Je fais remonter cet intéressant topic sur les langues populaires en Afrique du nord ( ou Maghreb). Voici une interview du linguiste algérien Abdou Elimam fort enrichissante.C'est un peu long mais ça vaut le coup.
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Foire aux questions à propos du Maghribi
extrait de : Le maghribi alias « eddarija » (langue consensuelle du maghreb) .Par le Professeur Abdou ELIMAM aux Éditions Dar El Gharb -Septembre 2003
Q.1- Admettons que l’État algérien accepte la reconnaissance du maghribi en tant que langue nationale et officielle. Cette langue est-elle d’ores et déjà en mesure d’entrer à l’école, à l’université, dans les entreprises ?
•Cette langue est présente dans tous les lieux de la production et du savoir à travers ses locuteurs natifs déjà. Par ailleurs, elle recèle un potentiel qui devrait lui permettre moyennant une réelle politique d’aménagement linguistique de répondre à un maximum de besoins en un temps record.
•Elle est dotée d’un système linguistique homogène très vivace et ses capacités lexicales sont incommensurables. Il suffit donc d’un petit coup de pouce politique!
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Q.2- Ne peut prétendre au statut de langue que celle qui est portée par un littérature, par des ouvrages de grammaire, par des dictionnaires. Qu’en est il du maghribi?
•La littérature en langue maghribie est certes peu connue en Algérie mais elle a ses lettres de noblesse qui remontent au IX e siècle. Depuis cette période andalouse, la production de quasidate et de poésies (sans compter les autres textes civils ou militaires) n’a cessé de venir enrichir ce patrimoine (notamment avec le Melhoun, le Hawzi, etc.). On peut dire que le maghribi se fonde sur une littérature vieille de 1000 ans, au moins!
•Quant aux grammaires et dictionnaires, il en existe par douzaines. Le fait que ces documents ne soient pas édités en Algérie ne signifie pas qu’ils n’existent pas!
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Q.3- Est-ce qu’avec une langue où l’on trouve des : « krazatou tomobile, ramassaweh morsowat morsowat », l’on va accéder à une culture universelle et émancipatrice?
•Énoncé bien caricatural que celui-là! On le ressert à chaque fois que se pointe cette perspective d’émancipation linguistique : curieux n’est-ce pas ? En réalité, ce bout de « sabir » (mélange curiieux de langues) est tout de même révélateur de la capacité de notre langue à être le substrat principal, en cela que les mots sont d’origine française certes, mais toute la structure syntaxique de la phrase est en maghribi! Cela étant, on ne peut réduire 1000 ans de littérature à cet échantillon de mauvaise fois!
•Je peux vous assurer que mes grands-parents ne parlaient pas du tout comme çà. Ils étaient plutôt du genre à citer Ibn Messayeb. Quant à ceux qui seraient supposés parler de la sorte, ils ne sauraient représenter la majorité des locuteurs maghribiphones, tout de même!
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Q.4- Les disparités linguistiques entre telle et telle région ne constituent-elles pas la preuve que le maghribi n’est pas si unifié qu’on le prétend?
•Vous savez bien que lorsque l’on veut « se débarrasser de son chien, on prétend qu’il a la rage». Alors cette histoire de variétés linguistiques, elle est soit richesse lorsqu’il s’agit des langues dominantes (une « langue riche, avec plein de synonymes, etc. » : soit atomisation lorsqu’il s’agit d’une langue minorée (« pour un même objet, il y a plusieurs mots »!).
•Les variétés présentes sont donc un potentiel de richesse sémantique.
•Par contre, je lance un défi à quiconque viendrait me démontrer que cette variété lexicale est soutenue par des divergences d’ordre syntaxique.
•Non, la syntaxe du maghribi est relativement homogéne : malgré les attaques qu’elle subit de toutes parts. Il suffit, pour s’en convaincre, de voyager pour constater que deux algériens qui se retrouvent à l’étranger sont perçus comme parlant la même langue. Eux aussi ont ce sentiment.
•Pourquoi ce sentiment s’évanouirait-il dès lors que l’on est chez nous?
•Pensez-vous qu’un Marseillais parle comme in Lillois en France?
•La seule chose qui puisse arriver à une langue pour que ces disparités s’estompent en finissant par s’universaliser, c’est qu’elle soit langue officielle. Seul ce statut politique lui permettra de gagner la sympathie de ses propres locuteurs qui sauront alors dépasser leur complexe d’infériorité.
