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Marcel Bois, linguiste, professeur et traducteur

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  • Marcel Bois, linguiste, professeur et traducteur

    « De quoi sont faits Homère, Al Mutannabi, Si Mohand Ou M’hand, Pouchkine, Whitman, Tagore et tant d’autres poètes ? Ne sont-ils pas le reflet fidèle de leurs sociétés respectives ? C’est donc une chose prodigieuse que de les approcher, de tenter de les connaître un tant soi peu à travers les différents relais linguistiques. »

    Il s’est montré presque étonné qu’on vienne le solliciter pour un entretien. L’homme très humble est d’une grande simplicité. Et lorsqu’on veut l’interpeller sur son parcours, sur sa vie, il use toujours de digressions, emprunte parfois des chemins détournés pour parler des autres.

    Un trait de caractère ou l’influence du métier ? Nul ne le sait. Linguiste, professeur et traducteur, il est une référence en matière de traduction d’œuvres littéraires. De Benhedouga à Waciny Laredj, en passant par Ouettar, il a constitué une véritable passerelle entre les langues et les cultures. Il est né en 1925 en Savoie, précisément à Saint-Martin-la-Porte, de parents paysans ouvriers dans la lignée des cathos de gauche. « Comme l’agriculture de montagne n’arrivait pas à faire vivre la famille, le paternel était obligé d’aller trimer en usine », se souvient-il. Marcel y fréquentera l’école jusqu’à l’obtention du baccalauréat. En 1942, en pleine guerre, il entre chez les Pères Blancs. « C’était un choix personnel », tient-il à dire. Après le séminaire à Poitiers, et 7 ans d’ études, il est ordonné prêtre à Carthage en 1950 où il faisait des études de théologie. Après une licence de lettres classiques en 1954, obtenue à Strasbourg, il enseigne pendant 4 ans dans un collège de la région parisienne. Puis, il retourne à Tunis où il étudie l’arabe, à l’Institut supérieur des études arabes et islamiques, transféré depuis à Rome. « C’est pendant mes études dans ce pays, au contact des gens, des discussions que j’ai apprécié la langue arabe qui m’a plu ». En 1960, il part pour le Liban où tout en enseignant le français, il suivait assidûment des cours d’arabe avec ses élèves… « C’est là que j’ai lu mon premier roman en arabe Eribat el mokadas, d’un auteur égyptien. Cela traitait, comme le titre du livre l’indique, des liens sacrés, du mariage et des tentations. »

    1961, les crimes de l’OAS

    En 1961, il vient en Algérie pour s’occuper de la revue de presse Maghreb Proche-Orient. « Je suis arrivé le 1er juillet 1961. J’ai assisté aux exactions de l’OAS. Dès l’indépendance, je me suis inscrit à l’université d’Alger pour une licence d’arabe que j’obtiendrais en 1968. » Durant l’année 1962, l’activité scolaire étant paralysée, « le proviseur Bendali Amor, qui officiait à Ben Aknoun, a quand même organisé une session du bac en septembre. Il m’a fait appel, j’ai travaillé durant tout l’été 1962. Après, j’ai remplacé bon nombre de profs ». En 1963, il enseigne la traduction au lycée Amara Rachid. En 1969, il est sollicité par le proviseur du lycée El Mokrani M. Lazib, pour occuper un poste à plein temps. Poste qu’il ne quittera plus jusqu’à la retraite en 1986. « C’est dans cet établissement que j’ai fait la connaissance de M. Abdallah Mazouni, prof d’arabe et traducteur, qui m’a beaucoup encouragé dans cette voie. C’est encore lui qui m’a fait faire connaissance avec Benhedouga dont le livre Le vent du Sud est sorti en 1971. C’était le deuxième roman arabe que je lisais avant Le voleur d’autobus, d’Ihsan Abd El Qodus. Après, tout s’est enchaîné. » Sur la place des cultures dans la vie des gens, sur les luttes à mener pour atténuer les antagonismes, M. Bois dira : « Nous rêvons tous d’une mondialisation idéale, d’un universel accueillant à tous les particularismes, sans notion de domination. Mais le monde étant ce qu’il est, toutes les cultures ne disposant pas de moyens égaux, on assiste à deux types de réactions : soit un repli, une fermeture, avec une certaine agressivité, soit une volonté de rencontre, de communication, et c’est là que la traduction entre en jeu ; traduction qui est évidemment tributaire de tout un contexte historique social, économique et politique. Mais il vaut la peine de travailler à la construction d’un monde riche de croisements féconds où seront reconnues les identités dont chaque pays est porteur. Là je renvoie volontiers à un ouvrage de Abdallah Mazouni, lui-même écrivain et traducteur Culture et enseignement en Algérie et au Maghreb, paru aux éditions Maspero en 1969 ». Il y fustige les monolingues « qui émettent sur l’autre culture des opinions dont la présomption n’a d’égale que l’ignorance ».

