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Où va l'Algérie?, par Miguel Urbano Rodrigues

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  • Où va l'Algérie?, par Miguel Urbano Rodrigues

    27 MARS 2010

    Article de Miguel Urbano Rodrigues, dirigeant historique du PC Portugais. Ecrivain et journaliste, il dirige aujourd'hui le site Odiario

    Miguel Urbano Rodrigues a connu Alger en 1953 quand elle était la capitale d'une colonie déguisée en département Français. Dans cet article, après une brève visite, il écrit sur l'Algérie du début du XXIème siècle, un pays trouble mais fascinant dont le présent ne correspond pas à l'espoir suscité par une lutte héroïque pour l'indépendance.

    La fascination qu'Alger exerce depuis des décennies sur les étrangers est inséparable du décor.

    Les maisons, à prédominance blanche, sont surplombées par des coteaux qui l'enferment en une gigantesque cuvette, avec comme cadre une baie somptueuse, à peine dépassée en grandeur par Guabanara (Rio de Janeiro) et Naples.
    Le Colloque International en hommage à Georges Labica m'a permis en Février de redécouvrir la ville, où je m'étais rendu en 1953 quand l'Algérie était encore une colonie déguisée en département Français.

    De cette brève visite, je gardais en mémoire des images d'une ville où la grande majorité des habitants était d'origine française. Je me rappelle avoir parcouru alors la Casbah, le noyau urbain antérieur à la conquête où résidaient des dizaines de milliers de musulmans, définis comme indigènes par l'administration coloniale.

    J'ai trouvé la Casbah actuelle quasi méconnaissable.
    Aujourd'hui, Alger est une ville musulmane où les européens sont une minorité insignifiante. Dans la Casbah, plus de gendarmes ni de drapeaux français, l'arabe a remplacé la langue de Voltaire comme langue nationale, mais la modernité apparente de l'ère de la mondialisation s'impose dans les rues bruyantes, dans les couleurs des panneaux publicitaires, et dans la disparition des costumes traditionnels.

    Déclarée patrimoine de l'humanité, la vieille ville ne ressemble à aucune autre dans le monde Islamique. Dans les 45 hectares qui restent de l'ancienne capitale fortifiée de l'époque de la conquête, se concentrent 1 200 maisons, un labyrinthe de rues et de ruelles, d'escaliers tortueux, dans un maillage urbain où ressortent les mosquées et les palais datant des temps de la domination turque, les sanctuaires, les musées, une medersa (une université coranique) et de minuscules boutiques.

    Avec une certaine surprise, me rappelant de cités asiatiques du monde Islamique comme la vielle Kaboul, je trouvais la Casbah propre.

    En me promenant dans le dédale de ses rues, mon imagination m'a fait remonter dans le temps. Je revécus l'organisation de la résistance, pendant 18 ans, par l'émir Abdel Kader contre l'invasion française de 1830 et, avec émotion, la lutte menée dans la Casbah par les patriotes du FLN contre les parachutistes de Massu, immortalisée dans « La Bataille d'Alger », le film de Pontecorvo.

    En foulant ce sol millénaire, avec le regard plongeant des côtes escarpées et vierges vers la mer bleue qui clôt l'horizon, je sentis monter en moi dans cette fraiche journée un sentiment de respect et d'admiration pour les peuples d'Algérie qui – pendant près de 20 siècles – se battirent avec héroïsme contre tous les envahisseurs depuis Rome jusqu'à l'invasion française.

    Un pays militarisé

    Les Forces Armées Algériennes, estimées à 180 000 hommes (les femmes sont rares dans l'Armée), constituent aujourd'hui peut-être le corps militaire le plus nombreux de tout le continent africain, devançant celles de l'Égypte.

    Ce gigantisme ne découle d'aucune menace extérieure prévisible. L'armée a grandit comme réponse de l'État à la vague de violence déclenchée dans la société algérienne par le Front Islamique du Salut – FIS.

    Il ne s'agit pas dans cette article de commenter la situation créée par le défi posé par le radicalisme islamiste au Pouvoir détenu par les héritiers du mouvement qui a dirigé la lutte pour l'indépendance nationale.

