Telquel, du journalisme clean, professionel, neutre, et sans autocensure, comme j'aime lire. Par contre c'est long, vous etes prevenus
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Moulay Abdallah. Le prince inconnu (Tel Quel)
Par Karim Boukhari et Mehdi Sekkouri Alaoui
Extravagant et noceur, mais aussi généreux et révolté, parfois jusqu'à la rupture avec Hassan II…
Révélations sur la vie d'un prince de l'ombre, et sur sa relation passionnelle et ambiguë avec son frère.
Il fallait le voir pour le croire : Hassan II, pratiquement à genoux, plié en deux, pleurant à chaudes larmes… Nous sommes le 20 décembre 1983, une journée pas vraiment ordinaire. Le monarque conduit, ce jour-là, le convoi qui accompagne son frère Moulay Abdallah à sa dernière demeure : le mausolée Mohammed V, là où repose le père des deux hommes. Hassan II craque. Il tente, dans un geste de désespoir, de s'agripper au cercueil. Le temps d'un dernier contact, quelques minutes de plus avec ce frère tant aimé. Et pourtant. En perdant contrôle d'une manière aussi spectaculaire qu'inattendue, lui qui n'a jamais tremblé, lui qui n'a jamais montré aucun signe de faiblesse devant ses “sujets” (tous les Marocains suivaient la cérémonie, ahuris, devant leurs postes de télévision), Hassan II venait d'un coup de baguette magique, non calculé, d'effacer une longue série de malentendus étalés sur près de cinq décennies. Une vie, donc, où les rapports entre les deux frères étaient faits d'amour et d'une gamme entière de sentiments étranges, complexes, et finalement très humains.
La petite famille royale
Mai 1935. Quand Moulay Abdallah voit le jour, il est accueilli avec les fastes dus à un prince de sang. Le Palais n'est pas à son meilleur, ballotté entre un protectorat de plus en plus humiliant et un nationalisme hésitant. Le pays entier est “déprimé” : aux épidémies (typhus, choléra, etc.) succèdent les crises… de la faim (dont celle de 1937, la plus terrible dans l'histoire du royaume). La naissance du petit Abdallah apporte un peu de gaieté dans ce climat morose : elle rassure le sultan Mohammed V, qui dispose désormais d'un deuxième héritier, et apporte au peuple une deuxième icône, après celle de Moulay Hassan. Le dernier-né de la petite famille royale devient, de facto, son chouchou. Et il gagne tout de suite un titre, celui de “Sidi Laâziz” (mon seigneur adoré), là où son aîné de six ans est déjà affublé du “Smiyet Sidi” (le nom de mon seigneur) qui sied à tout futur roi.
De santé fragile, le petit Abdallah est victime, à l'âge de sept ans, d'une tuberculose qui lui vaut une mise en quarantaine de trois longues années à Fès, loin de ses frères et sœurs. De quoi cultiver, très tôt, sa différence. Rétabli, l'enfant, dont la vie a été un moment en danger, gagne mieux que jamais le cœur de son père. “Il faut dire que, en plus d'être fragile, le prince était rieur, blagueur, et Mohammed V n'aimait rien tant que rire. Il était généreux et aimant envers ceux qui arrivaient à lui arracher un sourire” note ce connaisseur des mœurs royales. Le sultan est un père dur et rigoureux avec son aîné, Moulay Hassan, souple et indulgent avec son cadet. Et ce dernier s'en donne à cœur joie, croquant la vie à pleines dents. “Même si Abdallah était le plus jeune, c'est lui, le premier, qui s'adonna réellement à la pratique des sports, aux sorties, etc.”, explique notre source au palais royal. Footballeur, nageur, skieur (et golfeur précoce), le prince Abdallah n'est pas vraiment doué pour les études. “Intelligent mais paresseux”, notent la plupart de ses professeurs au collège royal. “Mais très suivi par ses camarades de classe”, relève l'un d'eux. “Il avait toujours une blague à raconter, un jeu à partager ou une sortie à programmer”, poursuit cet homme qui a usé les mêmes bancs de classe que Moulay Abdallah, Abdelhak Kadiri (futur patron des renseignements extérieurs et militaire de haut rang) ou Abderrahmane El Kouhen (futur chef de parti).
Dans ces années 1930-1940 où la Résidence générale a coulé une chape de plomb sur le royaume, contrôlant de près les affaires du pays, le Palais a une activité essentiellement protocolaire. Mohammed V a tout son temps. Il accompagne l'éducation de ses enfants comme n'importe quel autre père de famille, à peine plus riche que la moyenne nationale. Protecteur, il tolère les excès de son préféré, Abdallah, éduqué selon le modèle d'un gosse de bonne famille, loin des rigueurs de la politique. Un privilège dont ne jouit pas Moulay Hassan, le successeur désigné, en permanence entouré d'éducateurs et de précepteurs religieux et politiques, et autres barbons.
