Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Le Réveil sunnite d'Irak contre al-Qaida

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Le Réveil sunnite d'Irak contre al-Qaida

    En payant leurs anciens adversaires, les militaires américains ont acheté une relative accalmie, mais pas la paix en Irak.

    Des jeunes gens armés filtrent la circulation dans la rue qui mène à la mosquée Abou Hanifa, dans le quartier d'Adhamiyah, au nord de Bagdad. Jeans à la mode, lunettes noires, cheveux gominés et kalachnikov tenue comme une guitare électrique, ils jettent des regards suspicieux à l'intérieur des voitures, laissent passer les véhicules connus et fouillent ceux qui ne sont pas du quartier.

    Il y a moins d'un an, certains de ces mêmes jeunes gens dissimulaient des engins explosifs improvisés sur le passage des patrouilles américaines, ou participaient à des kidnappings ou des assassinats contre leurs voisins chiites. Adhamiyah, quartier sunnite de Bagdad, coincé dans une boucle du Tigre, sur la rive droite du fleuve, et entouré de zones chiites, était depuis la chute de Saddam Hussein l'un des districts les plus dangereux de Bagdad. Al-Qaida en Irak s'y était particulièrement bien implanté, et les prêches de la mosquée Abou Hanifa lançaient régulièrement des appels à la lutte armée contre les Américains.

    Mais depuis quelques mois, les commerces ont rouvert et tout semble de nouveau relativement paisible dans les rues d'Adhamiyah. Entre-temps, les anciens insurgés se sont transformés en forces de sécurité. Recrutés par les militaires américains pour 300 dollars par mois, ils assurent à présent le maintien de l'ordre dans le quartier. Hier qualifiés de «terroristes», ils sont devenus, dans la terminologie américaine, des «citoyens locaux concernés». Mais eux-mêmes préfèrent s'appeler les «conseils du réveil sunnite», ou «al-Sahwah», en arabe.

    Il a fallu du temps aux dirigeants américains pour revenir sur la tragique erreur de dissoudre, en 2003, les forces de sécurité de feu le dictateur Saddam Hussein, dont le résultat avait été de jeter dans l'insurrection des dizaines de milliers de sunnites ulcérés. Après avoir considéré pendant plus de quatre ans leur soulèvement comme un dernier sursaut des nostalgiques de Saddam Hussein, puis comme un complot de djihadistes internationaux acquis à Oussama Ben Laden, après avoir essayé de les réduire militairement, d'abord directement, puis en lançant contre eux des forces irakiennes recrutées parmi les chiites, les États-Unis ont fini par trouver une solution en apparence toute simple : retourner une partie des insurgés pour les charger eux-mêmes de la sécurité de leurs districts.

    L'idée naît au début de l'année 2007 chez des officiers américains stationnés dans la très volatile province d'al-Anbar. Certains d'entre eux, après plusieurs séjours en Irak, ont enfin fini par acquérir une certaine connaissance du terrain. Ils sentent qu'une partie des sunnites commence à être lassée par des violences qui ne mènent à rien. La lutte à outrance d'al-Qaida contre les militaires américains et le nouveau pouvoir chiite, n'a en effet réussi ni à chasser les uns, ni à renverser les autres pour rendre aux sunnites leur ancienne prééminence. À Bagdad, l'épuration confessionnelle a aussi tourné au désavantage des sunnites. Plus nombreux, les chiites contrôlent la police et les forces de sécurité, et leurs escadrons de la mort tuent plus que les attentats d'al-Qaida.

    Adhamiyah, îlot sunnite à l'est du Tigre, dans une ville qui a presque entièrement basculé sous le contrôle des chiites, a longtemps été en état de siège, alors que la guerre confessionnelle faisait rage à Bagdad. «Il y avait une vingtaine de morts chaque mois, dit un habitant d'Adhamiyah. On était arrêté à un barrage, et on disparaissait.»

    L'armée américaine a commencé par entourer le quartier de hauts remparts. Ces alignements de «T-Walls», murs encastrables en forme de T devenus le symbole de l'aventure américaine en Mésopotamie, visent autant à empêcher les assassins chiites de s'introduire dans le quartier que de bloquer les tueurs sunnites à l'intérieur.

    «Les gens honnêtes ont décidé de défendre leur quartier»

    Alors que le général Petraeus lance son «Surge», le «sursaut» militaire américain censé enrayer ce déchaînement de violence, les mouvements du Réveil sunnite permettent de ramener le calme dans la province d'al-Anbar. L'expérience est peu à peu étendue à d'autres provinces. «Les gens honnêtes se sont inspirés de l'exemple d'al-Anbar, et ont décidé de défendre leur quartier», explique Farouk Abou Omar, le numéro deux du conseil du réveil d'Adhamiyah. «Nous nous sommes rassemblés un matin de novembre 2007, et nous avons commencé à faire la chasse aux terroristes. Il nous a fallu une demi-journée pour nettoyer le district des criminels, là où ni les Américains ni l'armée irakienne n'y étaient arrivés !», explique cet homme d'une cinquantaine d'années, la moustache taillée à la mode baasiste et les cheveux coupés en brosse.

