SYLVIA, RACHID, JULIA, MALEK ET LES AUTRES
Les mariés du web
Que de mutations aura connu le mariage dans nos régions qui abandonnent peu à peu les traditions ancestrales pour une modernité pas toujours évidente.
Le mariage est une affaire trop sérieuse et engage l’homme et la femme, en principe, pour la vie. Fonder une famille implique des responsabilités nouvelles et le jeune homme autant que la jeune femme «fêtent» ainsi leur «passage» à la vie d’adultes. Le mariage est l’acte fondateur d’une nouvelle famille et, à ce titre, il est très important. Mais voyons un peu comment l’appréhendent les jeunes en âge de convoler en justes noces.
Les rêves souvent se dissipent pour laisser la place, toute la place à la dure réalité et rares sont les couples qui arrivent à franchir cette «ligne rouge» pour accéder au vrai bonheur, celui fait d’espoir et aussi des difficultés inhérentes à cet état. Un état de grâce, diront certains, un enfer diront d’autres. Le mariage est donc une véritable loterie mais une loterie qui peut coûter une fortune. D’une région à l’autre, il existe certes des différences, mais il reste que fonder un foyer n’est pas aussi facile qu’on pourrait le penser.
II fût un temps, jadis, où se marier ne nécessitait pas autant de chichis. Les familles s’unissaient et souvent les mariés ne se connaissaient pas. La mère du futur marié s’enquiert des filles en âge de se marier et alors on entame des «négociations», une fois la demande acceptée, les familles s’entendent sur les dépenses et autres frais. Ainsi la famille du marié se devait de fournir la semoule, généralement un quintal, l’huile, le mouton de préférence encorné et quelques robes et le tour est joué. La dot en argent à payer au père de la future était insignifiante. L’or n’existait pas et les bijoux en argent se résument à deux bracelets dans le meilleur des cas et aussi à un collier agrémenté de boucles. Les dépenses pour la fête étaient ainsi acceptables et le couple pouvait espérer démarrer dans la vie sans trop de problèmes. Les mariés habitaient chez les parents et les filles étaient rares à exiger un appartement. Quoique il est vrai qu’en ces temps-là, les logements étaient tout aussi rares. Il semble, cependant, que malgré le fait que les couples ne se connaissaient pas avant le mariage et que la vie était alors des plus rudes pour ne pas dire difficile, le mariage résistait, et rares étaient les divorces et autres séparations. La famille ou plutôt le clan était là comme une barrière à toutes les dérives. Dans les villages et sans le dire, les djemaâs, participaient également à cette solidité des couples face aux aléas de la vie. On avait faim, on logeait mal, on n’avait pas de rentrées d’argent ou si peu, mais généralement le bonheur était toujours là. Un bonheur simple, fait de ces petites choses qui comptent pour cimenter une vie de couple. Il faut sans doute aussi revenir sur le déroulement de la cérémonie elle-même. La mariée était ramenée dans son nouveau foyer, souvent à dos de mulet ou alors, plus tard, à bord d’une voiture certes, mais le convoi se résumait généralement à une suite de quatre à cinq voitures. Un grand couscous à la viande réunissait les invités qui, en plus, jouissaient d’un spectacle qui durait toute la nuit avec tambours et ghaïta. Le vieux Sadek nous parle de son mariage avec une certaine réserve, «c’est que ces choses-là ne se racontent pas chez nous». affirme-t-il. A l’époque, je devais avoir environ vingt ans, mon père et surtout ma mère me tarabustaient. Pour ma mère, il lui fallait quelqu’un pour l’aider à tenir la maison. Elle était aussi chargée de me trouver la fille qui lui «convenait». Je me rappelle de ce qu’elle me disait quand elle m’avait parlé de la «perle dégotée». Elle était solide, obéissante, en bonne santé et la nave va. Le mariage a été fixé et c’est après la récolte des olives que la fête eut lieu. Le village était invité et le couscous était pour tous. Un gros mouton a été égorgé et les tambourins ont joué toute la nuit. Je ne connaissais pas la mariée et elle non plus d’ailleurs et dites-moi quel besoin a-t-on de se connaître? On s’est unis pour fonder une famille et pas pour vivre une histoire à l’eau de rose. «D’ailleurs, dès le septième jour, c’est-à-dire une fois la "période" passée, la mariée s’est tout de suite mise au travail. II ne manquerait plus qu’elle passe son temps au lit». Un autre vieux monsieur ayant assisté à l’entretien intervient dans la discussion pour dire: «Les gens maintenant se marient, mais il me semble que les unions sont éphémères. Un an, deux à tout casser et voici la jeune femme, souvent avec un bébé sur les bras, de retour à la maison paternelle. Quel gâchis!»