Proche de tout le monde, confident de ses sœurs, Abdallah est, de l'avis de ses plus proches, “à la fois admiratif et quelque part jaloux de son frère aîné qu'il n'hésite pas à appeler Baba Sidi”. Il a du terrain à combler par rapport à Moulay Hassan, alors il se rattrape, mais à sa manière. L'aîné est plus doué, plus solide, plus autonome (Hassan habite seul très jeune, dans une villa au Souissi, tandis que Abdallah continue de vivre au collège royal), le cadet est plus beau, plus grand. Au premier les études et le pouvoir, même minime, au second le sport et les accessits de la vie de riche. Un témoin, qui a partagé bien des moments avec les deux hommes, se souvient : “Quand on jouait au football, les deux frères n'étaient jamais alignés dans la même équipe, c'était leur choix. Et c'est toujours l'équipe de Abdallah qui l'emportait !”. Au grand dam de Moulay Hassan, à son tour jaloux de son jeune frère.
“Ils étaient en permanence en compétition, rivaux et jaloux l'un de l'autre comme dans n'importe quelle famille, mais chacun connaissait son rang et savait rester à sa place”, nuance cette source. Pendant que Moulay Hassan accumule les diplômes et les leçons de vie, se forgeant au passage un caractère bien trempé, son cadet cultive les plaisirs de la vie dans l'insouciance la plus totale. “Je veux devenir pilote”, lance, un jour, Abdallah à son père. Oui, mais avant de devenir pilote, encore faut-il passer son bac. Et Abdallah, qui n'est pas un surdoué, marque des temps de passage (bac à 21 ans, licence à 25 ans, doctorat à 41 ans) décevants pour un élève royal. Autant dire que le projet de devenir pilote a des allures de caprice de gosse de riche dont le rêve est de piloter un jouet aussi gros qu'un avion. Mohammed V, conscient des limites de son cadet, tranche rapidement la question : ça sera non, définitivement !
La différence de caractère entre les deux frères n'échappe ni à l'entourage royal, ni, surtout, à la Résidence générale. La France, devant l'exacerbation du nationalisme marocain (et le passage, bientôt, à la résistance armée) au début des années 1950, aurait même envisagé, selon certaines sources, de “pousser Mohammed V à opter pour Moulay Abdallah plutôt que Moulay Hassan comme prince héritier, histoire de mieux contrôler le pays”. Théorie infondée ? Pure fantaisie ? Pas tant que cela quand on sait que la France, quelques décennies auparavant, avait bien opté pour le plus docile des fils de Ben Youssef (Mohammed V) pour monter sur le trône en 1927…
Coup de foudre (et bac) à Paris
C'est durant l'exil forcé de la famille royale entre la Corse et Madagascar (1953-1955) que le jeune prince s'affranchit et s'émancipe définitivement. L'heure est grave puisque la monarchie n'a aucune garantie de retourner, un jour, au Maroc. Mais Abdallah, plutôt insouciant, n'en a cure. Il festoie. Le jeune homme vit, tout simplement, son âge et son époque, celle de l'après-guerre, qui fait lever un vent d'optimisme sur la jeunesse du monde entier.
Abdallah est alors très proche de son frère aîné, dont le comportement pourtant ressemble de plus en plus à celui d'un chef de famille. Les deux princes, fait nouveau, “sortent ensemble et dansent ensemble”, comme nous le rappelle, avec le sourire, ce proche des deux hommes.
Quand la famille royale regagne, triomphale, le Maroc fin 1955, Abdallah effectue un retour sur terre. Il est redevenu, de facto, le deuxième héritier du trône et doit, à ce titre, montrer plus d'entrain, plus de rigueur, dans son éducation. Retour aux études. Mohammed V, désormais élevé au rang de demi-dieu, apprend à manier le bâton, sermonnant plus volontiers son fils préféré.
