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Les trois degrés du luxe

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  • Les trois degrés du luxe

    Trois cercles du luxe

    D’abord, d’après Castarede 41 , au sein des mêmes secteurs du luxe, nous pouvons distinguer trois niveaux différents selon trois cercles dans le luxe :

    Le premier cercle est davantage lié au patrimoine comme des produits de haute gamme, accessible à l’élite. On pense alors aux robes de haute couture, à la haute joaillerie, aux oeuvres d’art, aux belles automobiles aux yachts... Le chiffre mondial est de 20 milliards d’euros. Le luxe se porte, se vit et se devine dans un environnement choisit et restreint.
    Le second cercle est lié à l’image (pour soi ou pour les autres dans le cas des cadeaux) ; il serait constitué de produits plus abordables, en quelque sorte des déclinaisons du super luxe du premier cercle. Il concernerait le prêt-à-porter, les foulards, les accessoires divers, les bagages, les montres, les stylos, etc. Il résulte d’un choix délibéré pour l’achat d’un objet que l’on accepte de payer plus cher à cause de la marque ou d’une connotation valorisante. Le chiffre mondial est de 40 milliards d’euros. Le luxe intermédiaire vire au luxe 100% marketing dont la reconnaissance internationale des marques justifie l’achat.
    Le troisième cercle est lié à l’univers de la qualité supérieure et du mieux être, celui des produits encore plus accessibles, liés à l’univers de la consommation courante, tels que les parfums, les cosmétiques, les spiritueux, la gastronomie, le sport, les loisirs, bref, des produits correspondant aux cinq sens ou plutôt à « l’épanouissement du corps ». Le chiffre mondial est de 40 milliards d’euros.
    Bien que ces trois cercles du luxe se côtoient et se renouvellent de siècle en siècle, évoluant au gré des modes et des techniques de vente ou de distribution, il semble que cette classification en trois types de luxe soit devenue trop rigide et ne convienne plus aux réalités de l’avenir.

    Ensuite, Danielle Allères 42 a aussi adapté une classification à trois niveaux auxquels elle associe des classes sociales d’une part et des différents types de marketing d’autre part : luxe inaccessible, luxe intermédiaire, luxe accessible. La réalité contemporaine des univers du luxe repose sur la cohabitation de différents niveaux du luxe :

    Luxe inaccessible : il s’agit de la distinction absolue. Il est caractérisé par une « fuite en avant » des comportements d’achat d’une classe nantie. C’est le domaine des marques célèbres et des produits leaders les plus précieux, fabriqués en petites séries dans le cadre d’un haut-artisanat prestigieux.
    Luxe intermédiaire : il s’agit de la distinction relative et du « rattrapage » des écarts sociaux pour une classe intermédiaire. C’est un domaine des premières déclinaisons des marques célèbres et des produits prestigieux des jeunes créateurs, effectués en séries limitées.
    Luxe accessible : il s’agit du mimétisme des choix et des usages pour une classe moyenne. C’est un domaine des déclinaisons les plus longues et les plus fines des marques prestigieuses et des jeunes créateurs, effectuées en grand série et parfois entièrement automatisées.
    Nous pouvons résumer en disant que ces deux distinctions sont établies par la hiérarchie des classes sociales et la classification des objets de luxe. Mais pour notre recherche, nous ajoutons une autre forme comprenant trois distinctions de luxe. Il s’agit des « trois moments de luxe : classique, moderne et contemporain» de Marie-Claude Sicard 43 .

    Le produit de luxe est un produit qui raconte une histoire. L’ancienneté n’est pas seulement l’apanage des marques du luxe, pourtant elle permet de donner une légitimité aux clients. Cela suppose que l’histoire soit intéressante, d’où l’importance de la qualité du produit, mais aussi qu’elle intéresse, c’est-à-dire qu’elle corresponde à l’attente du client. Il est vrai qu’il y a une grande tension entre une conception du luxe ouvertement ancrée dans le passé et une autre, sans traditions, presque sans passé, mais délibérément façonnée avec les moyens de son temps.

