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Layla ma raison - Le temoin

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  • Layla ma raison - Le temoin

    Il me faut maintenant vous dire qui je suis. Mais un instant encore, pour répondre à une autre question : de quel droit, en quel nom, vous ai-je parlé de Majnoun, et pourquoi?” Il est clair, comme vous l'allez voir, que je n'ai pas été guidé par un quelconque souci de gloire personnelle: aucun être humain, sur terre, ne me connaîtra jamais. Si j'ai parlé, ce fut uniquement pour témoigner de la vérité

    Je suis le çadä de Majnoun “, l'oiseau de son âme, celui que ses vers évoquaient : rappelez-vous le dernier adieu de Walid, sur la tombe de son ami. Ma demeure était dans le corps de Majnoun, plus précisément en sa tête, aux lieux où chacun de nous reçoit les bruits et les images du monde. Tout ce que Majnoun voyait, entendait, pensait, rêvait même, c'était moi. Bien des choses que je vous ai racontées sont connues aujourd'hui de tous; on peut les lire sous la plume de ceux qui recueillirent l'histoire de Majnoun, à commencer par AboulFaraj et son beau Livre des Chansons. Mais nombre de détails, de secrets aussi, dans la mesure où il m'a été permis de les révéler, seraient morts à jamais si j'avais gardé le silence.

    A la seconde même où Majnoun expira, j'abandonnai sa dépouille. Aujourd'hui et jusqu’à la fin des temps, un vol invisible, immobile, me garde au-dessus de sa tombe, tout à côté du çadà de son amie. Mon pouvoir s'arrête aux choses de la terre: l'au-delà, comme à vous, me demeure inconnu, et il fallut le songe de Ziyäd pour me rassurer sur la vie éternelle de Majnoun. Mais, rivé à la terre, du moins ai-je la science de tout ce qui continue à être Majnoun ici-bas, dans la mémoire des hommes.

    Les jours, aussi longtemps qu'ils s’écouleront sur le monde, n'ont pas de prise sur moi. Je connais d'avance tous les Majnoun de demain. Pour les Persans, son histoire sera celle d’une âme en quête d'éternité, et son amour de Laylà l'image d’un plus grand désir, que Dieu seul peut combler. Des gens pieux, assoiflés de paradis, que l'on appellera soufis, prendront Majnoun pour modèle. Ils le légueront ensuite à un peuple venu des hautes terres de l'Asie et qui s'installera sur les détroits de l'orgucilleuse Constantinople, les Turcs. Chez les Arabes où il maquit, Majnoun portera deux visages. Ivre de Dieu pour les uns, il restera, pour les autres, le poète, celui qui donna aux Arabes l'une de leurs voix singulières. Plus tard, beaucoup plus tard, quand l'histoire, après bien des infortunes, les replacera, dans le monde, à un rang plus digne d'eux, un autre poète, né sur les bords du Nil #, reprendra la chanson de Majnoun comme l'un des joyaux les plus purs d'un héritage, pour une nation à ressusciter.

    Mais je vois des pays plus lointains encore. Là-bas, aux fins fonds de l’ouest, de l'autre côté de la mer, une autre histoire est déjà en marche. Des peuples aujourd'hui dans l'enfance vont grandir, se battre, envahir la terre. Ils viendront jusqu'ici. Par les armes ou par les livres, nous apprendrons à nous connaître. Majnoun les séduira, eux aussi. Un de leurs poètes voudra donner, à ces vers de la vieille Arabie, une jeunesse nouvelle et, à Majnoun, la voix de tous ceux qui aspirent à changer le monde.

    Quand un homme porte en lui quelque chose qui le dépasse et qu'il ne connaît pas, tous les autres sont libres de prendre à cette richesse et de la voir avec leurs yeux. Ainsi en sera-t-il de Majnoun jusqu'au dernier jour. Je souhaite pourtant que l'on n'oublie jamais de quel prix fut payé cet exemple : la souffrance, les larmes et le désespoir du mal d'amour. Ils foisonneront sur la terre, tous ceux-là qui, sans avoir connu Majnoun, suivront le même chemin. Je vois, aux limites du monde, dans des pays et sur des mers de brume, un homme et une femme blonde, qui boiront leur passion dans un vin mêlé d'herbes magiques. Je vois, sous des cieux plus ensolcillés, deux enfants qui croiront pouvoir s'aimer malgré leurs familles ennemies. Je vois, vers le nord, dans une petite ville auprès d'une rivière, un amant fou d'une femme qui ne lui appartenait pas. Pour eux tous, et pour combien d'autres, la mort.

    Qui peut dire en effet si la mort n'est pas la seule preuve de l'implacable vérité de l'amour, et si la folie qui y mène n'est pas un voile jeté par la société des hommes sur un absolu qu'elle redoute? Ce nom de Majnoun n'est peut-être, venant de nous, qu’une instinctive réaction de défense ou, qui sait? le signe de notre jalousie, de notre insuffisance à suivre le chemin des amants parfaits. Mais que leur importe, à eux? Les voici parvenus au pays qui les réunit loin de nous, aux jardins où chacun des deux fous peut enfin dire à l'autre : « Ô toi, Ô ma raison! »




    Laylâ, ma raison
    Au VII siècle, dans un tribu nomade d'Arabie,
    un jeune homme, Qays, et sa cousine, Laylâ,
    découvrent qu'ils s'aiment depuis leur plus
    lointaine enfance; et Qays, poète, décide de
    chanter cet amour à tous vents : publicité que les
    usages du temps condamnent sans appel. De ce
    conflit va naître l'histoire de Qays, devenu
    Majnoun (le Fou), et de Laylâ, l'une des plus
    vieilles légendes de la littérature arabe, dont ce
    roman s'inspire presque à la lettre. L'Arabie y
    ouvre les portes à l'immense cohorte des amants
    parfaits et maudits, à tous les Werther, Tristan et
    Roméo du monde.
    A.M.
    André Miquel
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