atmosphère raréfiée. »

    « Des mécaniques de précision »
    Ne se prive-t-elle pas, ainsi, de l’aide des puissants courants aériens ? « Elle en évite surtout les dangers », insiste Charles Bishop. Jean-Philippe Siblet, ornithologue et directeur du service du patrimoine naturel au Museum national d’histoire naturelle, renchérit : « Les oiseaux sont des mécaniques de précision. Ils ont horreur des circonstances qui leur font perdre la maîtrise de leurs mouvements. Ils ne prennent jamais de risques inconsidérés. »

    L’oie à tête barrée n’est pas seule à défrayer la chronique ornithologique. Comme aux Jeux olympiques, chaque discipline a ses champions. C’est la sterne arctique, qui se déplace d’un pôle à l’autre, à la recherche des lumières éternelles : en une vie – jusqu’à vingt-cinq ans –, l’oiseau aura accompli près de trois allers-retours de la Terre à la Lune. C’est la barge rousse, capable de joindre, d’une traite, l’Alaska à la Nouvelle-Zélande, soit plus de 11 600 km. C’est encore le minuscule pouillot fitis, qui déplace ses 10 g de la forêt de Fontainebleau à celle d’Afrique tropicale. Ou encore l’étonnante cigogne, qui, la nuit, utilise les torchères des puits de pétrole pour profiter des courants ascendants.

    Des comportements qui n’en finissent pas d’« éblouir » Charles Bishop. Et qu’il entend bien continuer d’étudier. En fouillant son oiseau fétiche, d’abord. « Figurez-vous que l’oie, quand elle accélère son battement d’ailes, en augmente aussi l’amplitude. Imaginez que vous montiez une côte en vélo en augmentant le rythme de pédalage et le développement en même temps… Pourquoi fait-elle ça ? On l’ignore. » Son autre rêve : s’attaquer à la grue demoiselle. « Les mêmes zones d’habitation, le même exploit, mais par des voies radicalement différentes. » L’Everest par la face nord.

    PAR Nathaniel Herzberg
    Journaliste au Monde
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