    Je remarque seulement que le message du FIS a été bien accueilli dans un premier temps parmi les couches les plus défavorisées d'une population miséreuse, qui a perdu l'espoir suscité par l'indépendance et les promesses du « socialisme algérien ».

    Alors que la population du pays a quadruplé depuis le milieu du siècle dernier – aujourd'hui elle dépasse les 30 millions d'habitants – la révolution annoncée n'a pas eu lieu et l'exode total de la population européenne a provoqué l'effondrement du système économique pré-existant.

    L'annulation des élections gagnées par le FIS, qui profitait du mécontentement général, s'est traduit par une vague de violence irrationnelle (150 000 morts et des centaines de milliers d'exilés). La Grande Peur a contribué de manière décisive à la perte de popularité de l'organisation.

    La réponse de l'État a été la militarisation du pays.
    Alger est aujourd'hui une ville beaucoup plus « sûre » que la majorité des capitales d'Amérique Latine. Le FIS a été militairement écrasé.
    Mais le prix social de la défaite infligée à l'organisation islamiste a été très élevé. La densité de la présence policière et la visibilité du dispositif militaire impressionnent l'étranger.

    A partir de 6 heures du soir, on ne rencontre plus une femme dans les places et les rues du centre; à 8 heures, la ville, déserte, semble endormie. La vie nocturne est pratiquement inexistante.


    Le contraste avec le jour trouble le visiteur car la grande métropole (peut-être 3 millions d'habitants avec la banlieue, mais les statistiques algériennes n'inspirent pas beaucoup confiance) est une fourmilière de gens du matin jusqu'à la coucher du soleil.

    Dans la Résidence officielle où se déroulait le Colloque Labica, réservée aux participants et aux invités, on ne pouvait entrer sans passer par un détecteur de métaux semblable à ceux des aéroports.

    Un cordon de militaires encercle la capitale à la tombée de la nuit. Mais, les trois fois que nous sommes sortis pour dîner dans des restaurants du centre, à une demi-douzaine de kilomètres des quartiers hauts, les voitures officielles que nous suivions ont été soumises à de nombreux contrôles aux postes militaires. Avec les taxis, le contrôle est encore plus rigoureux.

    Une économie fragile

    Durant notre court séjour à Alger, ma compagne et moi avons eu l'opportunité de nous entretenir longuement avec d'anciens combattants de la guerre d'indépendance. Ces conversations m'ont apporté des éléments importants, bien que restant à la surface, sur la conjoncture Algérienne telle que la ressentent et la vivent les intellectuels révolutionnaires éloignés du pouvoir.
    J'ai parlé également avec des journalistes qui m'ont présenté un panorama de la situation dans les médias.

    Une réalité indéniable: la dépendance de l'Algérie vis-à-vis des combustibles est préoccupante. Le pétrole et le gaz fournissent, selon les statistiques officielles, près de 98% des exportations du pays et représentent 40% du PIB. Les réserves prouvées garantissent l'extraction à son niveau actuel jusqu'en 2030, ce qui suscite l'inquiétude quant à l'avenir d'une société dans laquelle l'insuffisance du secteur productif est patente.

    L'agriculture traverse une crise profonde, aggravée par les politiques néo-libérales orthodoxes imposées au début des années 1990. Une poignée de milliardaires monopolise les importations de céréales, de lait et de viande, avec la complicité de personnalités de l'Armée. Les conséquences de cette stratégie ont été désastreuses pour les producteurs nationaux, incapables de soutenir la concurrence des prix internationaux. Par ailleurs, les coopératives d'Etat formées après l'indépendance n'ont pas pu répondre aux espoirs placés en elles faute de soutien de la part du Pouvoir central.

    Cette grande bourgeoisie, qui a accumulé des fortunes colossales, possède des maisons à l'étranger, où elle passe une grande partie de son temps. Nul ne connaît les sommes déposées sur leurs comptes dans des banques suisses, mais elles sont certainement très élevées. A un niveau inférieur, s'est formée une bourgeoisie prospère, enrichie également grâce à de sombres trafics.

  • #2
    2-Où va l'Algérie?, par Miguel Urbano Rodrigues

    Mais des millions d'algériens vivent sous le seuil de pauvreté.