Le visa aux yeux bleus
Les jeunes ne se marient plus autant, dit-on ici et là. Certes des convois nuptiaux sont constatés, notamment dans les rues des grandes villes et surtout en été, mais il semble aussi qu’une hirondelle ne fait pas le printemps. Les jeunes gens, garçons et filles, poursuivent, jusque sur le tard, les études universitaires et avant de songer à s’installer, les jeunes cherchent d’abord à avoir une situation et les filles exigent pour la plupart d’habiter seules, le recours à la maison familiale est vraiment l’extrême limite. Quand deux jeunes gens se connaissent, s’apprécient et envisagent de convoler en justes noces, ils commencent à évoquer l’avenir avec une certaine crainte, tant pour la fille que pour le garçon. Tous deux savent la difficulté d’avoir un logement. La location coûte les yeux de la tête et l’achat d’un logement est un rêve utopique. Si par le plus heureux des hasards, le jeune couple peut compter sur un coup de pouce familial pour le logement, il reste alors tous les autres préparatifs. Il faut au jeune prétendant, préparer au moins un minimum et le minimum est inaccessible, une parure en or, une dizaine de robes kabyles, des vêtements de prêt-à-porter, quatre à cinq paires de chaussures, cinq flacons de parfum et de qualité SVP! La robe de fiançailles et ensuite la robe de mariée et cela étant acquis, il lui faudra alors penser aux frais de la fête, d’abord les victuailles à offrir à la famille de la mariée, un gigot de veau, de la semoule, de l’huile, etc. En outre, il faut ajouter la literie de grands tapis faits maison, des couvertures et aussi des couettes. En plus et au jour dit, les parents du fiancé mettent sur la table et avant la Fatiha une dot d’environ un million de centimes anciens. Le père de la fiancée en principe prend quelques billets et laisse sur la table le reste. Ainsi et en comptant les meubles et la fête qu’il organise chez lui, le marié s’en sort généralement et au minimum avec plus de cinquante millions de centimes. Cela explique en partie ce fléchissement des mariages.
Il y a des villages qui ont tôt remarqué cette chose et pour lutter contre cette propension, ont codifié les mariages. Ainsi en ces villages, la mariée ne doit pas exiger de parure ou alors libre à son futur époux de lui en acheter mais après la cérémonie, par souci d’égalité avec les familles moins aisées. Tout comme les frais de la fête sont réduits à leur plus simple expression. Mais l’exemple de ces villages n’a pas l’heur de faire l’unanimité chez toutes les familles car il y a toujours ce sentiment bien maternel qu’éprouvent les mamans des mariées. II faut à sa fille la plus grande et la plus belle des fêtes, des voitures luxueuses et en nombre, tout un trousseau et plus encore, une parure et des bracelets et tutti quanti, et les pères n’ont qu’à s’y plier.
Si les jeunes gens ont tendance à ne pas se marier en raison de la situation sociale, l’on assiste depuis quelques années à la montée en flèche de mariages mixtes d’un genre particulier, Ainsi, et rien que pour la wilaya de Tizi Ouzou, ces chiffres semblent relativement importants.
En 2005, on a recensé 73 mariages mixtes, en 2006, ils sont 155 et pour seulement le premier semestre de la présente année, ce sont 105 mariages mixtes qui ont été recensés dans la wilaya, soit une moyenne de dix-sept mariages par mois. Les relations et les connaissances commencent toujours par une discussion sur Internet.
Ensuite, les choses s’imbriquent, on bâtit des châteaux en Espagne et on commence un rêve éveillé. Généralement, les rêves sont totalement divergents. Le jeune homme est attiré par la femme qui lui promet de l’aider à vivre en Europe ou encore au Canada et la femme se dit qu’il est temps de se caser et surtout d’avoir un mari jeune.
