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Entretien avec Yasmin Bendaas, auteure d'une recherche sur les tatouages chaouis

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  • Entretien avec Yasmin Bendaas, auteure d'une recherche sur les tatouages chaouis

    HuffPost Algérie | Par Hamdi Baala

    Ysamin Bendaas est une anthropologue américaine d'origine algérienne. En 2012, elle a passé deux mois en Algérie pour effectuer une recherche de terrain sur les tatouages faciaux des femmes chaouies. A Chemora, 60kms à l'est de Batna, elle a réalisé, à l'aide de traducteurs, des entretiens avec plus d'une dizaine de femmes tatouées.

    Une tradition presque disparue à présent, elle n'existe que sur les visages de cette ancienne génération de femmes. Se basant sur une méthodologie ethnographique, et à travers ces interviews, Mme. Bendaas a pu révéler une partie des secrets, de la signification de cette ancienne pratique. Pour le reste, elle espère poursuivre ses études en se focalisant sur le même sujet.

    Les tatouages faciaux chaouis, devenus une grande passion pour Yasmin, ont été le sujet de cette recherche publiée par le Pulitzer Center et reprise en articles sur Al Jazeera, The Huffington Post et un nombre d'autres médias.

    La jeune chercheuse a répondu aux questions du HuffPost Algérie pour cet entretien.

    HuffPost Algérie: Cette recherche faisait-elle partie de votre curriculum, un projet de fin d’études?

    Yasmin Bendaas: A l’origine, cette recherche a été en addition à mes études, elle n’en faisait pas directement partie. J’ai postulé pour une bourse de mon université afin de terminer le projet et j’ai reçu du financement supplémentaire de la part du Pulitzer Center, pour lequel j’avais écrit.

    Parce que j’étais étudiante en anthropologie et que j’ai recueilli une grande quantité d’informations quand j’ai été en Algérie, j’ai décidé de transformer le projet en une thèse de spécialisation durant ma dernière année à l’université.

    Qu’est ce qui vous a inspiré pour choisir le sujet des tatouages des femmes chaouies en particulier?

    Je voulais au début faire une recherche autour des tatouages faciaux des Maoris en Nouvelle-Zélande. J’ai été inspirée par un livre que j’ai lu durant de ma première année à l’université.

    Durant une réunion avec le directeur des bourses universitaires en 2011 afin de discuter ma proposition de thèse, il m’a demandé pourquoi j’étais particulièrement intéressée par les tatouages des Maoris. Je lui ai répondu que ma grand-mère avait elle aussi des tatouages faciaux. Quand il a su qu’elle était Algérienne, il a indiqué que c’était un sujet dont il n’avait jamais entendu parler.

    Quand j’ai entamé un peu de recherche, j’ai vu qu’il y avait trop peu d'études autour des Chaouis en Algérie, surtout en anglais. Il existe un nombre d’œuvres sur les tatouages des Maoris, et quand j’ai réalisé que je pouvais mieux contribuer en écrivant sur les tatouages chaouis, la décision a été facile. Même si je n'en porte pas moi-même, étudier les tatouages traditionnels est devenu une de mes plus grandes passions. Le récit que créent les tatouages, leur impact sur l'identité, je trouve ça très intéressant.

    tattoo 1


    Votre recherche a duré combien de temps?

    J’ai entamé les recherches sur la pratique des tatouages indigènes en décembre 2011. Mon travail de terrain en Algérie a duré 2 mois durant l’été 2012, et ma thèse de spécialisation a été acceptée et retenue au printemps 2013. Je continue de lire à propos de ces tatouages et je suis toujours contactée au sujet de mon travail par des enthousiastes des tatouages et des chercheurs. J’apprends de nouvelles choses tout le temps.

    J’ai postulé afin de poursuivre mes études sur les tatouages ainsi que sur le développement (économique et culturel en particulier) en focalisant ma recherche sur l’Algérie. Je devrais recevoir la réponse en février.

    Vous avez interviewé un nombre de femmes tatouées pour votre recherche. Elles étaient de quelle région?

    J’ai réalisé des entretiens complets à Chemora et El Madher (60km et 25km à l’est de la ville de Batna) mais je sais qu’au moins une des femmes est venue de Lito, à proximité de Chemora.

    Je suis aussi partie à Khenchela pour une interview mais ma demande a été refusée. Il m’a été plus facile de réaliser des entretiens à Chemora parce que les gens connaissaient ma famille, mon père, etc.

    Quelles difficultés, s’il y en a eu, avez-vous rencontré durant votre travail de terrain en Algérie?

