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"Le jour où le virus de la grippe mutera, ce sera une catastrophe"

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  • "Le jour où le virus de la grippe mutera, ce sera une catastrophe"

    Au moment de quitter ce monde, son père lui a fait promettre de travailler le plus longtemps possible. A 68 ans, Peter Piot continue donc à se battre pour la santé dans le monde. "Tôt ou tard, le virus de la grippe mutera totalement. Ce sera une catastrophe."



    Pour Peter Piot, c’est une question de vie ou de mort. Peu de Belges sont aussi obsédés par la santé mondiale que lui. En 1976, ce médecin et microbiologiste a participé à la découverte du virus Ebola. Il a enseigné dans de nombreuses universités, et en tant que patron de l’Onusida, qui fait partie des Nations Unies, il a brisé le tabou du VIH. Il est également l’auteur de 598 articles scientifiques et de 19 livres, dont ses mémoires "No Time to Lose: A Life in Pursuit of Deadly Viruses".

    Cette vie trépidante est loin d’être terminée. En tant que directeur de la London School of Hygiene & Tropical Medicine, il collabore avec 1.500 médecins et spécialistes en maladies infectieuses dans le domaine de la recherche clinique et l’économie de la santé, surtout en ce qui concerne l’Afrique et l’Asie. Et en tant que pionnier du fonds privé Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (Cepi), il encourage les grands groupes pharmaceutiques, les philanthropes et les gouvernements à développer plus rapidement des vaccins contre les maladies tropicales.

    Et comme si cela ne suffisait pas, il a accepté il y a peu un emploi de haut vol: il contrôlera toutes les recherches scientifiques effectuées au Royaume-Uni sur les pays en voie de développement, dans le domaine de la santé en passant par les changements climatiques et l’agriculture.

    Pourquoi avez-vous accepté de devenir président du comité qui supervise toutes les recherches britanniques sur les pays en développement?
    Pour un Belge, cette fonction est un grand honneur. Les sommes engagées sont importantes. Je coordonne un budget de plus de 3 milliards d’euros en cinq ans. Toutes mes passions – recherche scientifique, pays en développement et pression sur les politiques – sont rassemblées en un seul mandat. Nous devons plus que jamais investir dans les pays en développement, ne serait-ce que dans notre propre intérêt.

    Que voulez-vous dire?
    On s’attend à ce que les changements climatiques accélèrent le phénomène de désertification en Asie du sud-est, en Inde et en Afrique. La production agricole sera durement touchée, ce qui provoquera des famines. L’Afrique comptera bientôt le plus grand nombre de jeunes adultes de toute l’histoire de l’humanité. Ils sont aujourd’hui 220 millions et ils seront 100 millions de plus d’ici 2030. C’est une bombe politique à retardement, car ce phénomène pourrait provoquer de grandes vagues migratoires.

    Faut-il aussi s’attendre au développement de maladies tropicales en Occident suite aux changements climatiques?
    C’est un scénario très probable. Certains insectes ont besoin d’une température minimale pour se propager. Avec le réchauffement climatique, ils migrent vers le nord. Il y a deux ans, l’Angleterre a été touchée par une variante du moustique vecteur du zika. En Provence, on a connu des cas de fièvre chikungunya.

    Quel est le virus qui vous effraie le plus?
    Le sida. Il s’est transformé en maladie endémique que nous pouvons désormais traiter. Vu qu’en Occident, il est plus ou moins sous contrôle et il n’occupe plus la Une des journaux. Alors qu’il tue chaque année plus d’un million de personnes dans le monde. On enregistre 2 millions de nouveaux cas par an. Les Nations Unies et les Etats-Unis affirment que d’ici 2030, le sida devrait être éradiqué. Je n’y crois pas. Dans le meilleur des cas, nous disposerons d’ici trois ou quatre ans d’un vaccin efficace. Mais il faudra cinq ans de plus avant qu’il ne soit commercialisé.

    Quelles sont les autres choses qui vous inquiètent?
    La grippe. L’an prochain, nous "célébrerons" les cent ans de l’épidémie de grippe espagnole qui a tué entre 50 et 100 millions de personnes. Une grippe espagnole 2.0 provoquerait énormément de dégâts à l’ère de la mondialisation des échanges commerciaux, des transports aériens et du tourisme. Le virus de la grippe se transforme un peu chaque année. Résultat: nous avons chaque année besoin d’un nouveau vaccin. Mais l’histoire nous a appris que tôt ou tard, le virus effectuera une mutation complète. Et ce jour-là, ce sera une véritable catastrophe.