A.SAÏD
L'expression
Les mariés du web
Que de mutations aura connu le mariage dans nos régions qui abandonnent peu à peu les traditions ancestrales pour une modernité pas toujours évidente.
Le mariage est une affaire trop sérieuse et engage l’homme et la femme, en principe, pour la vie. Fonder une famille implique des responsabilités nouvelles et le jeune homme autant que la jeune femme «fêtent» ainsi leur «passage» à la vie d’adultes. Le mariage est l’acte fondateur d’une nouvelle famille et, à ce titre, il est très important. Mais voyons un peu comment l’appréhendent les jeunes en âge de convoler en justes noces.
Les rêves souvent se dissipent pour laisser la place, toute la place à la dure réalité et rares sont les couples qui arrivent à franchir cette «ligne rouge» pour accéder au vrai bonheur, celui fait d’espoir et aussi des difficultés inhérentes à cet état. Un état de grâce, diront certains, un enfer diront d’autres. Le mariage est donc une véritable loterie mais une loterie qui peut coûter une fortune. D’une région à l’autre, il existe certes des différences, mais il reste que fonder un foyer n’est pas aussi facile qu’on pourrait le penser.
II fût un temps, jadis, où se marier ne nécessitait pas autant de chichis. Les familles s’unissaient et souvent les mariés ne se connaissaient pas. La mère du futur marié s’enquiert des filles en âge de se marier et alors on entame des «négociations», une fois la demande acceptée, les familles s’entendent sur les dépenses et autres frais. Ainsi la famille du marié se devait de fournir la semoule, généralement un quintal, l’huile, le mouton de préférence encorné et quelques robes et le tour est joué. La dot en argent à payer au père de la future était insignifiante. L’or n’existait pas et les bijoux en argent se résument à deux bracelets dans le meilleur des cas et aussi à un collier agrémenté de boucles. Les dépenses pour la fête étaient ainsi acceptables et le couple pouvait espérer démarrer dans la vie sans trop de problèmes. Les mariés habitaient chez les parents et les filles étaient rares à exiger un appartement. Quoique il est vrai qu’en ces temps-là, les logements étaient tout aussi rares. Il semble, cependant, que malgré le fait que les couples ne se connaissaient pas avant le mariage et que la vie était alors des plus rudes pour ne pas dire difficile, le mariage résistait, et rares étaient les divorces et autres séparations. La famille ou plutôt le clan était là comme une barrière à toutes les dérives. Dans les villages et sans le dire, les djemaâs, participaient également à cette solidité des couples face aux aléas de la vie. On avait faim, on logeait mal, on n’avait pas de rentrées d’argent ou si peu, mais généralement le bonheur était toujours là. Un bonheur simple, fait de ces petites choses qui comptent pour cimenter une vie de couple. Il faut sans doute aussi revenir sur le déroulement de la cérémonie elle-même. La mariée était ramenée dans son nouveau foyer, souvent à dos de mulet ou alors, plus tard, à bord d’une voiture certes, mais le convoi se résumait généralement à une suite de quatre à cinq voitures. Un grand couscous à la viande réunissait les invités qui, en plus, jouissaient d’un spectacle qui durait toute la nuit avec tambours et ghaïta. Le vieux Sadek nous parle de son mariage avec une certaine réserve, «c’est que ces choses-là ne se racontent pas chez nous». affirme-t-il. A l’époque, je devais avoir environ vingt ans, mon père et surtout ma mère me tarabustaient. Pour ma mère, il lui fallait quelqu’un pour l’aider à tenir la maison. Elle était aussi chargée de me trouver la fille qui lui «convenait». Je me rappelle de ce qu’elle me disait quand elle m’avait parlé de la «perle dégotée». Elle était solide, obéissante, en bonne santé et la nave va. Le mariage a été fixé et c’est après la récolte des olives que la fête eut lieu. Le village était invité et le couscous était pour tous. Un gros mouton a été égorgé et les tambourins ont joué toute la nuit. Je ne connaissais pas la mariée et elle non plus d’ailleurs et dites-moi quel besoin a-t-on de se connaître? On s’est unis pour fonder une famille et pas pour vivre une histoire à l’eau de rose. «D’ailleurs, dès le septième jour, c’est-à-dire une fois la "période" passée, la mariée s’est tout de suite mise au travail. II ne manquerait plus qu’elle passe son temps au lit». Un autre vieux monsieur ayant assisté à l’entretien intervient dans la discussion pour dire: «Les gens maintenant se marient, mais il me semble que les unions sont éphémères. Un an, deux à tout casser et voici la jeune femme, souvent avec un bébé sur les bras, de retour à la maison paternelle. Quel gâchis!»