    Résumons l’explication de Sicard. D’abord, dans le courant du 19ème siècle, l’émergence du luxe classique est dominé par l’objet. C’est l’époque où la « maison » garantit un très haut niveau de fabrication, sans forcément se targuer de bouleverser la mode ou de lancer une création après l’autre. Nous pouvons confirmer ce genre de mouvement dans notre corpus : Bally, Burberry, Cartier, Guerlain, Hermès et Louis Vuitton sont nés à cette époque-là. Les rythmes de mode, d’ailleurs –surtout vestimentaires - sont encore lents. Par exemple, Hermès fabrique des harnais, puis des selles, dans la plus pure tradition. Les commerces de luxe offrent des vêtements, des meubles, des porcelaines ou de l’argenterie au goût du jour, et les rythmes de la consommation s’accélèrent, mais ce qui prime, c’est la beauté de l’objet et la réputation de la « maison ».

    A partir des années 1920, le luxe moderne dominé par le créateur est apparu. Dans notre cas, Chanel, Charles Jourdan, Dior, Gucci, Helena Rubinstein et Lancôme sont des exemples. Chanel en sera l’incarnation et les grands couturiers suivront tous le même chemin. C’est le moment où on commence à diviniser la capacité d’innovation, et où le seul fait de produire du nouveau est une valeur en soi, la plus recherchée de toutes. L’objet de luxe peut être « pauvre » mais il doit toujours être signé d’un créateur dont le mode de vie, les goûts et les caprices sont l’objet d’une vénération que les journaux rapportent en détails. Le goût, spécialement le « bon » goût, s’efface éventuellement derrière la nouveauté de l’objet, qui tire tout son prix du geste créateur qui l’a fait naître.

    Autour de des années 1970, le luxe contemporain dominé par les médias est lancé. Jean-Paul Gaulier et Givenchy en sont les représentants français, bientôt suivis par les Italiens américanisés, Sisley et Versace en tête, plus tard par la relance de Gucci. L’objet de luxe devient le support d’opérations de communication à grande échelle et la publicité ne représente souvent que la partie émergée de l’iceberg. L’important est l’univers global dans lequel il est inséré par le travail direct ou indirect des médias. Le créateur continue de jouer un rôle très important, mais les médias répercutent surtout sa vision du monde, soit sous une forme de construction publicitaire, soit sous une forme de « philosophie » implicite ou explicite, telle qu’elle transparaît à travers les produits, les boutiques, ou les déclarations à la presse.

    D’une part, il y a quelques marques qui bien que nées avec le luxe moderne, ne se comportent pas comme les marques du luxe contemporain : c’est le cas de Dior et Gucci. D’autre part, il y a quelques marques d’origine classique qui n’arrivent pas à se comporter comme le luxe contemporain comme Hermès, Cartier, Guerlain, etc. Ils sont bien de notre époque, mais ils ne se livrent pas aux débauches médiatiques de Dior et Gucci, et n’utilisent pas la publicité ou le merchandising pour se construire un univers spécifique. Dans ces maisons, l’objet de luxe (le parfum, le sac, le bijou) conserve sa prééminence. D’un autre côté, il y a certaines marques qui essaient d’obtenir l’avantage en voulantappartenir à la fois au luxe classique, au luxe moderne et au luxe contemporain. Pour mieux le comprendre, nous prendrons un exemple du secteur de la mode donné par Nicolas Riou :

    ‘ « La mode se complaît à mélanger les époques, à combiner le classicisme et le contemporain. Ainsi les traditionnelles maisons de haute couture française tentent de résister à la concurrence des stylistes anglo-saxons (Paul Smith, Calvin Klein...) et italiens (Prada, Armani, Versace...). Elles font donc appel à de jeunes stylistes très avant-gardistes pour se redonner un côté glamour. Cela sans perdre pour autant les principes qui ont fait leur succès dans les années cinquante et qui les érigent en grands classiques de la mode. Ainsi Lagerfleld innove sans s’éloigner du classicisme de Chanel. Galliano relooke le style Dior et le turbulent Alexander Mc Queen. Le pari de ces très honorables maisons est s’imposer dans un univers toujours changeant en restant fidèles aux racines, mais en les fusionnant avec une patte très contemporaine » 46 . ’
    Actuellement, Saphia Richou et son collègue ont étudié l’industrie française du luxe dans leur livre Le luxe dans tous ses états. Ils disent que l’industrie du luxe est « une industrue stratégique pour la France » 47 . Une étude sur cette sujet réalisée en 1995 par le CERNA (le Centre d’Economie industrielle de l’Ecole des Mines de Paris) présente des résultats remarquables pour la croissance de l’industrie du luxe :