Devant la nonchalance de son cadet, le sultan (financièrement plus à l'aise, désormais) n'hésite pas à l'expédier en France, dans une école pour fils de milliardaires…pour réussir son bac. A Paris, Moulay Abdallah, futur bachelier, retrouve ses anciens camarades de classe, tous inscrits à la fac. “On était séparés dans la journée, mais on se retrouvait la nuit ou alors le week-end, généralement à l'hôtel Georges V”, lâche l'un d'eux. La monarchie paie les factures salées à partir de Rabat, et Mohammed V commence à perdre patience. Heureusement que le jeune prince assure, tant bien que mal, à l'école des Roches où il prépare son bac. Et il est de toutes les fêtes. Sa vie nocturne lui permet de côtoyer la jet-set parisienne, faite d'artistes, d'hommes d'affaires et de politiciens. Deux rencontres vont alors marquer une inflexion dans le cours de sa vie. Celle de Abderrahim Bouabid, ami de son père (le prince l'avait déjà approché plusieurs fois au Maroc) et ambassadeur du royaume à Paris entre mai et octobre 1956, lui permet de se frotter - enfin - aux réalités de la future opposition marocaine, lui dont les rencontres avec les hommes politiques ne dépassaient guère le stade de l'anecdotique. Sur le plan personnel, le prince fait la connaissance, lors d'une soirée mondaine, d'une jeune Libanaise, très courtisée à l'époque : sa future femme Lamia, fille de Riyad Solh, le fondateur du Liban moderne.
Entre Abdallah et Lamia, c'est le coup de foudre. Ce qui fait dire à l'un de ses compagnons de l'époque : “Au moins, le jeune prince n'est pas revenu bredouille de Paris, il avait un diplôme (le bac) et une fiancée pratiquement en poche !”. Les fiançailles mettent toutefois du temps avant de se concrétiser. “D'abord parce que Lamia n'était pas Marocaine, ensuite parce que Moulay Abdallah ne pouvait pas se marier avant le premier héritier du trône, Moulay Hassan”, note ce connaisseur des mœurs royales.
Prudent, Mohammed V comprend très vite le parti qu'il peut tirer en se rapprochant, via la liaison de son fils, de la puissante famille Solh, dont le rayon d'influence traverse pratiquement tout le gratin politico-financier du monde arabe, du Liban à l'Arabie Saoudite en passant par la Syrie. Le roi tâte plusieurs fois le terrain, envoie des émissaires dont son ambassadeur au Caire, Abdelkhalek Torres, avant de demander officiellement la main de Lamia pour son fils. La fille Solh est, entre-temps, demandée en mariage… par un prince soaudien (lisez le titre de couv’ de Paris Match, page ci-contre). Mohammed V active alors les démarches et les fiançailles ont finalement lieu en 1959. Mais pas le mariage, pas encore. Moulay Hassan, en effet, est toujours célibataire…
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Moulay Abdallah. Le prince inconnu (Tel Quel)
Par Karim Boukhari et Mehdi Sekkouri Alaoui
Extravagant et noceur, mais aussi généreux et révolté, parfois jusqu'à la rupture avec Hassan II…
Révélations sur la vie d'un prince de l'ombre, et sur sa relation passionnelle et ambiguë avec son frère.
Il fallait le voir pour le croire : Hassan II, pratiquement à genoux, plié en deux, pleurant à chaudes larmes… Nous sommes le 20 décembre 1983, une journée pas vraiment ordinaire. Le monarque conduit, ce jour-là, le convoi qui accompagne son frère Moulay Abdallah à sa dernière demeure : le mausolée Mohammed V, là où repose le père des deux hommes. Hassan II craque. Il tente, dans un geste de désespoir, de s'agripper au cercueil. Le temps d'un dernier contact, quelques minutes de plus avec ce frère tant aimé. Et pourtant. En perdant contrôle d'une manière aussi spectaculaire qu'inattendue, lui qui n'a jamais tremblé, lui qui n'a jamais montré aucun signe de faiblesse devant ses “sujets” (tous les Marocains suivaient la cérémonie, ahuris, devant leurs postes de télévision), Hassan II venait d'un coup de baguette magique, non calculé, d'effacer une longue série de malentendus étalés sur près de cinq décennies. Une vie, donc, où les rapports entre les deux frères étaient faits d'amour et d'une gamme entière de sentiments étranges, complexes, et finalement très humains.
La petite famille royale
Mai 1935. Quand Moulay Abdallah voit le jour, il est accueilli avec les fastes dus à un prince de sang. Le Palais n'est pas à son meilleur, ballotté entre un protectorat de plus en plus humiliant et un nationalisme hésitant. Le pays entier est “déprimé” : aux épidémies (typhus, choléra, etc.) succèdent les crises… de la faim (dont celle de 1937, la plus terrible dans l'histoire du royaume). La naissance du petit Abdallah apporte un peu de gaieté dans ce climat morose : elle rassure le sultan Mohammed V, qui dispose désormais d'un deuxième héritier, et apporte au peuple une deuxième icône, après celle de Moulay Hassan. Le dernier-né de la petite famille royale devient, de facto, son chouchou. Et il gagne tout de suite un titre, celui de “Sidi Laâziz” (mon seigneur adoré), là où son aîné de six ans est déjà affublé du “Smiyet Sidi” (le nom de mon seigneur) qui sied à tout futur roi.