    Pourquoi?
    Parce que le développement d’un vaccin exige du temps et qu’un tel virus peut se transmettre très rapidement. Nous l’avons vu avec le Sars, qui s’est répandu de la Chine à Hong Kong, une région qui compte la densité de population la plus élevée au monde. Nous avons une densité de population élevée, une grande mobilité et – très certainement en Afrique et en Asie – des contacts fréquents avec des animaux susceptibles de transmettre ces virus à l’homme.

    Pouvons-nous nous préparer à une éventuelle nouvelle variante de la grippe espagnole?
    Oui. L’Angleterre teste par exemple comment les hôpitaux pourraient accueillir simultanément des milliers de patients atteints de la grippe. Je viens de rencontrer les responsables des vaccins de grands groupes pharmaceutiques pour examiner comment accélérer la production des vaccins contre cette maladie.

    Il n’existe encore aucun vaccin contre le virus Ebola, alors que la dernière épidémie en Afrique de l’ouest a fait 11.000 morts en 2014. Les choses pourraient-elles changer dans un avenir proche?
    Très certainement. Nous nous approchons d’une solution. A Conakry, un premier vaccin mis au point par le groupe pharmaceutique Merck a prouvé son efficacité contre Ebola pendant une épidémie. Un autre vaccin de Johnson & Johnson a réussi à induire la production d’anticorps contre le virus. Nous espérons que les autorités sanitaires européennes et américaines homologueront ces vaccins l’an prochain. Je ne m’inquiète pas trop d’Ebola, car ce virus reste généralement local, à l’exception de l’Afrique de l’ouest, densément peuplée.

    Considérez-vous votre période à l’Onusida comme une réussite?
    Non. Ma mission serait un succès si l’épidémie du sida était sous contrôle. Mais ce n’est pas le cas. Je suis malgré tout satisfait, compte tenu des progrès réalisés. De nombreux pays africains vivaient dans le déni. En 2001, j’ai convaincu le président nigérian d’organiser un sommet sur le sida avec d’autres leaders africains.

    Est-ce que vous réussissez à convaincre ces leaders à tous les coups?
    Certainement pas. Là où j’ai échoué, c’est en Russie, à l’époque des anciennes républiques soviétiques, où le nombre de personnes infectées par le sida augmentait rapidement, à cause des injections de drogues dans des conditions sanitaires déplorables. La Russie avait toujours refusé d’introduire un programme d’échange de seringues. Je me suis rendu deux fois à Moscou pour rencontrer Vladimir Poutine. Chaque fois, le rendez-vous a été annulé en dernière minute. J’avais atteint les limites du dialogue. C’est aussi arrivé, à l’époque du président sud-africain Thabo Mbeki, qui refusait de reconnaître le problème du sida dans son pays. Là, je n’ai rien pu faire. Ce n’est qu’après son mandat que j’ai progressé avec son successeur. J’ai appris qu’en tant que scientifique, vous devez créer des coalitions si vous voulez faire la différence.

    Est-ce la raison pour laquelle vous participez à presque tous les Forums Economiques Mondiaux de Davos depuis 1997?
    Absolument. Je peux y rencontrer plus de CEO de groupes pharmaceutiques et de politiciens que pendant tout le reste de l’année. A Davos, j’ai réussi à faire baisser de 90% le prix des médicaments contre le sida. J’ai demandé aux firmes pharmaceutiques si elles souhaitaient continuer à faire partie du problème ou si elles préféraient contribuer à trouver une solution.

    Vous avez aussi participé à la création du fonds Cepi, qui souhaite collecter 1 milliard de dollars pour développer des vaccins contre des maladies comme la tuberculose, la malaria et le virus Ebola.
    Entre-temps, je suis devenu un spécialiste en coalitions public-privé. J’ai présidé la première réunion du Cepi à Davos en janvier 2016. J’ai battu le rappel à tous les niveaux, et avec le Cepi, nous avons mis en place un mécanisme afin de convaincre les sociétés pharmaceutiques d’investir dans des vaccins qui ne leur rapportent rien.

