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Interview. Fellag. “Le rire, c’est le costume du désespoir”

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  • Interview. Fellag. “Le rire, c’est le costume du désespoir”

    L’humoriste algérien au chapeau melon et à la chemise à pois revient avec un nouveau livre, L’Allumeur de rêves berbères, et un rôle au cinéma dans L’Ennemi intime. Rencontre avec un artiste touche-à-tout.


    Votre actualité est chargée. Vous terminez la tournée de votre dernier spectacle, Le dernier chameau, vous êtes à l’affiche de L’ennemi intime et vous publiez un livre, L’Allumeur de rêves berbères… Pourquoi ce besoin de diversification ?
    Pour moi, tous ces arts sont cousins. Ce ne sont pas des conquêtes

    différentes, encore moins de la boulimie ou une envie de prouver quoi que ce soit. J’essaie juste d’écrire le monde avec les moyens que j’ai : l’imaginaire, les planches, le stylo et le cinéma. Pour moi, l’écriture est le prolongement du travail sur les planches. Le corps, la voix et la scène ont leurs limites. Le roman me permet d’aller dans l’introspection, de sonder davantage la profondeur de l’être algérien. Dans un monologue, il s’agit toujours de moi. Je dis toujours “je”, même si c’est un “je” qui veut dire “nous”, qui permet d’universaliser sa personne pour que l’autre s’y identifie. Dans le roman, ce qui est intéressant, c’est qu’il y a plusieurs “je”. Je suis obligé d’incarner chacun de ces personnages pour pouvoir être dans leur vérité à eux. C’est cette complexité que je voulais raconter.

    Comment êtes-vous venu à l’écriture ?
    Je ne viens pas d’une famille de lettrés. Ma mère était analphabète. Je suis entré à l’école à 9 ans. C’était du temps de la colonisation : les programmes étaient en français à 100%. Je connaissais mieux la géographie de la France que celle de mon pays. Nos ancêtres étaient les Gaulois. C’est l’école qui m’a transmis l’amour des livres et de l’écriture. Tout jeune, j’essayais d’écrire des poèmes, des histoires. Je lisais un livre par jour. L’été, j’emmenais 30 à 40 livres avec moi. Aujourd’hui, j’ai la chance de vivre dans une petite maison avec trois bibliothèques, dont l’une est consacrée au Maghreb. Et j’ai toujours écrit en parallèle à mon métier de comédien.

    Dans L’Allumeur des rêves berbères, vous dressez le portrait de personnages qui recherchent dans les extrêmes un exutoire à leur peur. Le peuple algérien ressemble-t-il à ces personnages ?
    Les Algériens sont comme tous les peuples du monde. Ils vivent en fonction des réalités socio-politiques qui les entourent. Mes personnages sont des sortes de losers, des désaxés que leur environnement a cassés. Leurs rêves, leurs avenirs et leurs amours ont été brisés. Et ces deux premières années de la naissance de la violence en Algérie les poussent à leur extrémité inconsciente, conditionnée par leur culture et par l’éducation qu’ils ont eues. Mais ce qui m’intéresse le plus, c’est la mécanique intellectuelle que ces personnages produisent pour continuer à exister. Quand on est dans une situation extrême, le cerveau s’emballe et essaie de trouver des solutions. Comment rester vivant si on est menacé ? Comment être encore là demain ? Comment faire vivre ma famille ? C’est pour cela que le livre s’ouvre par une métaphore sur la mécanique automobile. Les Algériens sont les champions du bricolage mental : ils mettent les pièces en place en fonction des problèmes de leur vie.

    L’Algérie est au centre de vos livres et de vos spectacles. Vous gardez une grande nostalgie pour votre pays...
    Pas de la nostalgie, de l’amour ! Je garde de l’amour et de la tendresse pour ce pays et son peuple.

    Mais le rire ne masque-t-il pas une tristesse voilée ?
    Toujours. Le rire n’est que le costume du désespoir, de la tragédie. On rit pour mourir dignement. Le rire permet de créer une distance, de dire : “Non, tout va bien. C’est la catastrophe… mais c’est formidable !”. C’est une façon d’exorciser ses peurs et de continuer à vivre. Quand on a beaucoup ri de nos problèmes, on se sent d’attaque pour se lever le lendemain, aller au boulot, continuer à ramener l’argent. Dans nos sociétés, les gens font ce travail. Il y a un regard critique, lucide, sur les excès de la religion, sur la violence, l’absence d’amour, les tabous présents, le fait qu’on ne se raconte pas. Chez nous, la parole est destinée à masquer l’essence des choses. Elle n’est pas au service de la compréhension de soi. On tchatche pour cacher. Heureusement, en tant qu’artiste qui s’occupe du mal-être de sa société, je me rends compte que cet esprit existe partout. Si j’arrive à faire mes sketchs avec violence et douceur, c’est parce qu’il y a une attente dans la société. Les gens s’y identifient. Ils savent que je suis, non pas leur porte-parole, mais leur parole.

