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16ème sommet des chefs d’état de la Ligue arabe

mardi 25 mai 2004, par Hassiba

Le 16ème sommet des chefs d’Etat de la Ligue arabe s’est achevé le 23 mai par une déclaration qui souligne le rôle « central de l’ONU » dans la préparation du terrain au transfert de pouvoir au peuple irakien, condamne les attaques « sans distinction contre » les civils aussi bien israéliens que palestiniens et affiche l’engagement des Etats arabes en faveur de la démocratie et des droits de l’Homme.

Si l’Algérie, la Tunisie et Bahreïn se voient confier le suivi de la situation en Irak, la position finale de la Ligue s’inscrit dans les débats internationaux en cours sur ce dossier sans se prononcer sur les points litigieux du transfert. Tout en se déclarant engagée par « l’initiative de paix arabe », c’est-à-dire le principe de la paix et de la normalisation avec Israël en échange de la restitution des territoires occupés depuis 1967, la Ligue tente aussi un exercice ardu qui ne disqualifie pas la résistance palestinienne à l’occupation assimilée par Israël à « un prolongement du terrorisme international ». Le retrait de la Libye confirme, de son côté, les évolutions inquiétantes d’une région arabe devenue un ghetto stratégique écartelé par les nouvelles frontières pétrolières de la géopolitique mondiale.

« Mon environnement arabe était en grande partie colonial, mais pendant mon adolescence, je pouvais me rendre par voie de terre du Liban et de la Syrie jusqu’en Egypte en traversant la Palestine, puis poursuivre vers l’Ouest. Aujourd’hui, c’est impossible. Chaque pays a ses frontières, des obstacles effroyables, et pour les Palestiniens les traverser est une expérience particulièrement horrible, car les Etats qui soutiennent haut et fort la Palestine traitent souvent de la pire façon les individus palestiniens [...] Le passé n’était pas meilleur. Mais il y avait davantage de relations saines. Les gens étaient réellement liés entre eux, au lieu de s’entre surveiller de part et d’autre de frontières fortifiées. » A leur manière, ces propos de Edward Saïd, extraits de son dernier livre Culture et impérialisme, résument bien la problématique du sommet arabe de Tunis, qu’un simple écran de fumée très médiatisé ne peut cependant obscurcir aux yeux d’une opinion arabe politisée au-delà de ce que les experts patentés imaginent ; un écran, fût-il soufflé par un dirigeant arabe, dont la volonté de retrait de la Ligue témoigne, surtout, d’une tragique quête d’insertion régionale, conséquence de l’avortement de ses projets dans un ensemble arabe, et non d’une quelconque forme atavique d’« itinérance nomadique ».

Une décennie de fragmentations et de recompositions

Les nomades étant plus imprégnés que d’autres du sens des espaces, des courants commerciaux, des réseaux de socialisation étendus, et des limites, des inversions de flux mises en place par la colonisation ou héritées d’elle. La Libye, faut-il le rappeler, a été l’une des premières cibles du « nouvel ordre mondial » version Reagan : - bombardements et embargo qui, outre le préjudice aux Libyens, auront créé une situation préoccupante au Maghreb, à un moment où les efforts de construction de l’UMA étaient positivement impulsés ; ces attaques survinrent au lendemain également de l’inauguration du fameux barrage vert libyen susceptible de bénéficier à l’agriculture égyptienne, sans compter le million d’emplois potentiels. L’UMA a subi les affres connues. Mais à l’isolement de la Libye est venu s’ajouter aussitôt celui du Soudan, alors infréquentable en raison de son soutien à l’Irak, aujourd’hui objet d’un activisme diplomatique sans précédent autour de ses champs de pétrole. Le sort de la Somalie, sur lequel le diplomate algérien M. Sahnoun avait émis un compte rendu dont on mesurera mieux le bien-fondé a contrario, reste toujours aussi problématique.

Faut-il s’en étonner au vu des logiques d’implosion, de segmentations et d’érosion de souveraineté sur les pourtours de la Méditerranée et du Sahara, de la corne de l’Afrique et de la mer Rouge ? On remarquera, enfin, que c’est durant cette décennie déstabilisatrice que l’UMA a été paralysée et que des accords d’association séparés ont été signés avec l’UE, Libye et Algérie exclues, même si les économistes les plus avisés s’accordent à penser qu’une adhésion préalable à l’OMC était plus impérieuse. L’Egypte, qui avait introduit au début des années 1990 sa demande d’adhésion à l’UMA, n’a pas été épargnée par ces soubresauts. Le Sinaï à peine récupéré, le terrorisme a frappé et ses répercussions se font encore ressentir, si l’on considère que le maintien de l’état d’urgence freine d’abord les libertés de la société. Il appartient aux véritables historiens et aux politiques d’apprécier les conséquences des accords de Camp David ; c’est un fait, cependant, que le Sinaï demeure le seul territoire arabe occupé par Israël qui a été restitué, indépendamment du Liban-Sud, seule victoire militaire arabe, que les adversaires du Hezbollah tentent de retransformer en énième défaite politique arabe.

