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Le réveil des Palestiniens d'Israël

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    Le réveil des Palestiniens d'Israël
    LE MONDE | 16.05.08 | 16h37 • Mis à jour le 16.05.08 | 20h27


    Tous les ans, le 30 mars, ceux que l'on appelle les Arabes israéliens, ou les Palestiniens d'Israël, descendent dans la rue pour la "Journée de la terre". Ils le font depuis trente-deux ans, depuis qu'en 1976 six d'entre eux ont été tués alors qu'ils protestaient contre la confiscation de leurs terres par l'Etat juif. Ce rendez-vous prend au fil des dernières années un tour de plus en plus revendicatif et rassemble de plus en plus de monde.

    Cette année, il avait été décidé de faire de Jaffa, vieille ville arabe jouxtant Tel Aviv, le point de ralliement des protestataires : 500 familles du quartier Ajami y sont menacées d'expulsion pour des motifs d'insalubrité et de constructions illégales. "Il y a soixante ans, les Arabes ont été massivement expulsés de Jaffa, cela ne se reproduira pas", a assuré Jamal Zahalka, leader et député du parti arabe Balad.

    Les Palestiniens d'Israël, musulmans mais aussi chrétiens, relèvent la tête. Ils ont décidé de ne plus se laisser faire, de revendiquer leurs droits, de se battre pour les obtenir. Ils ont pris conscience de leur force et sont de plus en plus organisés. Ils sont aujourd'hui 1,5 million, soit 20 % de la population d'Israël, dont ils sont théoriquement des citoyens à part entière depuis la création de l'Etat en 1948. A l'époque, ils n'étaient que 160 000 : 770 000 de leurs compatriotes avaient été chassés ou étaient partis dans les pays limitrophes ou dans les territoires occupés, espérant revenir dans leurs villes et leurs villages, gardant le plus souvent les clés de leur maison. Mais les villages ont été rasés, les maisons occupées et les champs accaparés.

    "60 % de nos terres ont été confisquées dès 1948, ce mouvement s'est poursuivi et aujourd'hui nous ne possédons qu'à peine 3,5 % du territoire israélien. Il n'y a plus rien à nous prendre, alors ce sont les pâturages des Bédouins du Néguev qui sont saisis, explique, à Um El-Fahm, Youssef Jabareen, professeur à l'université de Haïfa et fondateur du Arab Center for Law and Policy. Il faut aussi savoir que près de 300 000 d'entre nous sont des réfugiés internes, des gens déplacés dont les villages ont été détruits ou qui ne sont pas autorisés à revenir dans leurs maisons. On les appelle en anglais des 'present absentees'."

    Par exemple, en octobre 1948, les habitants de Biram, un village d'un millier d'agriculteurs chrétiens situé en Haute Galilée, sont expulsés. Les Israéliens leur promettent qu'ils pourront revenir après la guerre. Rien ne se passe. Des recours sont intentés devant la justice, qui donne raison aux agriculteurs. Mais les militaires s'opposent à ces retours et, en septembre 1953, le village est bombardé. Aujourd'hui encore, il n'a pas été possible de relever les ruines. Jusqu'en 1966, la population arabe a été placée sous régime militaire avec toutes les restrictions que cela impose. "Il était impossible de circuler d'un village à l'autre. Nous avons végété pendant dix-huit ans, proteste Youssef Jabareen. On attend toujours les compensations pour ce que nous avons subi."

    Avec Nazareth, Um El-Fahm est la plus importante ville arabe israélienne. Elle est devenue le fer de lance de la contestation depuis que ses habitants ont renoué des liens de solidarité avec leurs frères palestiniens de Cisjordanie. Il y a eu d'abord la seconde Intifada, puis la construction du mur qui, dans ce secteur, a largement empiété sur le futur Etat palestinien, et ensuite la loi de 2003 qui interdit le rapprochement des familles entre Palestiniens d'Israël et Palestiniens de Cisjordanie, afin d'éviter que la population arabe ne croisse trop dans l'Etat juif. La totale impunité accordée aux policiers à l'origine de la mort de treize personnes en octobre 2000, lors de manifestations pacifiques de soutien aux victimes de l'Intifada, a servi de catalyseur au réveil des Palestiniens d'Israël.

    Considérée comme un déni de justice, cette décision a accru une prise de conscience. "Les Arabes d'Israël sont des citoyens de seconde zone, dit Mamdouh Agbariya, président du Syndicat des étudiants arabes. Depuis ces manifestations, 29 autres Palestiniens d'Israël ont été tués et nous n'avons jamais obtenu une seule condamnation. Cela illustre parfaitement la manière dont l'Etat nous considère."