De santé fragile, le petit Abdallah est victime, à l'âge de sept ans, d'une tuberculose qui lui vaut une mise en quarantaine de trois longues années à Fès, loin de ses frères et sœurs. De quoi cultiver, très tôt, sa différence. Rétabli, l'enfant, dont la vie a été un moment en danger, gagne mieux que jamais le cœur de son père. “Il faut dire que, en plus d'être fragile, le prince était rieur, blagueur, et Mohammed V n'aimait rien tant que rire. Il était généreux et aimant envers ceux qui arrivaient à lui arracher un sourire” note ce connaisseur des mœurs royales. Le sultan est un père dur et rigoureux avec son aîné, Moulay Hassan, souple et indulgent avec son cadet. Et ce dernier s'en donne à cœur joie, croquant la vie à pleines dents. “Même si Abdallah était le plus jeune, c'est lui, le premier, qui s'adonna réellement à la pratique des sports, aux sorties, etc.”, explique notre source au palais royal. Footballeur, nageur, skieur (et golfeur précoce), le prince Abdallah n'est pas vraiment doué pour les études. “Intelligent mais paresseux”, notent la plupart de ses professeurs au collège royal. “Mais très suivi par ses camarades de classe”, relève l'un d'eux. “Il avait toujours une blague à raconter, un jeu à partager ou une sortie à programmer”, poursuit cet homme qui a usé les mêmes bancs de classe que Moulay Abdallah, Abdelhak Kadiri (futur patron des renseignements extérieurs et militaire de haut rang) ou Abderrahmane El Kouhen (futur chef de parti).
Dans ces années 1930-1940 où la Résidence générale a coulé une chape de plomb sur le royaume, contrôlant de près les affaires du pays, le Palais a une activité essentiellement protocolaire. Mohammed V a tout son temps. Il accompagne l'éducation de ses enfants comme n'importe quel autre père de famille, à peine plus riche que la moyenne nationale. Protecteur, il tolère les excès de son préféré, Abdallah, éduqué selon le modèle d'un gosse de bonne famille, loin des rigueurs de la politique. Un privilège dont ne jouit pas Moulay Hassan, le successeur désigné, en permanence entouré d'éducateurs et de précepteurs religieux et politiques, et autres barbons.
Proche de tout le monde, confident de ses sœurs, Abdallah est, de l'avis de ses plus proches, “à la fois admiratif et quelque part jaloux de son frère aîné qu'il n'hésite pas à appeler Baba Sidi”. Il a du terrain à combler par rapport à Moulay Hassan, alors il se rattrape, mais à sa manière. L'aîné est plus doué, plus solide, plus autonome (Hassan habite seul très jeune, dans une villa au Souissi, tandis que Abdallah continue de vivre au collège royal), le cadet est plus beau, plus grand. Au premier les études et le pouvoir, même minime, au second le sport et les accessits de la vie de riche. Un témoin, qui a partagé bien des moments avec les deux hommes, se souvient : “Quand on jouait au football, les deux frères n'étaient jamais alignés dans la même équipe, c'était leur choix. Et c'est toujours l'équipe de Abdallah qui l'emportait !”. Au grand dam de Moulay Hassan, à son tour jaloux de son jeune frère.
“Ils étaient en permanence en compétition, rivaux et jaloux l'un de l'autre comme dans n'importe quelle famille, mais chacun connaissait son rang et savait rester à sa place”, nuance cette source. Pendant que Moulay Hassan accumule les diplômes et les leçons de vie, se forgeant au passage un caractère bien trempé, son cadet cultive les plaisirs de la vie dans l'insouciance la plus totale. “Je veux devenir pilote”, lance, un jour, Abdallah à son père. Oui, mais avant de devenir pilote, encore faut-il passer son bac. Et Abdallah, qui n'est pas un surdoué, marque des temps de passage (bac à 21 ans, licence à 25 ans, doctorat à 41 ans) décevants pour un élève royal. Autant dire que le projet de devenir pilote a des allures de caprice de gosse de riche dont le rêve est de piloter un jouet aussi gros qu'un avion. Mohammed V, conscient des limites de son cadet, tranche rapidement la question : ça sera non, définitivement !