La Syrie, présente à la Conférence de Madrid, était supposée obtenir des dividendes, ne fût-ce que le Golan, de sa participation à la guerre de 1991 contre l’Irak. Et pourtant, les promesses se sont transformées en menaces, voire en sanctions, Damas est ainsi exposée à la poursuite de l’expansionnisme israélien consolidé par la politique des Etats-Unis, et les pressions de certaines capitales européennes désireuses de briser l’axe avec le Liban. D’autre part, les conséquences désastreuses de l’opération « Tempête du désert », suivie d’un embargo programmatique de l’effondrement de l’Irak, se traduisent, malheureusement, par des résultats bien visibles avec les conséquences stratégiques qui en découlent en Palestine et dans le reste de la région arabe. L’une d’entre elles, pas la moindre, étant la remise en cause des accords d’Oslo, l’accélération à un rythme effréné d’une politique de coercition visant la destruction pure et simple de la population palestinienne, jugée superflue, et l’effacement de tous ses repères sociaux, territoriaux. C’est dans ce contexte, en outre, de guerres, d’occupation, de menaces, de contrôle direct des réserves pétrolières irakiennes par deux ou trois sociétés américaines liées au Pentagone, comme le dénoncent aux Etats-Unis des opposants américains, que la rhétorique réformiste, moralisatrice est mise en avant pour « légitimer » l’occupation de l’Irak, le refus israélien d’appliquer les résolutions internationales et les sanctions contre Damas.

Le prétexte démocratique n’est crédible ni moralement ni politiquement, car la violence infligée aux Irakiens, aux Palestiniens, confirme le principe impérial consistant à appliquer la démocratie à ses citoyens et la tyrannie aux populations dominées. Le respect universel des libertés démocratiques suppose, en effet, la reconnaissance de la souveraineté des peuples, non le droit de s’arroger leurs richesses, de contrôler le prix du pétrole non soumis curieusement aux lois du marché, de les détruire par des frappes massives, sur fond de tambours médiatiques aux relents racistes, parce que convaincus de la supériorité de leur culture, de leur universalisme exclusif. Dans ce contexte, que pouvait concrètement tenter et dire une Ligue arabe traversée par ses points de fixation, ses antagonismes, sachant que des facilités arabes ont été accordées à la coalition anglo-saxonne qui a envahi l’Irak, alors qu’actuellement, des entreprises arabes n’hésitent pas à accepter des contrats de sous-traitance avec les forces d’occupation.

A l’issue de leur conclave, les dirigeants arabes se sont engagés à lancer des réformes « pour progresser sur la voie d’une bonne gouvernance ». Des ministres arabes ont qualifié d’« historique » l’adoption du document en ce sens. « L’objectif était d’adopter un texte sur les réformes politiques, avant le sommet du G8 prévu le 10 juin à Sea Island aux Etats-Unis, et auquel ont été invités la Jordanie, Bahreïn, le Yémen, l’Egypte et l’Algérie », notent les agences de presse internationales. Faut-il en conclure à une simple opération de marketing dictée par la realpolitik, plus que la conviction sincère à l’égard de leurs propres concitoyens ? Prétendre que les promoteurs du Grand Moyen-Orient, comme l’avancent certaines associations arabes, voire quelques médias luttent pour la démocratie, les droits des femmes, les libertés de la presse dans le Monde arabe serait faire preuve de naïveté ou de cynisme. Ces droits n’ayant jamais servi que d’alibis à l’ingérence, de couverture au contrôle de pays convoités pour leurs avantages économiques, politiques, géostratégiques.

Réformes ou habillage institutionnel ?

Les femmes, les bébés irakiens, Palestiniens affamés, amputés, enterrés relativiseront sûrement la crédulité de quelques ONG arabes encouragées financièrement dans cette propagande par quelques institutions paternalistes, opérant la hiérarchie des douleurs et des victimes. Imaginer aussi que tous les Etats arabes ne s’engageront que par tactique et complaisance, c’est surestimer leurs capacités à se préserver des risques d’une double nature externe et interne : notamment les défis économiques, politiques posés par des générations montantes de citoyens désireux de vivre, travailler, voyager, s’exprimer, impatients d’attendre la redistribution des profits de la libéralisation tant vantée.