    La crise économique et sociale a pris de telles proportions que le gouvernement a ressenti la nécessité de reconnaître l'échec de l'économie de marché dont il a fait l'apologie pendant des années. Dans son discours de Juin 2008, le président Bouteflika a annoncé un changement de stratégie. Mais la dénonciation des politiques néo-libérales ne s'est pas accompagnée de la formulation d'une alternative. Il ne suffit pas de reconnaître que les multi-nationales qui avaient promis de réaliser des investissements grandioses ont tenté de piller le pays, foulant aux pieds les engagements pris. La nouvelle loi de finances a supprimé les privilèges dont jouissait le capital étranger; mais le Pouvoir n'a pas élaboré de projet national.

    Le Président Boumedienne, après le coup d'Etat qui a renversé Ben Bella, a utilisé un temps l'expression « socialisme algérien ». Mais la formule, rhétorique, n'a pas entravé la marche du pays vers un capitalisme dépendant.

    L'industrie métallurgique, qui a fait naître l'espoir grâce à une sidérurgie nationale qui a rendu possible la production de tracteurs et le montage de véhicules de transports, est aujourd'hui rien de plus qu'un souvenir.
    Le PIB par tête ne dépasse pas les 2 300 dollars.

    L'Algérie est, par son territoire, un géant avec plus de 2 350 000 km2 (en grande partie dans le désert du Sahara, où se concentrent le pétrole et le gaz). Mais d'énormes portions de terres fertiles restent non cultivées.

    La peur de l'avenir

    Une faible implantation d'Internet facilite la compréhension d'un paradoxe apparent: les grands tirages des journaux algériens dans un Continent où on lit très peu.

    Le plus grand journal du pays, en langue arabe, a un tirage qui avoisine les 400 000 exemplaires. Le plus important des journaux de langue française atteint les 80 000.

    Officiellement, la censure n'existe pas. Mais les journalistes avec qui j'ai parlé m'ont confié que l'auto-censure est la routine dans la majorité des rédactions.
    Comme la corruption est considérée comme un fléau national, les éditoriaux et les reportages sur les grands scandales sont tolérés et parfois encouragés. Mais plus aucune transparence quand ils impliquent des personnalités haut placées des Forces Armées.

    Officiellement, celles-ci se présentent comme unies dans leur soutien au régime. Mais la réalité dément cette image répandue. Dans le corps des officiers, même dans les échelons supérieurs, se manifestent des tendances contradictoires quant à la direction à donner au pays.

    Dans le domaine international, la presse est anti-sioniste et, avec le soutien officiel, solidaire de la lutte des peuples de Palestine et du Liban. Le Hamas et le Hezbollah ne sont pas diabolisés, au contraire de ce qui se passe dans d'autres pays musulmans. Les critiques contre les guerres d'agression des Etats-Unis en Irak et en Afghanistan et les campagnes contre l'Iran sont fréquentes, par ailleurs.

    Mais, en ce qui concerne les relations internationales du gouvernement Bouteflika, les surprises sont grandes pour le visiteur méconnaissant les méandres sinueux de la stratégie du Pouvoir.

    L'économie est orientée vers l'Union Européenne (approximativement 60% du commerce extérieur), mais le haut commandement de l'Armée approfondit la coopération militaire avec la Chine et maintient des relations cordiales avec Washington. Il est inquiétant que la CIA ait été autorisée à opérer de manière discrète à agir. Le gouvernement Obama, invoquant la nécessité de « combattre le terrorisme » sur le Continent a entamé des négociations visant à l'utilisation par les Etats-Unis de la base militaire installée à Tamanrasset, à l'extrême sud.

    Avec le gouvernement Sarkozy, les relations sont désormais marquées par une tension indéniable. La France a été contrainte, par la lutte du peuple algérien, à accepter l'indépendance du pays. Mais ses gouvernements successifs n'ont jamais adopté une attitude responsable dans leurs relations avec la République d'Algérie. Non seulement, ils ont toujours refusé de débattre de la légitimité de réparations matérielles au peuple de son ancienne colonie (des centaines de milliers d'algériens sont morts pendant les huit ans de guerre qui ont provoqué d'énormes destructions matérielles) mais, surtout depuis que Sarkozy est parvenu à la Présidence, ils insistent pour réécrire l'Histoire, en présentant la colonisation comme globalement positive.