    Qu’est-ce qui vous insupporte en Algérie ?
    Je raconte les histoires des gens, mais je ne les juge pas. Selon moi, c’est la situation politique qui crée et maintient l’ignorance et l’analphabétisme culturel, qui empêchent les peuples d’accéder à la réflexion sur soi pour pouvoir évoluer. Je m’attaque donc aux archaïsmes à tous les niveaux, maintenus par un système politique féodal. Je travaille aussi sur les nouvelles mythologies, créées par les besoins des gens. La légende du Bateau pour l’Australie a vraiment existé. Des Algériens attendaient ce bateau pour partir en Australie, y trouver un travail et un logement. Cette histoire a un lien avec le désespoir des jeunes, l’exil, la souffrance, la misère…

    A-t-il été facile de s’imposer en Algérie avec de sujets aussi sérieux, voire tabous ?
    Oui, grâce au public qui a tout de suite accroché. Même si une partie a été choquée au début, parce que c’est venu brutalement. Jusque-là, le théâtre algérien et l’écriture étaient extrêmement pudiques, policés. Bien sûr, quelques-uns n’avaient pas compris et disaient : “Qu’est-ce-que c’est que ce type ? Qu’est-ce qu’il raconte ?”. Mais le plus gros du public a suivi. Les femmes qui viennent à mes spectacles se sentent concernées. Par la double oppression qu’elles subissent, elles se sentent proches de tous ceux qui portent une parole libre, un discours d’émancipation et d’ouverture.

    Etiez-vous préparé à l’exil ?
    Franchement, je ne m’y attendais pas. Quand j’étais au pays, ce qui m’importait, c’était de préparer mes spectacles. Il y avait bien sûr des moments de doute et de peur. D’ailleurs, s’il y a quelque chose d’autobiographique dans ce livre, c’est cette peur. La peur de voir le pays sombrer dans le désarroi, la peur que les idées de progrès s’arrêtent, de ne plus reconnaître le pays dans lequel j’ai vécu et ses idéaux. Je m’étais déjà exilé une première fois, de 1978 à 1985, au Canada et en France, pour diverses expériences théâtrales. De retour en Algérie, j’ai été engagé par le Théâtre national. J’ai tourné des films et monté des spectacles. J’aurais bien aimé me passer d’un autre exil, parce que j’étais heureux. Jusqu’à ce que le pays bascule dans la violence... Mais, comme on dit, à quelque chose malheur est bon. L’exil m’a permis d’affiner et d’affirmer des univers. De faire une introspection, d’aller aussi loin que possible en moi pour chercher les matériaux de mon algérianité, et les mettre au service de l’universel. De plus, je suis dans un pays où la culture est vivace. Je m’enrichis, je me cultive, je donne autant que je reçois. Je remets aussi en cause mon art. Peut-être que si j’étais resté au pays, à partir d’un moment, j’aurais commencé à tourner en rond…

    Quel regard portez-vous sur la nouvelle scène culturelle algérienne et maghrébine ?
    C’est difficile à dire. Le Maghreb n’a pas encore trouvé l’étincelle pour allumer le moteur de la culture. Nos gouvernants ne veulent pas le faire. Aujourd’hui, il y a seulement des miettes éparses. Le cinéma au Maroc, par exemple, vigoureux et original, a donné de belles œuvres. Il est sur la bonne voie. En Algérie, il y a une dizaine de jeunes écrivains talentueux, à la plume acérée, courageuse, qui n’hésitent pas à remettre en cause leur monde, à casser les tabous. C’est sain. Mais il faudrait qu’on aille encore plus loin.
    * L’Allumeur de rêves berbères, Fellag. Editions Jean-Claude Lattès.

  • #2
    je viens de finir le livre
    alors je vous le conseille vivement
    en plus d etre humoriste il a une sacree plume
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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