Par Akram Belkaid, Jean-Luc Coatalem - Publié le 01/04/2011
Oman : un sultanat entre mer et désert
Le fjord de Khor ash-Sham, à Oman
© Gettyimages
Oman fait exception parmi les pétromonarchies du Golfe : il est l'héritier d'une histoire millénaire et prône un islam modéré.
Ce matin de décembre, ils étaient des milliers à converger des quatre coins du sultanat vers Mascate, la capitale. Leur intention? Honorer le sultan Qabus ibn Said. Chacun de ces Omanais porte sa «dishdasha» blanche, beige ou marron, et à la ceinture son «khandjar», poignard à lame courbe. Alors que le soleil couchant enflamme les collines chauves autour du stade de la Conquête, ces hommes à l'allure guerrière défilent les uns après les autres, brandissant fusils automatiques, épées, poignards et boucliers. «Nous te devons tout! L'honneur, la dignité et notre bonheur! Longue vie à toi, ô souverain bien-aimé!» clament-ils en lançant en l'air leurs armes avant de les rattraper au vol.
Le spectateur sera peut-être impressionné par cette ferveur. Elle témoigne pourtant de l'allégeance d'un peuple à Qabus ibn Said, maître incontesté de cette monarchie atypique du Golfe. Depuis sa tribune, en uniforme d'apparat, visage impénétrable encadré d'un collier de barbe finement taillé, le sultan honore d'un salut militaire ses sujets. Au centre de l'esplanade en tuf, les musiciens de la fanfare font sonner leurs cornemuses écossaises. Les différents corps d'armée s'ébranlent dans la poussière ocre. Déchirant le ciel d'un bleu minéral, trois avions F-16 dessinent un sillage aux couleurs du pays: le blanc pour le pacifisme, le vert pour l'islam, le rouge, enfin, pour le sang versé contre les envahisseurs de jadis, Persans ou Portugais. Dans la soirée, un feu d'artifice viendra clore les célébrations du quarantième anniversaire de l'accession au trône du sultan. Puis la nuit tiède retombera sur la paisible Mascate et la baie de Mutrah où, coffre à coffre, dodelinent les boutres à quelques brasses de yachts luxueux. Ces festivités un peu anachroniques peuvent faire sourire l'observateur étranger. Il faut savoir pourtant que cette société a gardé des fondements tribaux qui, à ce jour, lui assurent une certaine cohérence. Mais pour combien de temps encore, dans un monde arabe secoué par des révolutions systémiques? Déjà, en 2007, des manifestations populaires réclamant une amélioration des conditions sociales avaient obligé le sultan à débloquer des aides d'urgence pour la frange la plus démunie. Aujourd'hui, les mouvements de revendication que l'on observe portent surtout sur les emplois et les salaires. Ils remettent plus en cause un certain nombre de ministres estimés corrompus que le sultan lui-même.
Les Omanaises ont le droit de choisir leur époux, de porter ou non le voile et de conduire
En effet, après avoir destitué son père, Said ibn Taymur, en 1970, Qabus ibn Said a réussi à sortir son pays de la misère. En quarante ans, et grâce à une utilisation inspirée de la rente pétrolière et gazière, ce dirigeant a modernisé sa nation de fond en comble. D'ailleurs, l'ONU a classé le sultanat parmi les dix pays ayant connu le plus fort développement depuis 1970. «Avant Qabus, nous en étions encore au Moyen Age. Quatre Omanais sur cinq étaient analphabètes. Ni écoles ni hôpitaux, peu d'électricité... Dix kilomètres en tout de routes asphaltés! Et, en plus, une révolte séparatiste et marxiste grondait dans la province du Dhofar, à l'extrême sud», se rappelle Ahmad R., un négociant de 66 ans, rencontré dans les ruelles du souk de Mutrah.
Aujourd'hui, le sultanat est prospère. Le revenu par habitant atteint 25 000 dollars par an. Selon le dernier rapport de l'ONU (2010) , les secteurs de la santé et de l'éducation ont nettement progressé: 85 % de la population - soit 2,8 millions d'habitants sur un pays qui fait la moitié de la France- est alphabétisée et éduquée. 90 % des habitants ont accès à l'eau potable. Quant aux Omanaises, elles jouissent de droits que leurs voisines du Golfe jalousent: elles peuvent choisir leur époux, décider de porter ou non le voile, travailler et conduire.