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Q.5- Mais le maghribi est-il langue de science?
•La science est l’œuvre des hommes et non pas des langues. Les langues ne font que consigner, pour l’éternité, ce que les hommes découvrent et formalisent. Par conséquent, la vraie question est de savoir si le Maghrébin est capable de science ? Car si les locuteurs maghribiphones doivent découvrir et formaliser dans leur langue, il est clair que le maghribi serait langue de science. Dans le cas contraire, il ne l’est pas. Par contre, le maghribi a le potentiel qu’il faut pour devenir langue de consignation de la science. Il l’a été dans le passé (en Andalousie, dans les « Djamaê » (universités) de Sidi Boumediène, ou bien de Bougie, etc.). Ce potentiel existe toujours, il ne demande qu’à être déterré et divulgué.
Q.6- Il nous faudra donc, dans tous les cas, apprendre une terminologie technique et scientifique en maghribi. Dans ce cas pourquoi ne pas le faire directement en français, langue de sciences ?
•Ce potentiel linguistique de spécialité peut se présenter sous forme de nomenclatures mais retenons que les termes scientifiques (notions et concepts) renvoient à une pratique enveloppante. Sans cette pratique, le reste n’est qu’une liste de termes plus ou moins parlants. Par conséquent, le problème n’est pas d’apprendre une liste de mots scientrifiques, mais d’accéder aux pratiques scientifiques qui favorisent l’usage et la pratique de ces termes. C’est là où la concurrence entre les langues sur le marché international du savoir joue un rôle important. Plus on refoulera nos langues de ces pratiques et moins elles seront sollicitées. Donc, le plus tôt ces pratiques s’énonceront en maghribi, le plus proche est le moment où le maghribi retrouvera une valeur d’échange sur le marché international du sens. La souveraineté nationale est totale ou elle ne l’est pas!
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Q.7- Pourquoi le maghribi réussirait-il là où l’arabisation a échoué?
•Rappelons que le maghribi est une langue native et maternelle pendant que l’arabe « moderne » ne l’est pas – et ne l’a jamais été. Par conséquent, la reconnaissance du maghribi permettrait aux locuteurs algériens de se réconcilier avec eux-mêmes et conquérir les espaces du savoir. De la sorte, le maghribi préparerait une meilleure acceptation-assimilation de l’arabe moderne. Le socle sur lequel repose tout accès à la connaissance (et cela dans quelque langue que ce soit), c’est la langue maternelle. La prendre en considération, c’est favoriser les accès à tous les autres savoirs.
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Q.8- D’où vous est venu cette idée d’appeler notre darija, le « maghribi » ?
•La notion de « darija » me gênait depuis bien longtemps. Je me disais : « ne méritons-nous pas que notre langue maternelle soit autre chose que le dialecte d’une entité supérieure » ? Cela m’agaçait et les Arabes que j’ai rencontrés durant mes périples à l’étranger voulaient absolument m’inculquer ce complexe par rapport à eux. Lorsque j’ai enfin découvert que notre langue avait eu un passé très glorieux (notre langue-mère était le punique, langue de la grande Carthage), j’ai cherché à savoir comment les linguistes arabes désignaient notre langue. Avec étonnement, j’ai découvert qu’ils l’appelaient « al-maghribi ». J’ai donc repris cette appellation : appellation bien plus prestigieuse que « darija », reconnaissez-le.
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Q.9- Pourquoi ne pas oublier le maghribi et passer directement à l’arabe. Ne suffirait-il pas de passer le cap de deux ou trois générations pour que le problème ne se pose plus ?
•Voilà une utopie grave de conséquences et qui affecte plus particulièrement les pays arabes. En effet, ce désir d’aller vers la langue fosHa est réel, et souvent de bonne foi, précisons-le. Cependant, la langue arabe, à cause de sa nature non maternelle, n’est jamais parvenue à devenir native. Voilà son handicap majeur. Depuis le Calife Othmane, on tente de l’imposer comme langue des « Arabes », en vain. Elle a certes réussi en tant que langue de l’élite, langue de l’écrit. Mais elle n’a jamais réussi à devenir une langue naturelle et native. Or si elle n’a pas réussi durant ces douze derniers siècles, par quel miracle réussirait-elle en deux générations ? La nature nous adresse un message clair : seules les langues maternelles sont en mesure de se substituer à d’autres langues maternelles. L’arabe n’étant pas une langue maternelle, elle ne pourra se substituer au maghribi.