Défis qui constituent de véritables bombes à retardement, quand ils ne menacent pas déjà d’effondrement, ce d’autant que l’arrêt des flux migratoires confine ces populations dans des espaces d’enfermement explosifs. « Plus de démocratie signifie plus de pressions des populations contre la politique américaine », rappelle F. Bouaiz, ancien ministre libanais des Affaires étrangères. « Quelle que soit l’ampleur réelle- du développement et de la prospérité qu’il a permis, le pétrole, là où il s’est associé à la violence, au purisme idéologique, à la répression politique et à la dépendance culturelle vis-à-vis des Etats-Unis, a créé plus de troubles et de problèmes sociaux qu’il n’en a guéris », notait E. Saïd. Primo, les citoyens arabes s’approprient aussi la globalisation ; secundo, les politiques néolibérales qui continuent, selon la formule de Susan Georges, vice-présidente d’Attac, à « évoquer sans honte l’efficacité de ces politiques », sont contestées à l’échelle internationale, y compris l’agressivité impériale dont est victime l’Irak ; tertio, la mise en place de réformes libérales, politiques et économiques libère les énergies créatrices des sociétés par une réappropriation de leur histoire. Ces synergies sont forcément hostiles à la domination.

Par ailleurs, comment ces réformes s’impulseront-elles sans le règlement des conflits en Palestine ou en Irak et sans la levée des mesures contre la Syrie ? « Peut-on envisager, sans échec patent, une mascarade de réformes dans le seul intérêt du G8 qui n’a pas de légitimité », ainsi que l’affirme encore S. Georges pour « gouverner le monde et distribuer les bons points aux gouvernements ».

Irak, Palestine, principes et sous-entendus...

Dans le communiqué final du sommet, il est fait état du « rôle central que doit jouer l’ONU dans la préparation du terrain pour le transfert du pouvoir au peuple irakien à la date prévue ». Là encore, un minimum consensuel a été adopté. La priorité : « La fin de l’occupation au plus tôt » et le transfert de l’autorité à un gouvernement irakien souverain. Ce qui ne diffère pas fondamentalement de la position de l’UE par exemple. Mais le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, a souligné qu’un retrait des puissances occupantes « devait tenir compte de la situation en Irak ». Sécurité oblige, ou spectre de guerre civile mis en avant pour justifier le maintien des troupes. Or, la désignation d’un gouvernement intérimaire par l’ONU sur le modèle afghan ne ferait que perpétuer la tutelle, la seule démarche concevable par les forces d’occupation, qui souhaitent en prime s’assurer le commandement d’une force multinationale de l’ONU après le transfert. Autrement dit, l’envahisseur redevient le protecteur sous la casquette de l’ONU qui a érodé sa propre crédibilité en entérinant les pleins pouvoirs au proconsul Breimer. Ou bien perpétuer un contrôle sur le futur gouvernement irakien sous habillage de l’ONU.

Quelle voie de sortie honorable surtout pour une puissance qui s’est fourvoyée, à la discrète satisfaction de ses alliés européens pas mécontents de l’avoir laissée s’enliser et encaisser le choc de la résistance ? Dans tous les cas de figure, l’établissement d’un système de sécurité régionale, d’une intégration, paraît la seule alternative pour la région, otage des rapports de force mondiaux. La Ligue arabe a condamné les sévices infligés aux prisonniers ; une nécessité politique, qui occulte toutefois la violence collective subie par tout le peuple irakien, en raison de l’agression et de l’occupation. Effacer un pays, écraser sa société et ensuite s’émouvoir de la torture des détenus -alors que ce débat précisément est un débat interne aux Etats-Unis où la perversion de l’image de rectitude morale ne sert qu’à réaffirmer dans les faits, par le biais de leur étalage médiatique, la supériorité une fois de plus de la rectitude morale, des principes démocratiques- permet en effet de reléguer à l’arrière-plan tout le dommage subi et la lutte collective des Irakiens pour leur existence. Lutte qui intéresse tous les mouvements démocratiques au-delà de leurs frontières, et mobilise contre les horreurs et l’iniquité de l’ordre mondial, car l’Irak est aussi une cause universelle, à moins de différencier les humanités ou croire à un avenir isolé à l’intérieur de ses frontières.