    L’inculture est un mal absolu


    Mais surtout, il y lance un appel à ceux qui ont la chance de connaître plusieurs langues : « Par leurs fonctions de traducteurs et d’interprètes, ils assureront enfin les indispensables communications intellectuelles entre hommes voués à s’entendre parce qu’ils sont, avant tout, les fils de la même terre à défaut, hélas, d’être les fils de la même culture. Pour un véritable intellectuel, la culture est toujours un bien relatif. C’est l’inculture qui est un mal absolu. » Marcel ne tarit pas d’éloges sur son ami Benhedouga : « C’est l’homme le plus droit que j’ai eu la chance de rencontrer dans mon existence. Il était à la fois très enraciné dans sa culture et très ouvert. C’était mon meilleur ami. On est allé deux fois faire des conférences à Annecy et à l’université de Louvain en Belgique. » Certains mauvais génies avaient tenté d’ériger l’écrivain en porte-flambeau des arabophones dans leur croisade face aux francophones. « C’est un faux conflit et cette assertion n’est qu’une vue de l’esprit. » Pour s’en persuader, M. Bois nous renvoie à la pathétique intervention faite à l’occasion de l’hommage rendu à Mimouni au Centre culturel algérien à Paris, le 14 mars 1995, lorsque Benhedouga déclarait : « J’ai toujours estimé que l’Algérie avait besoin de ses deux catégories d’écrivains, et j’ai défendu cette position en toute circonstance. Malgré cela, je me disais à moi-même que la langue est la patrie de l’écrivain, en dehors de son rôle d’instrument de la communication. Ce qui distingue un écrivain d’un autre écrivain, ce n’est pas la langue qu’il utilise, mais les valeurs dont il est porteur. La littérature obscurantiste, qu’elle soit écrite dans ‘’la langue du Paradis’’ ou dans ‘’la langue du diable’’ est une littérature antihumaine. »

    Parmi ceux qui ont rencontré son ami Benhedouga, il retiendra deux visages : celui de Mohammed Dib et celui de Rachid Mimouni. La rencontre prend un relief particulier du fait que les deux écrivains ont écrit en français, alors que Benhedouga n’a écrit qu’en arabe. Pour la petite histoire, c’est Bois qui a fait connaître Benhedouga à Dib grâce à la traduction. « Il m’a chaleureusement remercié d’avoir pu lire Benhedouga. Il m’a envoyé une lettre. Ce que je sais, c’est que la rencontre entre Dib et Benhedouga a été un bonheur pour les deux. » L’hommage de l’auteur de L’incendie est chaleureux. « Les traductions que Marcel Bois a faites des romans de Benhedouga, avait écrit Dib en 2000, sont les seules que je connaisse. Ce fut assez, quand elles m’avaient frappé par leur qualité exceptionnelle. Le phénomène est rare. Je crois pouvoir l’affirmer, premièrement parce que d’énormes lectures d’œuvres traduites m’ont appris à m’y reconnaître un peu là-dedans, deuxièmement, parce que les problèmes du transfert ou de la reconversion d’un ouvrage dans une autre langue m’ont toujours passionné et que je les ai plus ou moins étudiés, troisièmement parce que j’en ai tâté, moi-même, de la traduction. Je sais donc de quoi je parle.

    Dans ce domaine, la réussite de Marcel Bois est éclatante. Il vous livre de véritables récréations des œuvres qu’il traduit et les romans de Benhedouga en valaient aussi la peine, il les a aimés. Dire qu’on voit se reproduire à chaque coup ce miracle ! Pour ma part, je n’en reviens pas et je suis heureux de vous tirer symboliquement le chapeau que je ne porte guère, Marcel Bois. » Traducteur de Benhedouga, M. Marcel l’a aussi été pour Ouettar avec Ezilzal, Les martyrs reviennent cette semaine et Noces de mulet principalement. « Cet homme-là ne fait plus partie de mon cercle, dès lors qu’il a déclaré après la mort de Djaout que c’était une perte pour sa famille et pour la France. J’ai trouvé cela inadmissible. C’est quelqu’un qui n’admet pas les autres. Je n’ai plus de relation avec lui et même s’il venait à écrire un best-seller, je ne serai pas son traducteur. »

