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Sommes-nous manipulés par les réseaux sociaux ?

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  • Sommes-nous manipulés par les réseaux sociaux ?

    Les réseaux sociaux influencent-ils notre perception du réel ? Facebook et Twitter façonnent-ils notre opinion à notre insu ? À la lumière des récentes affaires qui ont secoué la Toile, le web marocain est parti dans tous les sens. Analyse d’un phénomène.

    Le virtuel : un cinquième pouvoir

    Les chiffres sont là pour en attester : sur 18 millions d’internautes marocains, environ 12 millions fréquentent Facebook, quelque 800.000 Twitter, et Youtube se positionne comme la première télévision regardée au Maroc. Pour s’informer en temps réel, communiquer ou simplement se livrer au “tberguig” version nationale, les medias sociaux occupent le haut du podium. Constat étonnant : les Marocains, qui lisent très peu, “feuillètent” le fil d’actualité de Facebook sans manifester le moindre signe de lassitude.

    “C’est un moyen pour moi d’être au courant tout de suite lorsqu’un évènement ou une polémique naît sur la Toile. Je m’empresse de poster mon avis, de liker, de commenter le statut des autres et de partager des articles et des vidéos”, indique Sanae. Elle et sa communauté d’amis virtuels sont au taquet, d’autant plus motivés qu’ils participent désormais eux aussi à la vie d’une info sur la toile. “N’importe quel abonné peut désormais devenir acteur de l’actualité mondiale ou locale en émettant un feed-back par rapport à ce qu’il reçoit. C’est une totale nouveauté par rapport au fonctionnement classique des mass media, où en bout de chaîne, on avait un simple consommateur passif”, indique Marouane Harmach, consultant en stratégie digitale, directeur associé de Consultor.

    Et clairement, à la faveur de chaque affaire qui secoue la toile, on mesure à quel point le compteur de visiteurs de Facebook explose. Une dynamique tonique, certes, mais qui interroge. Enchevêtrée dans un magma compact de propositions démultipliées à l’infini, que vaut l’opinion qu’on se forge à force de clics ? Pour faire court, une fois qu’on a tapé en lettres capitales notre avis très mitigé sur le nouveau logo de la ville de Casablanca, avons-nous fait preuve d’ indépendance de pensée ou nous sommes-nous simplement alignés sur le déferlement de critiques ambiant ? M. Harmach décrypte : “Il y a coinfluence mutuelle d’une série d’intervenants sur les réseaux sociaux : la presse en ligne qui donne le “la” en surfant sur l’actualité, les communautés d’internautes (parfois à l’origine de l’information) et un phénomène dont on ne mesure pas encore toute la portée, des centaines d’influenceurs d’opinions avec un fan club tout acquis à leur cause, lesquels supporters se chargent de relayer l’information sur quantité d’autres pages”. Voilà, il ne vous reste plus qu’à mener des investigations pour identifier les gourous charismatiques, tous ces “prêts à penser” qui vous soufflent les idées.

    Des affaires qui font le buzz

    C’est maintenant une habitude installée : les sujets brûlants de l’actualité sont débattus dans le cadre d’une gigantesque “conférence de presse” qui se tient sur les réseaux sociaux, selon le principe de la démocratie participative. Évidemment, tout y passe : poses impudiques d’une vedette américaine en concert, rôle controversé de prostituée pour l’actrice Loubna Abidar dans le film Much loved, homosexuels persécutés par la rue, amants du MUR, élections législatives, star de la chanson accusée de viol, tragédie du vendeur de poissons broyé dans une benne, chanteur victime de chantage à la sex-tape etc. La “Une” virtuelle se maintient donc jusqu’à ce qu’elle soit détrônée et remplacée par un autre fait marquant. Par contre, dès que le sujet s’installe dans les starting blocks, la sauce monte vite. La course au sensationnalisme est lancée : réactions à chaud, angles brûlants et déclarations choc, postées coup sur coup, entretiennent le buzz. Souvent, l’internaute, avec son bout partiel d’information instantanée pas toujours validée, croit détenir la vérité. Or, il s’agit d’une vérité toute relative, susceptible d’être mise en pièces aussi vite qu’elle a été montée en épingle.