    Un gouvernement discrédité

    Le FLN, parti au pouvoir, est aujourd'hui une caricature du mouvement de libération qui a mené la lutte pour l'indépendance dans une guerre longue de 8 ans. Comme il ne dispose pas d'une base électorale qui lui garantisse la majorité au Parlement, il a monté une coalition hétérogène, l'Alliance Présidentielle. Ses partenaires sont le Rassemblement National Démocratique (RND), un parti de technocrates dont le cheval de bataille est la modernisation du pays, et le Mouvement Social Populaire (ex-Hamas), une organisation populiste.

    L'idéologie est absente de la théorie et de la pratique de l'Alliance et du gouvernement qu'elle soutient.

    Le Président Bouteflika se maintient au pouvoir par l'absence d'une alternative à court terme. Mais il a perdu le peu de prestige qu'il avait lors de son élection en 1999. Dans l'opinion des observateurs internationaux, le FIS, bien qu'il inspire aujourd'hui plus la peur et le rejet que la sympathie, remporterait les prochaines élections si elles se déroulaient normalement. Ce serait une façon de sanctionner Bouteflika et ses alliés.

    Pour évaluer la complexité de la réaction populaire face au Pouvoir et ceux qui, pour les affronter, ont fait le choix de l'orgie de violence, il est utile de préciser que l'analphabétisme réel en Algérie doit avoisiner les 50%, ce qui dément les statistiques officielles.

    Le fossé qui sépare une couche intellectuelle brillante (à l'Université, le français l'emporte sur l'arabe) et les masses est très profond.

    Mais il est important de dire qu'il y a eu d'énormes progrès de fait dans le domaine de l'Education. Avant l'indépendance, à peine une centaine d'algériens avait accès à l'enseignement supérieur, réservé presque exclusivement aux européens. Aujourd'hui, le total des étudiants dans les nombreuses universités existantes dépasse les 250 000. De manière regrettable, le diplôme, à la fin du cursus, ne garantit pas un emploi à des dizaines de milliers d'étudiants, dont la frustration est légitime.

    Les syndicats sont aujourd'hui des syndicats de façade, et le chômage, très élevé, rend difficile la lutte des travailleurs dont la combativité est faible en l'absence d'une organisation révolutionnaire avec une implantation dans la classe ouvrière, capable de les mobiliser pour la défense de leurs droits, qui puisse jouer le rôle joué pendant la guerre par le Parti Communiste Algérien.
    Dans un pays où le salaire minimum est de 150 euros, le salaire moyen se situe entre 250 et 300 euros, le coût de la vie est comparable à celui du Portugal avec la particularité que les hôtels et les restaurants sont excessivement chers.

    Où va l'Algérie?

    Je ne me sens pas en condition d'apporter une réponse.
    Dans mes quelques jours passés à Alger, je me suis trouvé dans un pays méconnu qui a perdu un grand espoir qui a mobilisé la nation au cours d'une guerre de libération épique.

    La jeunesse actuelle est née après la guerre d'indépendance, tout comme la génération antérieure. On ressent une énorme frustration en l'absence de perspectives. Un vétéran du combat des années 1950 m'a dit, avec tristesse: « Des milliers de jeunes émigrent tous les ans, principalement pour la France et le Québec, au Canada. Je crois que si ce n'était pas si difficile d'obtenir un visa pour entrer en Europe et en Amérique, 9 jeunes algériens sur 10 quitteraient le pays. »

    L'avenir proche semble sombre. Mais l'histoire héroïque des peuples d'Algérie me détache d'une attitude pessimiste.

    J'y ai rencontré des hommes dont la lucidité et la détermination ont renforcé ma confiance en l'avenir de la terre millénairement martyrisée d'Algérie, berceau de grands penseurs, d'érudits et de révolutionnaires qui ont gagné le respect de toute l'Humanité.

    solidarité internationale pcf

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    • #3
      La situation a peu changé depuis 2010 date de l'article. Où va l'Algérie avec son "économie de marché", plutôt, une économie pour les voleurs ?

      Commentaire

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