    Vers la fin des deux mois de mon travail en Algérie, je suis tombée malade de plus en plus fréquemment. Etre dans un nouvel environnement avec de la nourriture différente (même si les plats étaient délicieux!) durant une longue période peut être plus difficile pour le corps (et le système digestif) que je ne l’ai espéré. Cet été là, il a fait particulièrement chaud, alors beaucoup des problèmes que j’ai eu étaient aussi à cause de la déshydratation. J’ai appris à ramener des vitamines et des médicaments pour estomac lors de mes voyages plus récents.

    Etre physiquement dans un environnement différent a eu un impact émotionnel également. Après deux mois, mes amis et mes parents chez moi commençaient à me manquer. Certains aspects de ma vie quotidienne aux Etats-Unis m’ont manqué également. J’étais essentiellement une fille de 21 ans qui avait le “mal du pays”.

    Quand je relis mon journal intime, je me souviens que certains petits détails me manquaient, comme prendre ma voiture et conduire toute seule. Je suis très indépendante, mais en Algérie, ma mobilité et beaucoup d’autres choses dépendaient des autres durant ma recherche. Mais dès mon retour aux Etats-unis, être réveillée par mes petits cousins en Algérie et l’odeur de la cuisine de ma tante m’ont manqué. Les femmes que j’ai interviewées m’ont manqué aussi.

    Les petits aspects de la vie en Algérie me manquent tout le temps. Ma recherche m’a fait ressentir que j’appartenais à une communauté là bas pour la première fois, et j’ai pu passer du temps auprès de ma famille pour la première fois également.

    LIRE AUSSI: Tatouages des femmes chaouies, sujet d'une recherche continue
    A part les interviews, quelles ressources avez-vous utilisé durant votre recherche? Avez-vous trouvé des recherches similaires faites par des anthropologues algériens? Ou même étrangers?

    Ma recherche s’est basée sur les méthodes ethnographiques de terrain, alors les entretiens ont constitué une grande partie de ce travail. Je devais apprendre à propos des tatouages directement de la part des femmes tatouées, vivantes. Mes interviews incluaient souvent des membres de la famille éloignée, j’ai donc aussi eu l’apport de leurs proches.

    Même si je j'ai voulu effectuer une recherche originale, j’ai trouvé quelques ressources externes utiles, mais elles étaient limitées. La recherche de Susan Searight sur les tatouages au Maroc (en anglais) était perspicace, tout comme une étude beaucoup plus vieille, écrite par Thierry Rivière et Jacques Faublée sur les tatouages chaouis, titrée “Les tatouages des Chaouia de l’Aurès”. Elle a été publiée dans “Le Journal de la Société des Africanistes” (en français) en 1942. Je ne parle pas le français couramment, mais j’ai étudié l’espagnol à l’université. Le processus de travailler à travers des articles en français a été intéressant.

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    Avez-vous pu établir la date de l’apparition de la tradition des tatouages faciaux chez les Chaouis?

    Non, je n’ai pas pu trouvé une bonne réponse à ça. J’espère certainement pouvoir continuer à travailler sur cette question avec ma recherche de Master, si elle est acceptée.

    Je peux dire cependant, avec certitude, que la pratique des tatouages a existé avant la colonisation française et n’a pas été initiée pour rendre les femmes “peu attrayantes pour les soldats français”. Cette hypothèse est largement répandue en Algérie, ce qui est surprenant.

    Puisque la tradition des tatouages existe aussi en Iraq, est-il possible qu’elle se soit retrouvée en Algérie comme résultat de la migration des tribus arabes vers l’Afrique du Nord durant les premiers siècles de l’expansion islamique?

    C’est très possible. J’ai également exploré la thèse de l’influence ottomane. Je travaille actuellement sur une collaboration avec une photojournaliste en Turquie qui documente les tatouages faciaux des réfugiés syriens. Les femmes tatouées sont des kurdes syriennes, même si j’ai vu ses photos et les symboles sont assez différents.

    Il s’agit d’une tradition qui s’étend depuis l’Afrique du Nord à travers le Moyen-Orient. Elle est modifiée et les différents groupes (Amazigh, Kurdes, Bédouins) utilisent différents motifs. Comment la tradition s’est-elle répandue à travers tous ces pays? Ça reste un mystère pour moi. Une pratique de tribus nomades? C’est une très bonne hypothèse, surtout quand la plupart des femmes que j’ai interviewée ont été tatouées par une “adassiya” nomade.

    Je sais cependant que les peuples indigènes à travers le monde pratiquent des traditions de tatouages (des Maoris en Nouvelle-Zélande aux Inuits au Canada). Dire qu’ils sont tous connectés n’a pas de sens, mais il est intéressant de noter que les tatouages faciaux sont beaucoup plus communs traditionnellement à travers le monde que l’on pourrait croire.

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    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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