    On se souvient tous du fameux “t7an mou” soi-disant ouï par des témoins, lors de l’accident de Mohsine Fikry. Depuis, il a été démenti après enquête des autorités. Ou encore du déluge de suppositions, hypothèses, théories du complot farfelues qui ont inondé la Toile après l’incarcération de Saâd Lamjarred. Tout ceci démontre que les réseaux sociaux absorbent les rumeurs, intox et désinformation en circulation. Et leurs tentaculaires ramifications aidant, un mouton suiveur va en entraîner d’autres à la suite. Pour Fouad Benmir, sociologue, beaucoup de consommateurs marocains ne sont pas suffisamment “outillés” face à cette percée récente de la culture technologique : “Un certain nombre d’internautes sont totalement dépourvus d’esprit critique et ne prennent pas la distance nécessaire pour analyser froidement les choses. Ils ne mesurent pas toute la dangerosité d’un simple clic”. En gros, si les smartphones sont des portables intelligents, on ne peut pas en dire autant de certains utilisateurs.

    Mais nos apprentis journalistes citoyens ne sont pas les seuls à blâmer. Amina, en cliente avertie, a fait le ménage dans certaines de ses publications en ligne : “Je zappe dorénavant les sites d’info qui s’apparentent à de la presse people à scandales. Je me refuse à partager n’importe quoi sur mon mur”. Confirmé par notre spécialiste du numérique qui conseille de choisir sa source sur des supports respectant la déontologie, avec une ligne éditoriale rigoureuse : “La distorsion, l’exagération, l’amplification des faits est un problème sur les réseaux sociaux car l’utilisateur ne dispose pas des moyens d’un professionnel pour recouper l’info ou la vérifier. Malgré tout, une fausse rumeur propagée finit par s’auto-réguler d’elle-même, contrée par les influenceurs.”

    Une Toile souvent très divisée

    On le constate : évènement après évènement, le web social monte sur ses grands chevaux et le clivage d’opinion entre les internautes s’accentue. Quant à la guerre des tranchées, elle se livre par murs interposés. Leïla, une facebookienne de la première heure, passionnée par le cas Lamjarred, a passé des heures à surfer sur l’affaire, jour après jour. Ayant pris faits et armes pour sa cause, elle a toujours soutenu mordicus que le chanteur était victime d’une machination ourdie par une femme vénale. De la véracité des faits prouvée ou pas, la demoiselle se contrebalance éperdument. D’ailleurs, elle n’a partagé que les pages où son idole était proclamée innocente. À l’opposé, d’autres profils se sont inscrits dans la démarche accablante de procureurs. Selon Fouad Benmir, dans cette hystérisation du débat, c’est l’émotionnel et le passionnel qui ont pris le pas sur le factuel et la raison : “On transpose finalement sur la Toile, en version exacerbée, tout ce qu’on transporte en nous de croyances culturelles, comme une certaine conception locale de la justice, où une star devrait être au-dessus des lois ou encore une lecture machiste des choses (à laquelle adhère malheureusement aussi une partie de la gent féminine) qui pousse nombre d’utilisateurs à penser qu’une fille qui monte dans la chambre avec un homme est forcément consentante”. Pas étonnant que les thématiques les plus tabous (libertés individuelles, problématiques de mœurs…) aient, paradoxalement, le vent en poupe sur les réseaux sociaux. Ces derniers sont à la fois le déversoir des fantasmes d’une société et un espace d’expression inespéré pour les sans-voix. “N’oublions pas, rappelle le sociologue, que nous sommes dans une société conservatrice qui commence juste à s’ouvrir sur le monde. Ce qu’on n’ose pas dire devant sa famille, on le libère sur le net et malheureusement sans poser aucun frein, sous l’emprise de l’affect et avec une absence totale de recul.”

    miroir de l’opinion de la rue

    Dans un autre registre, on s’est tous demandés pourquoi, malgré l’excellent tapage médiatique de la FGD (Fédération de la gauche démocratique), les scores dans les urnes n’avaient pas été au rendez-vous. La vague de ferveur numérique avait même un temps propulsé Nabila Mounib dans les habits d’une future Premier ministre. Pourtant, il nous semblait que des centaines d’amis virtuels avaient paré leur photo de profil de la fameuse enveloppe jaune, emblème du nouveau challenger de la gauche marocaine. Marouane Harmach nous explique comment des filter bubbles nous sécurisent en fait dans des certitudes erronées. Ce concept désigne l’état dans lequel se trouve un internaute lorsque les informations auxquelles il accède sur Internet sont le résultat d’une personnalisation mise en place à son insu. Il est alors pris dans une “bulle” qui filtre considérablement son accès au monde extérieur et détermine les informations auquel il a accès. De ce fait, nous avons l’impression que les idées auxquelles nous sommes exposés se répandent comme une traînée de poudre, alors qu’en fait, elles ne font que ricocher sur les mêmes murs. Manipulation, vous avez dit manipulation ?


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