    Auparavant, les firmes pharmaceutiques ont toujours refusé de le faire. Pourquoi ce revirement?
    A cause de la pression croissante de l’opinion publique pendant la dernière épidémie d’Ebola. Par ailleurs, on trouve dans les firmes pharmaceutiques des personnes qui s’intéressent réellement à la santé dans les pays en développement. Mon ami Paul Stoffels (chief scientific officer chez Johnson & Johnson, NDLR) s’est engagé dans cette voie. Tant que les sociétés pharmaceutiques gagneront de l’argent avec d’autres médicaments, elles pourront se le permettre. De plus, certains gouvernements se sont dits prêts à cofinancer le projet. J’ai travaillé pendant un an au fonds Cepi. Avec le gouvernement norvégien, la fondation Gates et le Wellcome Trust, nous avons récolté 700 millions de dollars. L’Allemagne joue aussi un rôle de plus en plus actif dans la santé publique mondiale. La chancelière allemande Angela Merkel déploie tout son leadership en matière de diplomatie douce. Elle a placé la recherche de solutions pour les maladies infectieuses incurables à l’agenda du G7 et du G20.

    Pendant que Merkel contribue positivement à la santé mondiale, Trump menace de freiner le processus. Est-ce que cela vous inquiète?
    Certainement. Si Donald Trump décide de réduire le budget global destiné à la lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria, de nombreuses personnes n’auront plus accès aux traitements. Ce n’est pas une décision sans conséquences, c’est une question de vie ou de mort.

    Fonçons-nous droit dans le mur?
    La pression sur de nombreux systèmes de santé européens est énorme, à cause du vieillissement de la population, de l’augmentation des maladies chroniques et des traitements contre le cancer qui deviennent de plus en plus chers. Nous sommes face à des choix éthiques difficiles si nous voulons garantir la pérennité du système. Prenons le cancer: il existe de plus en plus de traitements, mais certains coûtent des centaines de milliers d’euros par an. Qu’est-ce que la société est prête à les rembourser?

    Si vous étiez à la place de Maggie de Block, notre ministre de la Santé, quelles sont les réformes que vous entreprendriez?
    Il faut davantage se préoccuper de prévention, entre autres dans le domaine des maladies chroniques et de l’obésité. Ce sont aujourd’hui des problèmes bien plus importants que les épidémies, parce qu’ils sont provoqués par une alimentation inadaptée. Mais ce sujet est sensible car il concerne la vie privée des citoyens. Le sucre est notre pire ennemi. La consommation de boissons sucrées est en lien direct avec l’obésité, le diabète de type 2 et les problèmes cardio-vasculaires. Une étude récente de notre école et de l’université de Cambridge révèle qu’il est possible de modifier le comportement des consommateurs en agissant sur les prix.

    Vous n’arrêtez jamais de travailler. Comment vous relaxez-vous?
    Je me relaxe dans mon jardin londonien, où je cultive 40 variétés de roses. Je suis aussi un grand amateur de vin. Ces trente dernières années, j’ai collectionné des milliers d’étiquettes de bouteilles de vin et je les ai collées dans des albums, en indiquant chaque fois où et avec qui j’avais bu ces bouteilles.

    Avez-vous l’intention de terminer votre carrière à Londres?
    Je n’en sais rien. J’ai un contrat à durée indéterminée. Dans trois ans, je quitterai peut-être mon poste de directeur. Il n’est pas sain de rester assis trop longtemps sur la même chaise. Il se peut que je continue à travailler comme professeur à temps partiel, car au Royaume-Uni, il n’y a pas de limite d’âge pour les professeurs.

    Vous ne comptez donc jamais prendre votre pension?
    Non. (il rit). Ce n’est pas mon truc d’élever des moutons dans les Cévennes. La veille de sa mort, mon père m’a dit que je devais continuer à travailler le plus longtemps possible. Parce que cela vous maintient en forme et que sinon, les gens vous oublient. Heureusement, je suis plein d’énergie et j’aime mon travail. L’ethos professionnel dans cette école est fantastique. Il y a trois ans, en pleine épidémie Ebola, aucune autre université londonienne ne voulait envoyer quelqu’un en Afrique de l’ouest. Moi, oui. J’ai envoyé un mail à nos 1.500 collaborateurs pour les encourager à se porter volontaires, en indiquant que nous continuerions à payer leur salaire. Dans les 48 heures, nous avions 400 candidats. Pour moi, ce fut le meilleur moment de ces sept dernières années.

    l'Echo be
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