De plus, le sultan s'est révélé être un esthète. Outre la fondation d'un orchestre philarmonique et d'une radio, Oman Classic, il fait bâtir une maison d'opéra de 1100 places (80 000 mètres carrés), dans un style digne du classique italien, qui sera inaugurée ce printemps (la programmation est encore secrète). Il a construit aussi un vaste jardin botanique de 420 hectares où pousseront 1200 espèces, dont des orchidées, des lentisques et de la lavande du désert, ou encore quatre-vingts plantes aromatiques que l'on ne trouve que dans la péninsule Arabique. «Dans une région de rocaille et de sable, ce sera une merveille. Le jardin va devenir un must pour les amoureux de fraîcheur et de repos», promet un officiel, rappelant qu'en été la température frise les 50 °C.
Mais le monarque inspiré n'a pas oublié son peuple. En quarante ans, il aura réussi à bâtir un équilibre subtil entre la soixantaine de tribus omanaises. En intégrant diverses personnalités à de hauts postes, l'armée, l'administration ou la diplomatie, il a su rallier en douceur les récalcitrants ou les frondeurs. De même a-t-il veillé à ménager les puissantes familles marchandes. Et à encourager la foi musulmane. La gigantesque mosquée qui porte son nom à Mascate, pour laquelle un concours d'architectes a été organisé, avait déjà fait sensation lors de l'inauguration en 2001: quinze mille fidèles peuvent y prier de concert sur un tapis persan géant, entre des marbres éblouissants et sous des lustres en cristal. Les fidèles pratiquent ici l'ibadisme, une branche minoritaire de l'islam qui prône la modération et l'indulgence. C'est la religion dominante à Oman (65 % de la population). «Cette tolérance constitue un rempart contre l'intégrisme, estime un diplomate américain en poste dans la région. En plus, elle donne des atouts supplémentaires de stabilité.»
Pour remplacer la manne pétrolière qui s'épuise, le pays se tourne vers l'«élitourisme»
Mais le bond en avant de la société omanaise dû à la manne pétrolière et gazière pourra-t-il se poursuivre? Les réserves d'or noir ne sont pas énormes: le stock, évalué à 5,5 milliards de barils, représente une broutille en comparaison des 320 milliards contenus dans le sous-sol du grand-frère saoudien. D'ici à 2020, les prévisions du ministère de l'Information n'évaluent plus la part du pétrole brut dans le PNB qu'à 9 %, celle du gaz à 10 %. «Il faut l'admettre: nos ressources s'épuisent», concède sans tergiverser un conseiller royal.
Mais le sultanat a trouvé la parade: il investit dans les semi-conducteurs et la robotique, consolide ses acquis dans les mines de cuivre et de marbre, les infrastructures portuaires... et mise à fond sur le tourisme de luxe. En moins de dix ans, le nombre d'hôtels aux normes internationales est passé de deux cents à plus de six mille. Conséquence logique, le nombre de touristes augmente chaque année de 30 %, selon le ministère du Tourisme. «Rassurez-vous, nous n'avons pas l'intention de céder aux mirages du tourisme de masse», tempère Mohamed al-Toobi, sous-secrétaire d'Etat au Tourisme. Notre stratégie nous porte vers un tourisme respectueux de l'environnement et de notre culture. En clair: privilégier la qualité sur la quantité. Et attirer les voyageurs qui cherchent l'authentique.»
D'ailleurs, aujourd'hui, lassés par les autres villes de la péninsule Arabique, leurs buildings tape-àl'oil et leurs malls commerciaux désespérants, la plupart des visiteurs viennent à Oman pour renouer avec ce qu'ils imaginent être l'«Arabie heureuse». Certes, il y a, pour commencer, Mascate, la plus petite capitale du monde. A peine cinq kilomètres carrés. Encaissée entre les collines d'ophiolite et bordée par le bleu dur de la mer, elle offre une première surprise au bout des trente-sept kilomètres à quatre voies desservant l'aéroport. Point de «bling-bling» ou de constructions prétentieuses: ici, une loi interdit les immeubles de plus de dix étages. Mais, dans une succession de criques et de pitons rocheux, on trouve une multitude de mini-centres urbains et de quartiers résidentiels où rivalisent les petits immeubles blancs ou sable, les villas cossues, cernées de palmiers-dattiers et de buissons de lauriers-roses ou de bougainvilliers. Et puis, depuis toujours, on y préfère les maisons aux toits bas, serties dans les replis de collines noires.