Le visa aux yeux bleus
Les jeunes ne se marient plus autant, dit-on ici et là. Certes des convois nuptiaux sont constatés, notamment dans les rues des grandes villes et surtout en été, mais il semble aussi qu’une hirondelle ne fait pas le printemps. Les jeunes gens, garçons et filles, poursuivent, jusque sur le tard, les études universitaires et avant de songer à s’installer, les jeunes cherchent d’abord à avoir une situation et les filles exigent pour la plupart d’habiter seules, le recours à la maison familiale est vraiment l’extrême limite. Quand deux jeunes gens se connaissent, s’apprécient et envisagent de convoler en justes noces, ils commencent à évoquer l’avenir avec une certaine crainte, tant pour la fille que pour le garçon. Tous deux savent la difficulté d’avoir un logement. La location coûte les yeux de la tête et l’achat d’un logement est un rêve utopique. Si par le plus heureux des hasards, le jeune couple peut compter sur un coup de pouce familial pour le logement, il reste alors tous les autres préparatifs. Il faut au jeune prétendant, préparer au moins un minimum et le minimum est inaccessible, une parure en or, une dizaine de robes kabyles, des vêtements de prêt-à-porter, quatre à cinq paires de chaussures, cinq flacons de parfum et de qualité SVP! La robe de fiançailles et ensuite la robe de mariée et cela étant acquis, il lui faudra alors penser aux frais de la fête, d’abord les victuailles à offrir à la famille de la mariée, un gigot de veau, de la semoule, de l’huile, etc. En outre, il faut ajouter la literie de grands tapis faits maison, des couvertures et aussi des couettes. En plus et au jour dit, les parents du fiancé mettent sur la table et avant la Fatiha une dot d’environ un million de centimes anciens. Le père de la fiancée en principe prend quelques billets et laisse sur la table le reste. Ainsi et en comptant les meubles et la fête qu’il organise chez lui, le marié s’en sort généralement et au minimum avec plus de cinquante millions de centimes. Cela explique en partie ce fléchissement des mariages.
Il y a des villages qui ont tôt remarqué cette chose et pour lutter contre cette propension, ont codifié les mariages. Ainsi en ces villages, la mariée ne doit pas exiger de parure ou alors libre à son futur époux de lui en acheter mais après la cérémonie, par souci d’égalité avec les familles moins aisées. Tout comme les frais de la fête sont réduits à leur plus simple expression. Mais l’exemple de ces villages n’a pas l’heur de faire l’unanimité chez toutes les familles car il y a toujours ce sentiment bien maternel qu’éprouvent les mamans des mariées. II faut à sa fille la plus grande et la plus belle des fêtes, des voitures luxueuses et en nombre, tout un trousseau et plus encore, une parure et des bracelets et tutti quanti, et les pères n’ont qu’à s’y plier.
Si les jeunes gens ont tendance à ne pas se marier en raison de la situation sociale, l’on assiste depuis quelques années à la montée en flèche de mariages mixtes d’un genre particulier, Ainsi, et rien que pour la wilaya de Tizi Ouzou, ces chiffres semblent relativement importants.
En 2005, on a recensé 73 mariages mixtes, en 2006, ils sont 155 et pour seulement le premier semestre de la présente année, ce sont 105 mariages mixtes qui ont été recensés dans la wilaya, soit une moyenne de dix-sept mariages par mois. Les relations et les connaissances commencent toujours par une discussion sur Internet.
Ensuite, les choses s’imbriquent, on bâtit des châteaux en Espagne et on commence un rêve éveillé. Généralement, les rêves sont totalement divergents. Le jeune homme est attiré par la femme qui lui promet de l’aider à vivre en Europe ou encore au Canada et la femme se dit qu’il est temps de se caser et surtout d’avoir un mari jeune.
A.SAÏD
L'expression
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