    Il reste cependant très allusif sur les «éléments criminels», que le mouvement du Réveil a neutralisés avec une telle rapidité. Peut-être qu'une fois les principaux responsables de l'insécurité d'Adhamiyah passés du jour au lendemain du côté de la justice, il ne devait de toute façon pas rester beaucoup de monde à arrêter. «Nous sommes tous des moudjahidins, admet Farouk Abou Omar. Nous avons tous combattu les Américains. Mais au bout d'un certain temps, nous nous sommes dit qu'il n'y avait que deux solutions : soit nous continuions d'attaquer les Américains, soit nous faisions avec eux. Pour faire vivre nos villes, nos familles, nos communautés, c'est finalement ce que nous avons choisi.» Farouk Abou Omar vante à présent «la bonne entente» qui règne entre les «vrais Irakiens». «Les divisions entre chiites et sunnites n'existaient pas à l'époque de Saddam Hussein», dit-il, reprenant une des antiennes de l'ancien régime baasiste. «Mais les Américains et les Iraniens ont attisé la haine entre les Irakiens pour casser le pays en divisant pour régner. Mais le jour où nos frères chiites comprendront les véritables intentions des Perses en Irak, ils seront les premiers à les combattre.»

    Le mouvement du Réveil reste contesté, même parmi les sunnites. Le fondateur du mouvement du Réveil d'Adhamiyah, le colonel Riyadh al-Samarrai, a été tué en janvier 2008 par une bombe humaine. L'assassin, soupçonné d'appartenir à al-Qaida en Irak, s'est présenté chez lui comme s'il était venu s'enrôler dans le mouvement, avant de faire exploser la charge qu'il portait. Farouk Abou Omar a lui aussi été blessé. Il explique, en retroussant son pantalon sur une vilaine cicatrice au tibia, comment il a été touché par un éclat de grenade, reçu en venant en aide, dit-il, à un chiite attaqué par des membres d'al-Qaida.

    «Les sunnites n'ont pas oublié leurs anciennes allégeances»

    En payant leurs anciens adversaires, les militaires américains ont acheté une relative accalmie, mais pas la paix. Les limites de ce mouvement du Réveil sunnite sont nombreuses. D'abord, ces miliciens sont organisés par les anciens chefs de l'insurrection. Ils ont cessé leurs attaques contre les forces américaines, mais en officialisant l'existence de milices armées indépendantes du gouvernement, les États-Unis ont encouragé un peu plus le fractionnement du pays en groupes armés recrutés sur des bases confessionnelles. Et le volet politique du «sursaut» voulu par Washington, visant à calmer les sunnites en leur donnant une place accrue dans les nouvelles institutions irakiennes dominées par les chiites, reste le plus difficile à mettre en œuvre. Les pressions de Washington sur le gouvernement Maliki n'ont pour l'instant pas abouti à grand-chose.

    Les chiites se battent à présent entre factions rivales pour le contrôle des institutions irakiennes. Ils ne sont pas prêts à accorder une place à des sunnites qu'ils considèrent toujours avec méfiance comme des représentants de l'ancien régime de Saddam Hussein. Les sunnites n'ont pas non plus été intégrés, si ce n'est marginalement, aux nouvelles forces de sécurité irakiennes. La police et l'armée restent majoritairement chiites et sont largement infiltrées par les membres de l'Armée du Mahdi, la milice chiite de Moqtada al-Sadr, ou des brigades Badr, le bras armé de l'Assemblée suprême islamique en Irak, l'un des partis chiites au pouvoir. Les autorités irakiennes refusent aussi que l'armée américaine équipe en matériel lourd des miliciens sunnites qu'elles pourraient être amenées un jour à combattre.

    Du côté sunnite, les conseils du Réveil sont considérés comme des traîtres à la solde de l'occupant par les branches les plus radicales de l'insurrection. Dans une récente déclaration enregistrée, le bras droit d'Oussama Ben Laden, l'Égyptien Ayman al-Zawahiri, a ironisé sur le mouvement du Réveil. «Ces Réveils n'auraient-ils pas dû hâter le retrait des forces américaines, ou bien ont-ils besoin de quelqu'un pour les défendre et les protéger ?», a dit le numéro deux d'al-Qaida.

    «De toute façon, les sunnites qui rejoignent les mouvements du Réveil n'ont pas oublié leurs anciennes allégeances, dit un journaliste irakien de Bagdad, lui-même sunnite. Ils prennent l'argent américain, mais leurs chefs restent en contact avec al-Qaida, ne serait-ce que pour ne pas être assassinés. Le moment venu, tout repartira.»

    Le succès du Réveil reste une réalité. Ces milices ont rétabli le calme dans des provinces entières et dans les quartiers de Bagdad encore contrôlés par les sunnites. Mais la formation d'une nouvelle armée irrégulière dans un pays en voie de fractionnement accéléré entre provinces et confessions, hypothèque encore un peu plus la possibilité de rétablir un semblant d'État unitaire en Irak.
    .

    Par Le Figaro
Chargement...
X