Oman : un sultanat entre mer et désert
Le fjord de Khor ash-Sham, à Oman
© Gettyimages
Oman fait exception parmi les pétromonarchies du Golfe : il est l'héritier d'une histoire millénaire et prône un islam modéré.
Ce matin de décembre, ils étaient des milliers à converger des quatre coins du sultanat vers Mascate, la capitale. Leur intention? Honorer le sultan Qabus ibn Said. Chacun de ces Omanais porte sa «dishdasha» blanche, beige ou marron, et à la ceinture son «khandjar», poignard à lame courbe. Alors que le soleil couchant enflamme les collines chauves autour du stade de la Conquête, ces hommes à l'allure guerrière défilent les uns après les autres, brandissant fusils automatiques, épées, poignards et boucliers. «Nous te devons tout! L'honneur, la dignité et notre bonheur! Longue vie à toi, ô souverain bien-aimé!» clament-ils en lançant en l'air leurs armes avant de les rattraper au vol.
Le spectateur sera peut-être impressionné par cette ferveur. Elle témoigne pourtant de l'allégeance d'un peuple à Qabus ibn Said, maître incontesté de cette monarchie atypique du Golfe. Depuis sa tribune, en uniforme d'apparat, visage impénétrable encadré d'un collier de barbe finement taillé, le sultan honore d'un salut militaire ses sujets. Au centre de l'esplanade en tuf, les musiciens de la fanfare font sonner leurs cornemuses écossaises. Les différents corps d'armée s'ébranlent dans la poussière ocre. Déchirant le ciel d'un bleu minéral, trois avions F-16 dessinent un sillage aux couleurs du pays: le blanc pour le pacifisme, le vert pour l'islam, le rouge, enfin, pour le sang versé contre les envahisseurs de jadis, Persans ou Portugais. Dans la soirée, un feu d'artifice viendra clore les célébrations du quarantième anniversaire de l'accession au trône du sultan. Puis la nuit tiède retombera sur la paisible Mascate et la baie de Mutrah où, coffre à coffre, dodelinent les boutres à quelques brasses de yachts luxueux. Ces festivités un peu anachroniques peuvent faire sourire l'observateur étranger. Il faut savoir pourtant que cette société a gardé des fondements tribaux qui, à ce jour, lui assurent une certaine cohérence. Mais pour combien de temps encore, dans un monde arabe secoué par des révolutions systémiques? Déjà, en 2007, des manifestations populaires réclamant une amélioration des conditions sociales avaient obligé le sultan à débloquer des aides d'urgence pour la frange la plus démunie. Aujourd'hui, les mouvements de revendication que l'on observe portent surtout sur les emplois et les salaires. Ils remettent plus en cause un certain nombre de ministres estimés corrompus que le sultan lui-même.
Les Omanaises ont le droit de choisir leur époux, de porter ou non le voile et de conduire
En effet, après avoir destitué son père, Said ibn Taymur, en 1970, Qabus ibn Said a réussi à sortir son pays de la misère. En quarante ans, et grâce à une utilisation inspirée de la rente pétrolière et gazière, ce dirigeant a modernisé sa nation de fond en comble. D'ailleurs, l'ONU a classé le sultanat parmi les dix pays ayant connu le plus fort développement depuis 1970. «Avant Qabus, nous en étions encore au Moyen Age. Quatre Omanais sur cinq étaient analphabètes. Ni écoles ni hôpitaux, peu d'électricité... Dix kilomètres en tout de routes asphaltés! Et, en plus, une révolte séparatiste et marxiste grondait dans la province du Dhofar, à l'extrême sud», se rappelle Ahmad R., un négociant de 66 ans, rencontré dans les ruelles du souk de Mutrah.
Aujourd'hui, le sultanat est prospère. Le revenu par habitant atteint 25 000 dollars par an. Selon le dernier rapport de l'ONU (2010) , les secteurs de la santé et de l'éducation ont nettement progressé: 85 % de la population - soit 2,8 millions d'habitants sur un pays qui fait la moitié de la France- est alphabétisée et éduquée. 90 % des habitants ont accès à l'eau potable. Quant aux Omanaises, elles jouissent de droits que leurs voisines du Golfe jalousent: elles peuvent choisir leur époux, décider de porter ou non le voile, travailler et conduire.