La différence de caractère entre les deux frères n'échappe ni à l'entourage royal, ni, surtout, à la Résidence générale. La France, devant l'exacerbation du nationalisme marocain (et le passage, bientôt, à la résistance armée) au début des années 1950, aurait même envisagé, selon certaines sources, de “pousser Mohammed V à opter pour Moulay Abdallah plutôt que Moulay Hassan comme prince héritier, histoire de mieux contrôler le pays”. Théorie infondée ? Pure fantaisie ? Pas tant que cela quand on sait que la France, quelques décennies auparavant, avait bien opté pour le plus docile des fils de Ben Youssef (Mohammed V) pour monter sur le trône en 1927…
Coup de foudre (et bac) à Paris
C'est durant l'exil forcé de la famille royale entre la Corse et Madagascar (1953-1955) que le jeune prince s'affranchit et s'émancipe définitivement. L'heure est grave puisque la monarchie n'a aucune garantie de retourner, un jour, au Maroc. Mais Abdallah, plutôt insouciant, n'en a cure. Il festoie. Le jeune homme vit, tout simplement, son âge et son époque, celle de l'après-guerre, qui fait lever un vent d'optimisme sur la jeunesse du monde entier.
Abdallah est alors très proche de son frère aîné, dont le comportement pourtant ressemble de plus en plus à celui d'un chef de famille. Les deux princes, fait nouveau, “sortent ensemble et dansent ensemble”, comme nous le rappelle, avec le sourire, ce proche des deux hommes.
Quand la famille royale regagne, triomphale, le Maroc fin 1955, Abdallah effectue un retour sur terre. Il est redevenu, de facto, le deuxième héritier du trône et doit, à ce titre, montrer plus d'entrain, plus de rigueur, dans son éducation. Retour aux études. Mohammed V, désormais élevé au rang de demi-dieu, apprend à manier le bâton, sermonnant plus volontiers son fils préféré.
Devant la nonchalance de son cadet, le sultan (financièrement plus à l'aise, désormais) n'hésite pas à l'expédier en France, dans une école pour fils de milliardaires…pour réussir son bac. A Paris, Moulay Abdallah, futur bachelier, retrouve ses anciens camarades de classe, tous inscrits à la fac. “On était séparés dans la journée, mais on se retrouvait la nuit ou alors le week-end, généralement à l'hôtel Georges V”, lâche l'un d'eux. La monarchie paie les factures salées à partir de Rabat, et Mohammed V commence à perdre patience. Heureusement que le jeune prince assure, tant bien que mal, à l'école des Roches où il prépare son bac. Et il est de toutes les fêtes. Sa vie nocturne lui permet de côtoyer la jet-set parisienne, faite d'artistes, d'hommes d'affaires et de politiciens. Deux rencontres vont alors marquer une inflexion dans le cours de sa vie. Celle de Abderrahim Bouabid, ami de son père (le prince l'avait déjà approché plusieurs fois au Maroc) et ambassadeur du royaume à Paris entre mai et octobre 1956, lui permet de se frotter - enfin - aux réalités de la future opposition marocaine, lui dont les rencontres avec les hommes politiques ne dépassaient guère le stade de l'anecdotique. Sur le plan personnel, le prince fait la connaissance, lors d'une soirée mondaine, d'une jeune Libanaise, très courtisée à l'époque : sa future femme Lamia, fille de Riyad Solh, le fondateur du Liban moderne.
Entre Abdallah et Lamia, c'est le coup de foudre. Ce qui fait dire à l'un de ses compagnons de l'époque : “Au moins, le jeune prince n'est pas revenu bredouille de Paris, il avait un diplôme (le bac) et une fiancée pratiquement en poche !”. Les fiançailles mettent toutefois du temps avant de se concrétiser. “D'abord parce que Lamia n'était pas Marocaine, ensuite parce que Moulay Abdallah ne pouvait pas se marier avant le premier héritier du trône, Moulay Hassan”, note ce connaisseur des mœurs royales.
Prudent, Mohammed V comprend très vite le parti qu'il peut tirer en se rapprochant, via la liaison de son fils, de la puissante famille Solh, dont le rayon d'influence traverse pratiquement tout le gratin politico-financier du monde arabe, du Liban à l'Arabie Saoudite en passant par la Syrie. Le roi tâte plusieurs fois le terrain, envoie des émissaires dont son ambassadeur au Caire, Abdelkhalek Torres, avant de demander officiellement la main de Lamia pour son fils. La fille Solh est, entre-temps, demandée en mariage… par un prince soaudien (lisez le titre de couv’ de Paris Match, page ci-contre). Mohammed V active alors les démarches et les fiançailles ont finalement lieu en 1959. Mais pas le mariage, pas encore. Moulay Hassan, en effet, est toujours célibataire…
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