(à suivre)
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Foire aux questions à propos du Maghribi
extrait de : Le maghribi alias « eddarija » (langue consensuelle du maghreb) .Par le Professeur Abdou ELIMAM aux Éditions Dar El Gharb -Septembre 2003
Q.1- Admettons que l’État algérien accepte la reconnaissance du maghribi en tant que langue nationale et officielle. Cette langue est-elle d’ores et déjà en mesure d’entrer à l’école, à l’université, dans les entreprises ?
•Cette langue est présente dans tous les lieux de la production et du savoir à travers ses locuteurs natifs déjà. Par ailleurs, elle recèle un potentiel qui devrait lui permettre moyennant une réelle politique d’aménagement linguistique de répondre à un maximum de besoins en un temps record.
•Elle est dotée d’un système linguistique homogène très vivace et ses capacités lexicales sont incommensurables. Il suffit donc d’un petit coup de pouce politique!
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Q.2- Ne peut prétendre au statut de langue que celle qui est portée par un littérature, par des ouvrages de grammaire, par des dictionnaires. Qu’en est il du maghribi?
•La littérature en langue maghribie est certes peu connue en Algérie mais elle a ses lettres de noblesse qui remontent au IX e siècle. Depuis cette période andalouse, la production de quasidate et de poésies (sans compter les autres textes civils ou militaires) n’a cessé de venir enrichir ce patrimoine (notamment avec le Melhoun, le Hawzi, etc.). On peut dire que le maghribi se fonde sur une littérature vieille de 1000 ans, au moins!
•Quant aux grammaires et dictionnaires, il en existe par douzaines. Le fait que ces documents ne soient pas édités en Algérie ne signifie pas qu’ils n’existent pas!
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Q.3- Est-ce qu’avec une langue où l’on trouve des : « krazatou tomobile, ramassaweh morsowat morsowat », l’on va accéder à une culture universelle et émancipatrice?
•Énoncé bien caricatural que celui-là! On le ressert à chaque fois que se pointe cette perspective d’émancipation linguistique : curieux n’est-ce pas ? En réalité, ce bout de « sabir » (mélange curiieux de langues) est tout de même révélateur de la capacité de notre langue à être le substrat principal, en cela que les mots sont d’origine française certes, mais toute la structure syntaxique de la phrase est en maghribi! Cela étant, on ne peut réduire 1000 ans de littérature à cet échantillon de mauvaise fois!
•Je peux vous assurer que mes grands-parents ne parlaient pas du tout comme çà. Ils étaient plutôt du genre à citer Ibn Messayeb. Quant à ceux qui seraient supposés parler de la sorte, ils ne sauraient représenter la majorité des locuteurs maghribiphones, tout de même!
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Q.4- Les disparités linguistiques entre telle et telle région ne constituent-elles pas la preuve que le maghribi n’est pas si unifié qu’on le prétend?
•Vous savez bien que lorsque l’on veut « se débarrasser de son chien, on prétend qu’il a la rage». Alors cette histoire de variétés linguistiques, elle est soit richesse lorsqu’il s’agit des langues dominantes (une « langue riche, avec plein de synonymes, etc. » : soit atomisation lorsqu’il s’agit d’une langue minorée (« pour un même objet, il y a plusieurs mots »!).
•Les variétés présentes sont donc un potentiel de richesse sémantique.
•Par contre, je lance un défi à quiconque viendrait me démontrer que cette variété lexicale est soutenue par des divergences d’ordre syntaxique.
•Non, la syntaxe du maghribi est relativement homogéne : malgré les attaques qu’elle subit de toutes parts. Il suffit, pour s’en convaincre, de voyager pour constater que deux algériens qui se retrouvent à l’étranger sont perçus comme parlant la même langue. Eux aussi ont ce sentiment.
•Pourquoi ce sentiment s’évanouirait-il dès lors que l’on est chez nous?
•Pensez-vous qu’un Marseillais parle comme in Lillois en France?
•La seule chose qui puisse arriver à une langue pour que ces disparités s’estompent en finissant par s’universaliser, c’est qu’elle soit langue officielle. Seul ce statut politique lui permettra de gagner la sympathie de ses propres locuteurs qui sauront alors dépasser leur complexe d’infériorité.
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Q.5- Mais le maghribi est-il langue de science?