  • #2
    Marcel a traduit aussi les deux romans de Brahim Saâdi Fatwa fi zaman el maout et Confessions au retour des ténèbres. Puis, tout récemment, Bois a traduit l’excellent ouvrage de Waciny Laredj consacré à l’Emir Abdelkader. Le livre de l’Emir conte l’histoire de la révolte, puis de la reddition et de la captivité de l’Emir Abdelkader. Ce gros volume va et vient en d’incessants flashs-back qui reprennent de façon détaillée les épisodes de cette passionnante histoire. Le lecteur y découvre un émir qui, même dans l’action de la guerre, ne cesse jamais d’être un mystique épris de la pensée d’Ibn Arabi. Il apprend aussi un grand nombre de détails sur les diverses étapes de son séjour en France, à Pau, puis Amboise. « Traduit avec bonheur, par Marcel Bois, écrit Jean-Marie Gaudeul, ce roman fidèle aux moindres détails historiques fait découvrir une autre vison des événements et des personnes que celle que nous gardions des manuels scolaires d’autrefois. C’est au fil de ce récit que l’on découvre l’amitié qui lia l’Emir et le premier évêque d’Alger Mgr Antoine Adolphe Dupuch. Leur dialogue se noue à l’occasion d’un échange de prisonniers et se poursuivra, par lettres d’abord, en Algérie, puis par une série de rencontres lors de la captivité de l’Emir en France. »
    La grandeur de l’émir

    Cette amitié devait marquer les deux hommes : l’évêque y découvre la dimension spirituelle de l’Islam et l’Emir s’ouvre à un dialogue inter-religieux qui le conduira même à défendre les Chrétiens contre ses propres coreligionnaires, plus tard, en Syrie. Le traducteur Marcel a été impressionné par la qualité de l’ouvrage, mais aussi par la grandeur de l’homme qu’était l’Emir. Il nous fait part alors d’une petite anecdote. « Un jour, dans un village, pas loin de chez moi en France, je me suis surpris à lire, dans une école, un manuel scolaire traitant de l’histoire. Il y est écrit que ‘’l’Emir, après sa capitulation avait été bien traité par la France’’, alors que la réalité est tout autre, puisque le personnage a été mis en résidence surveillée durant 5 ans. » Traduire, c’est trahir, dit-on. Comment l’expert interprète-t-il cette réflexion ? « Il est sûr qu’on n’arrive pas à rendre toutes les nuances, toutes les richesses du texte original. » La traduction est-elle une passerelle entre les cultures ? « Assurément, chaque pays a ses cultures. Chaque traducteur en est pétri par son éducation, ses relations, son lieu de naissance. Mais chacun a sa vision du monde. On est tous enfermés dans des limites de temps, ces limites nous donnent une vision particulière de l’homme. Ou bien, on s’enferme dans ces limites, ou bien on en sort pour aller partager avec les autres. C’est ce partage qui permet d’avancer. » Puis, le traducteur qu’il est s’insurge contre certaines situations. « Je suis scandalisé qu’on ne trouve pas un Tlemcénien pour traduire Dib. C’est un Syrien qui l’a fait. De plus, ses livres, comme ceux de Lacheraf, ne sont pas traduits en arabe. C’est un énorme gâchis. » Une dernière question : Comment le Français qu’il est n’a pas fui lors de la décennie noire ? « Il était malvenu de partir. C’était presque naturel de rester malgré tous les périls. Et puis, ce serait indécent de quitter un pays qui m’a accueilli à bras ouverts où j’y vis pleinement durant près d’un demi-siècle. L’occasion de ressortir ce propos de Mimouni. Rester c’est mourir un peu, partir, c’est mourir beaucoup, je préfère rester et mourir un peu. »

    Parcours

    Bois Marcel, traducteur littéraire (arabe-français), né en 1925 en Savoie. Etudes de théologie à Tunis (1945-1950), licence de lettres classiques à Strasbourg (1951-1954), études d’arabe à Tunis (1958-1960), au Liban (1960-1961) et à Alger (1961-1968). Licence d’arabe Alger et Aix-en Provence, (1968). Enseignement du français au lycée El Mokrani d’Alger (1969-1985). A traduit notamment entre 1975 et 2006 les œuvres de Benhedouga, Tahar Ouettar, Brahim Saâdi et Waciny Laredj.

    Par El Watan

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