    "Le temps de l'Arabe soumis et obéissant est terminé, dit un étudiant à Haïfa, qui réside à Um El-Fahm. Nos parents n'ont pas osé élever la voix. Nos anciens leaders se sont tus face à l'occupation. Tout cela est fini. Nous voulons mettre fin à la ségrégation, à l'oppression, à l'apartheid. Nous voulons l'égalité des droits, les mêmes chances. Nous voulons bâtir une nouvelle génération qui ait confiance en elle. Nous sommes contre l'Etat d'Israël en tant qu'Etat juif, car juif et démocratique c'est contradictoire. La démocratie, c'est pour tout le monde." Les étudiants qui l'entourent, sur le campus ensoleillé dominant la baie, approuvent. Certains qualifient la confiscation des terres de "plus grand viol de l'histoire". Ahmed s'indigne des discriminations au sein même de l'université et des privilèges accordés aux non-Arabes.

    Pour Asad Ghanem, professeur de sciences politiques, les étudiants ne supportent plus ce qu'il appelle "un régime ethnocratique", c'est-à-dire "le contrôle par une seule ethnie qui s'estime supérieure à l'autre". "L'humiliation et la destruction des autres font partie du mode de vie sioniste, estime le professeur. Cette situation ne peut continuer, car elle rend notre vie misérable et la leur encore plus. Ils ont tout le temps peur. C'est le produit de ce qu'ils font aux Palestiniens. Tout cela est dangereux et autodestructeur. Il faut désioniser et décoloniser le pays pour le bénéfice de tout le monde." Asad Ghanem a appelé au boycottage des dernières élections, considérant que le fait de pouvoir voter permet à Israël de parler de démocratie alors qu'il ne s'agit que d'"un artifice".

    Au cours des derniers mois, il y a bien eu quelques jets de pierre sur les routes de Galilée et dans la plaine côtière. L'inquiétude s'est emparée des services de sécurité. Il y a un an déjà, le Shin Bet (sécurité intérieure) avait mis en garde contre "une radicalisation croissante des Arabes israéliens" pouvant constituer à moyen terme "une menace stratégique", pour reprendre l'expression du quotidien populaire Maariv. Une Intifada intérieure est-elle en germe ? La portée de ces jets de pierre est minimisée par les étudiants de Haïfa qui, tous, prônent des méthodes d'action non violentes. "Nous sommes des démocrates. Nous ne sommes pas des terroristes, plaide Mamdouh Agbariya. Nous ne voulons pas jeter les Juifs à la mer. Nous voulons vivre ensemble et décider notre avenir ensemble, sur un pied d'égalité."

    Une multitude d'organisations nées au cours des dix dernières années défendent les droits des Palestiniens d'Israël et réclament la fin de la discrimination. Ces mouvements sont de plus en plus influents. Ils demandent la fin des mesures ségrégatives qui interdisent aux Arabes d'acheter des terres juives ; l'accès à la fonction publique, quasiment interdit ; une répartition égalitaire des fonds publics et des subventions ; que ceux qui font leur service militaire n'aient plus de privilèges pour cette seule raison.

    Une politique de discrimination positive a bien été mise en place. Mais les fruits tardent à venir, et le fossé ne cesse de s'élargir. "Ils n'ont aucun budget, aucune infrastructure, aucun avantage fiscal. Ils ont été mis de côté après avoir été placés sous régime militaire", reconnaît Jacques Bendelac, docteur en économie. 54,8 % des Palestiniens israéliens vivent en dessous du seuil de pauvreté (ils étaient 48,3 % en 2003), contre 20,3 % des Juifs. Leur taux de chômage est de quatre points supérieur. Ce sont les laissés-pour-compte de la croissance qui, pendant trois ans, a été supérieure à 5 %.

    "Il est clair qu'Israël ne veut pas que ce pays soit égalitaire pour tout le monde. Pour préserver le caractère juif, les textes ségrégatifs seront de plus en plus nombreux. Le dialogue est de plus en plus difficile. Chaque fois que nous faisons des propositions, nous sommes accusés d'être une cinquième colonne, de vouloir saper les fondements de l'Etat", fait remarquer Ahmad Hijazi, Palestinien d'Israël, directeur du développement d'une communauté de 55 familles (250 personnes), pour moitié arabe et pour moitié juive, appelée "Oasis de paix". Installé à côté de Latrun, ce village est le seul exemple de vie commune entre les deux communautés. Pour Ahmad Hijazi, c'est "un exemple, un modèle, la preuve que l'on peut vivre ensemble mais aussi une forme de protestation contre une politique ségrégative". La seule solution, estime-t-il, est un Etat binational où chacun conserverait son identité propre.

    Pour le moment, l'heure n'est pas vraiment aux embrassades. 64 % des Juifs ne s'aventurent jamais en secteur arabe ; 75 % sont favorables à un transfert des zones arabes à la Cisjordanie. A la Knesset (Parlement), les passes d'armes entre députés arabes et parlementaires de droite sont de plus en plus fréquentes. Effie Etam, député nationaliste religieux, a lancé : "Un jour, nous vous expulserons de ce bâtiment et de la terre du peuple juif."

    Avigdor Lieberman, autre parlementaire nationaliste, traite son homologue arabe Ahmed Tibi de "terroriste". Ce dernier lui répond en le qualifiant d'"immigrant fasciste venu sur une terre qui ne lui appartient pas". Pour M. Lieberman, décidément, les Arabes "abusent de la démocratie".

    Michel Bôle-Richard
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