•La science est l’œuvre des hommes et non pas des langues. Les langues ne font que consigner, pour l’éternité, ce que les hommes découvrent et formalisent. Par conséquent, la vraie question est de savoir si le Maghrébin est capable de science ? Car si les locuteurs maghribiphones doivent découvrir et formaliser dans leur langue, il est clair que le maghribi serait langue de science. Dans le cas contraire, il ne l’est pas. Par contre, le maghribi a le potentiel qu’il faut pour devenir langue de consignation de la science. Il l’a été dans le passé (en Andalousie, dans les « Djamaê » (universités) de Sidi Boumediène, ou bien de Bougie, etc.). Ce potentiel existe toujours, il ne demande qu’à être déterré et divulgué.
Q.6- Il nous faudra donc, dans tous les cas, apprendre une terminologie technique et scientifique en maghribi. Dans ce cas pourquoi ne pas le faire directement en français, langue de sciences ?
•Ce potentiel linguistique de spécialité peut se présenter sous forme de nomenclatures mais retenons que les termes scientifiques (notions et concepts) renvoient à une pratique enveloppante. Sans cette pratique, le reste n’est qu’une liste de termes plus ou moins parlants. Par conséquent, le problème n’est pas d’apprendre une liste de mots scientrifiques, mais d’accéder aux pratiques scientifiques qui favorisent l’usage et la pratique de ces termes. C’est là où la concurrence entre les langues sur le marché international du savoir joue un rôle important. Plus on refoulera nos langues de ces pratiques et moins elles seront sollicitées. Donc, le plus tôt ces pratiques s’énonceront en maghribi, le plus proche est le moment où le maghribi retrouvera une valeur d’échange sur le marché international du sens. La souveraineté nationale est totale ou elle ne l’est pas!
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Q.7- Pourquoi le maghribi réussirait-il là où l’arabisation a échoué?
•Rappelons que le maghribi est une langue native et maternelle pendant que l’arabe « moderne » ne l’est pas – et ne l’a jamais été. Par conséquent, la reconnaissance du maghribi permettrait aux locuteurs algériens de se réconcilier avec eux-mêmes et conquérir les espaces du savoir. De la sorte, le maghribi préparerait une meilleure acceptation-assimilation de l’arabe moderne. Le socle sur lequel repose tout accès à la connaissance (et cela dans quelque langue que ce soit), c’est la langue maternelle. La prendre en considération, c’est favoriser les accès à tous les autres savoirs.
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Q.8- D’où vous est venu cette idée d’appeler notre darija, le « maghribi » ?
•La notion de « darija » me gênait depuis bien longtemps. Je me disais : « ne méritons-nous pas que notre langue maternelle soit autre chose que le dialecte d’une entité supérieure » ? Cela m’agaçait et les Arabes que j’ai rencontrés durant mes périples à l’étranger voulaient absolument m’inculquer ce complexe par rapport à eux. Lorsque j’ai enfin découvert que notre langue avait eu un passé très glorieux (notre langue-mère était le punique, langue de la grande Carthage), j’ai cherché à savoir comment les linguistes arabes désignaient notre langue. Avec étonnement, j’ai découvert qu’ils l’appelaient « al-maghribi ». J’ai donc repris cette appellation : appellation bien plus prestigieuse que « darija », reconnaissez-le.
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Q.9- Pourquoi ne pas oublier le maghribi et passer directement à l’arabe. Ne suffirait-il pas de passer le cap de deux ou trois générations pour que le problème ne se pose plus ?
•Voilà une utopie grave de conséquences et qui affecte plus particulièrement les pays arabes. En effet, ce désir d’aller vers la langue fosHa est réel, et souvent de bonne foi, précisons-le. Cependant, la langue arabe, à cause de sa nature non maternelle, n’est jamais parvenue à devenir native. Voilà son handicap majeur. Depuis le Calife Othmane, on tente de l’imposer comme langue des « Arabes », en vain. Elle a certes réussi en tant que langue de l’élite, langue de l’écrit. Mais elle n’a jamais réussi à devenir une langue naturelle et native. Or si elle n’a pas réussi durant ces douze derniers siècles, par quel miracle réussirait-elle en deux générations ? La nature nous adresse un message clair : seules les langues maternelles sont en mesure de se substituer à d’autres langues maternelles. L’arabe n’étant pas une langue maternelle, elle ne pourra se substituer au maghribi.
(à suivre)
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