    ‘« A l’époque, le chiffre d’affaires de l’industrie du luxe français était évalué à 106 milliards de francs soit un résultat équivalent à celui de l’industrie aéronautique et spatiale française. Egalement le quart du poids économique de l’industrie de l’automobile en 1994, l’industrie générait 65 000 emplois directs, 127 000 indirects dont 73% localisées dans toute la France et 27 % à l’étranger. Son taux moyen d’exportation de 58% était nettement plus élevé que dans la plupart des branches de l’industrie et sa balance commerciale atteignait 41 milliards de francs. Avec un ratio de la valeur ajoutée de 43%, le luxe français se plaçait loin devant de nombreux secteurs français d’activités industrielles ». 48 ’
    On sait bien qu’aujourd’hui le luxe est menacé par de multiples ferments de dissolution. D’une part, par sa diversification : la multiplication de ses catégories a pour conséquence de limiter la consommation des élites économiques, dont les moyens ne sont restés inépuisables que dans un très petit nombre de cas. D’autre part, par l’accélération de sa démocratisation : il n’aura fallu qu’un siècle ou qu’un demi-siècle pour que le chemin de fer et l’automobile deviennent les instruments accessibles en tant que loisirs de masse.

    Si la banalisation de certains objets, de certaines pratiques ou de certains styles de vie dévalorisent les formes de luxe correspondantes, où le luxe ira-t-il se réfugier et comment ses adeptes trouveront-ils le moyen de continuer à l’utiliser comme un instrument de leur distinction sociale ? Sans doute à la manière de voltigeurs de la mode toujours capables de s’emparer les premiers des innovations et des sophistications de la technique, ou encore de migrer vers d’autres cieux chaque fois qu’une invasion populaire vient leur ôter le privilège de marquer tel ou tel territoire.

    Reste à discuter le point de savoir si le luxe est véritablement menacé par l’évolution de ses produits, la transformation des procédés ou des matières qui président à leur élaboration, l’élargissement de ses marchés. Le luxe doit-il être limité dans sa définition à un ensemble de valeurs immuables, ou bien faut-il reconnaître qu’il ne cesse de trouver de nouvelles jeunesses dans sa capacité à coller à l’évolution des sociétés ? Ce qui est immuable, probablement, c’est le goût des sociétés de tous les temps et de tous les pays pour l’accès à des formes de consommation du superflu, procurant à la fois du plaisir et de la considération.

    Sans doute faut-il voir là un nouvel avatar, confinant ici au paradoxe, du refus français d’appréhender le contenu d’une culture technique dont les industries de luxe ont su s’approprier toutes les possibilités, sans aucunement renoncer par ailleurs aux savoir-faire artisanaux traditionnels. Le luxe n’est plus ce qu’il était au sens propre du terme, et au mépris de toute nostalgie ; il devient en effet, de siècle en siècle, ce qu’en font des contextes sociaux et techniques évolutifs.

    Maintenant, il est nécessaire de voir quels secteurs composent l’univers du luxe pour mieux se focaliser sur nos corpus.

    Notes
    41.
    Jean CASTAREDE, Le Luxe, Paris, PUF, 1992, p.63-64.

    42.
    Danielle ALLERERS, Luxe : un management spécifique, Paris, Economica, 1995, p.66

    43.
    Marie-Claude SICARD, Luxe, mensonge et marketing, « Mais que font les marques de luxe ? », Paris, Village Mondial, 2003, p.109-112.

    44.
    Ibid., p.109-111.

    45.
    Anne BONTOUR (ANNE) et Jean-Marc LEHU, Lifting de marque, Paris, Editions d’Organisation, 2002, p.383-437.

    46.
    Nicolas RIOU, Pub Fiction, Paris, Editions d’Organisation, 2002, p.150.

    47.
    Saphia RICHOU et Michel LOMBARD, Le luxe dans tous ses états, Paris, Economica, 1999, p.21.

    48.
    L’industrie du luxe dans l’économie française, Etude du CERNA pour le ministère de l’industrie et le Comité Colbert, 1995, citée par Saphia RICHOU et Michel LOMBARD, Le luxe dans tous ses états, Paris, Economica, 1999, p.21.

    Thèse univ Lyon 2
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