Attendue dans son positionnement par rapport aux évolutions en Palestine, la Ligue aura reproduit un discours sans initiative forte. Concession aux forces qui tentent de mettre au même plan la résistance à l’occupation israélienne et la répression israélienne, et prônent le désarment de l’Intifadha en préalable à toute négociation ? Le communiqué fait toutefois le distinguo entre terrorisme et droit légitime à combattre l’occupation. On sait que les gouvernements israéliens grands experts en terrorisme d’Etat ont toujours assimilé sciemment le mouvement national palestinien au « terrorisme », de là à exiger des Palestiniens le choix des armes et plus d’humanisme qu’aux responsables directs du conflit, il n’y avait qu’un pas à faire vers la réédition du sommet de Charm El Cheikh de 1996... prémices de la mort programmée de cheikh Yassine.Une nouvelle fois, aussi, il a été demandé l’élimination des armes de destruction massive de la région, demande visant Israël, seul détenteur de l’arsenal nucléaire et autres armes de destruction massive. La question pendante à la réaffirmation de l’engagement vis-à-vis de l’initiative de Beyrouth de 2002 est de savoir si les pays arabes intégreront le dispositif américain incluant Israël ou défendront leur engagement, en l’absence d’un véritable règlement. La métaphore la plus terrible de la triste situation du Monde arabe reste l’intervention par visioconférence de Arafat, lançant un appel à une protection pour les Palestiniens. Contesté ou critiqué, Arafat reste un symbole, son peuple ne s’y trompe pas. Et cette représentation est l’image de la violence faite aux Arabes. Farouk Khadoumi, chef de la délégation palestinienne au sommet, a demandé de l’aide.

Si l’on se réfère aux chiffres publiés par l’hebdomadaire l’Intelligent JA, le soutien financier de la Ligue arabe en Palestine serait « en chute libre : 405 millions de dollars en 2001, 341 millions en 2002, 132 millions en 2003. Seuls l’Arabie saoudite, le Koweït et les Émirats arabes unis honorent régulièrement leurs engagements. La contribution de ces trois pays représente 85% du montant total de l’aide. » Enfin, la révision des statuts, autre sujet de divergences, a figuré à l’ordre du jour. Les propositions qui seront prises en charge par des commissions spécialisées avec évaluation en 2005 portent sur le mécanisme de prise de décision, l’élargissement des prérogatives du Conseil économique et social de la Ligue, la création d’institutions (parlement, cour de justice), un conseil de sécurité... Vote simple et vote à la majorité pour les orientations stratégiques ; banque arabe d’investissement, zone de libre-échange en 2005 ; tels sont en substance les projets. « Trois points de divergence ont été et continuent d’être les principales sources de conflit entre les Arabes et les Européens ; le premier est d’une nature ultrastratégique concernant l’intégration régionale sous forme d’union, de fédération ou de marché commun du Monde arabe à laquelle l’Europe s’est toujours opposée. Il va sans dire que la présence d’une communauté très dense de 200 millions de personnes aujourd’hui, 500 millions en 2005, dotée d’une histoire, d’une culture et d’une religion universelle et d’une forte personnalité civilisationnelle constitue en soi une cause de crainte ; une telle union ne manquera pas de créer, en quelques années, une nouvelle puissance méditerranéenne économique comme militaire aux dépens, pense-t-on, de l’Europe », affirmait, en 1992, Borhane Ghalioun.

Les ambitions des Etats-Unis qui tentent de s’approprier 60% des réserves mondiales de pétrole, leur volonté à s’étendre sans rival ne font qu’attiser dix ans plus tard la désagrégation du Monde arabe. L’autre métaphore de la réalité est résumée par ce fait : Baghdad avait été détruite pour la dernière fois par les Mongols. Comment et par qui sera-t-elle reconstruite ? Telle est la vraie question posée à la Ligue : comment la région peut-elle se reconstruire, autour d’un projet de sociétés démocratiques, dans le cadre de quelles conceptions économiques pour quelles préoccupations fondamentales, quelle culture ? Quelle participation à l’ordre du monde ? Au-delà de Tunis, les dirigeants arabes prendront-ils l’initiative de leur réforme dans le sens des intérêts régionaux ou priveront-ils les sociétés de leur libre arbitre en tant que nations ? E. Saïd notait encore : « L’effort pour homogénéiser et isoler les populations au nom du nationalisme et non de la libération a conduit à des sacrifices et à des échecs colossaux dans la plupart de régions du Monde arabe [...] La triste situation non réglée des Palestiniens est tout à fait révélatrice d’une cause non domestiquée et d’un peuple rebelle qui paie extrêmement cher sa résistance et il y a d’autres exemples. »

Par Chabha Bouslimani, La Tribune