De plus, le sultan s'est révélé être un esthète. Outre la fondation d'un orchestre philarmonique et d'une radio, Oman Classic, il fait bâtir une maison d'opéra de 1100 places (80 000 mètres carrés), dans un style digne du classique italien, qui sera inaugurée ce printemps (la programmation est encore secrète). Il a construit aussi un vaste jardin botanique de 420 hectares où pousseront 1200 espèces, dont des orchidées, des lentisques et de la lavande du désert, ou encore quatre-vingts plantes aromatiques que l'on ne trouve que dans la péninsule Arabique. «Dans une région de rocaille et de sable, ce sera une merveille. Le jardin va devenir un must pour les amoureux de fraîcheur et de repos», promet un officiel, rappelant qu'en été la température frise les 50 °C.
Mais le monarque inspiré n'a pas oublié son peuple. En quarante ans, il aura réussi à bâtir un équilibre subtil entre la soixantaine de tribus omanaises. En intégrant diverses personnalités à de hauts postes, l'armée, l'administration ou la diplomatie, il a su rallier en douceur les récalcitrants ou les frondeurs. De même a-t-il veillé à ménager les puissantes familles marchandes. Et à encourager la foi musulmane. La gigantesque mosquée qui porte son nom à Mascate, pour laquelle un concours d'architectes a été organisé, avait déjà fait sensation lors de l'inauguration en 2001: quinze mille fidèles peuvent y prier de concert sur un tapis persan géant, entre des marbres éblouissants et sous des lustres en cristal. Les fidèles pratiquent ici l'ibadisme, une branche minoritaire de l'islam qui prône la modération et l'indulgence. C'est la religion dominante à Oman (65 % de la population). «Cette tolérance constitue un rempart contre l'intégrisme, estime un diplomate américain en poste dans la région. En plus, elle donne des atouts supplémentaires de stabilité.»
Pour remplacer la manne pétrolière qui s'épuise, le pays se tourne vers l'«élitourisme»
Mais le bond en avant de la société omanaise dû à la manne pétrolière et gazière pourra-t-il se poursuivre? Les réserves d'or noir ne sont pas énormes: le stock, évalué à 5,5 milliards de barils, représente une broutille en comparaison des 320 milliards contenus dans le sous-sol du grand-frère saoudien. D'ici à 2020, les prévisions du ministère de l'Information n'évaluent plus la part du pétrole brut dans le PNB qu'à 9 %, celle du gaz à 10 %. «Il faut l'admettre: nos ressources s'épuisent», concède sans tergiverser un conseiller royal.
Mais le sultanat a trouvé la parade: il investit dans les semi-conducteurs et la robotique, consolide ses acquis dans les mines de cuivre et de marbre, les infrastructures portuaires... et mise à fond sur le tourisme de luxe. En moins de dix ans, le nombre d'hôtels aux normes internationales est passé de deux cents à plus de six mille. Conséquence logique, le nombre de touristes augmente chaque année de 30 %, selon le ministère du Tourisme. «Rassurez-vous, nous n'avons pas l'intention de céder aux mirages du tourisme de masse», tempère Mohamed al-Toobi, sous-secrétaire d'Etat au Tourisme. Notre stratégie nous porte vers un tourisme respectueux de l'environnement et de notre culture. En clair: privilégier la qualité sur la quantité. Et attirer les voyageurs qui cherchent l'authentique.»
D'ailleurs, aujourd'hui, lassés par les autres villes de la péninsule Arabique, leurs buildings tape-àl'oil et leurs malls commerciaux désespérants, la plupart des visiteurs viennent à Oman pour renouer avec ce qu'ils imaginent être l'«Arabie heureuse». Certes, il y a, pour commencer, Mascate, la plus petite capitale du monde. A peine cinq kilomètres carrés. Encaissée entre les collines d'ophiolite et bordée par le bleu dur de la mer, elle offre une première surprise au bout des trente-sept kilomètres à quatre voies desservant l'aéroport. Point de «bling-bling» ou de constructions prétentieuses: ici, une loi interdit les immeubles de plus de dix étages. Mais, dans une succession de criques et de pitons rocheux, on trouve une multitude de mini-centres urbains et de quartiers résidentiels où rivalisent les petits immeubles blancs ou sable, les villas cossues, cernées de palmiers-dattiers et de buissons de lauriers-roses ou de bougainvilliers. Et puis, depuis toujours, on y préfère les maisons aux toits bas, serties dans les replis de collines noires.
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