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A. Zekri, membre du CFCM :“Des parties ne souhaitent pas une issue heureuse”

dimanche 5 septembre 2004, par Hassiba

Les Français de confession musulmane ne relâchent pas la pression sur les ravisseurs des deux journalistes français en Irak. Le Conseil des démocrates musulmans de France (CDMF) appelle aujourd’hui à un rassemblement devant l’Hôtel de ville de Paris.

Une semaine après la revendication par un groupe islamiste irakien du kidnapping de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot, c’est le troisième rassemblement auquel appellent les musulmans de France pour exiger la libération des deux journalistes. Dans un communiqué, le président du CDMF, Abderrahmane Dahmane, déjà initiateur du premier rassemblement organisé lundi dernier devant la maison de la Radio affirme : “L’épreuve que traverse la France, à travers l’ignoble enlèvement de deux journalistes français et leur traducteur syrien, a renforcé l’alliance de toutes les composantes de la nation dans un élan de solidarité et de fraternité sans précédent. Les signataires de cet appel tiennent à rendre hommage au sens de la responsabilité et à l’engagement de nos compatriotes, et notamment la sensibilité musulmane, dont l’unanimité affichée pour la libération sans conditions des deux journalistes, augure d’un tournant dans l’affirmation d’un islam républicain et résolument français.

Ils rappellent l’exigence de la libération immédiate de nos compatriotes.” Plusieurs élus, de droite comme de gauche, ainsi que des personnalités religieuses et du monde de la culture ont déjà signé l’appel et ont promis d’assister au rassemblement. Les membres de la délégation de Français musulmans devraient également prendre la parole pour rendre compte de leur mission.

Liberté : Vous venez de séjourner en Irak pour évoquer la question des deux journalistes français kidnappés sur place. Y a-t-il toujours un espoir de les voir libres dans les prochains jours ?
Abdallah Zekri : Personnellement, je suis très optimiste quant à l’issue de cette prise d’otages. Je reste confiant et je garde toujours l’espoir de les voir libres rapidement. Je crois que c’est une question de temps. Car il ne s’agit pas seulement d’obtenir leur libération. Il faudrait également garantir leur sécurité.

Or, sur place, la présence de plusieurs forces qui n’ont pas forcément les mêmes objectifs rend la situation un peu difficile. Néanmoins, une chose est sûre : les deux journalistes français sont actuellement en bonne santé, ils sont bien traités et ils ne sont plus entre les mains du premier groupe qui les a kidnappés.

Comment s’est déroulée votre mission sur place ?
Dès notre arrivée à Bagdad, nous avons rencontré les responsables religieux irakiens. Ils nous ont même demandé de rester sur place pour quelques jours. Mais, pour des raisons de sécurité, le gouvernement français a souhaité qu’on regagne Amman. L’aéroport de Bagdad ferme en effet tous les soirs à 18 heures, et l’avion mis à notre disposition par les autorités françaises ne pouvait pas rester sur le tarmac, de crainte d’être la cible d’attaques. Car, en Irak, il existe des parties qui ne veulent pas qu’il y ait une issue heureuse à cette prise d’otages -, mais nous allons révélé toutes les informations en notre possession au moment opportun.

Nous avons été reçus par le Conseil des oulémas irakiens pendant plus de 3 heures, alors, qu’habituellement, leurs audiences ne dépassent que très rarement la demi-heure. Nous avons ensuite organisé une conférence de presse commune, durant laquelle nous avons lancé un appel direct aux ravisseurs. Nous avons également profité de la présence des chaînes de télévision arabes pour expliquer la situation des musulmans en France. Nous avons dit que nous pratiquons notre religion dans la dignité, que nous avons nos mosquées... Et surtout qu’il appartient aux musulmans français de régler seuls les problèmes qu’ils rencontrent en France, sans l’appui des pays musulmans et encore moins de groupuscules extrémistes.

Durant notre séjour, nous avons souhaité nous rendre à Fallouja pour rencontrer l’ayatollah Sistani. Mais les conditions de sécurité sur place n’étaient pas réunies pour permettre un tel déplacement. Nous lui avons donc adressé un message par le biais de l’ambassade de France à Bagdad pour lui demander de tenter de peser de tout son poids afin d’obtenir la libération de nos deux compatriotes. Nous avons également contacté l’émir des salafistes sur place, Mahdi Assoumaidi, qui a souhaité nous rencontrer. Nous avons beaucoup hésité, car nous voulions éviter que les tensions qui existent entre chiites et sunnites n’entravent les démarches pour mettre fin à la prise d’otages. Mais nous l’avons finalement rencontré et nous lui avons fait parvenir un certain nombre de messages.

Dans quelles circonstances votre mission a-t-elle été préparée et menée ?
Dimanche dernier, au lendemain de la revendication du rapt des deux journalistes français, le ministre de l’intérieur a reçu une délégation du Conseil français du culte musulman (CFCM) pour évoquer avec eux la réponse à apporter aux ravisseurs qui exigeaient l’annulation de la loi sur les signes religieux à l’école. À 17 heures, j’ai appelé le recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubaker, pour lui proposer l’envoi d’une délégation en Irak pour demander la libération des deux journalistes. Il m’a dit qu’il allait étudier la question. Deux jours plus tard, nous avons organisé un rassemblement à la Mosquée de Paris, et Fouad Allaoui de l’UOIF a fait la même proposition. Le gouvernement français a donné son accord.

Et pour des raisons de logistique, liées notamment au manque de voitures blindées à l’ambassade de France à Bagdad, nous avons opté pour une délégation composée de trois personnes représentant la Mosquée de Paris, l’UOIF et la FNMF. Nous avons rejoint Bagdad où nous avons eu des entretiens avec des diplomates français. Mais notre liberté d’action était totale : à aucun moment les autorités françaises ont tenté d’orienter notre démarche.

Vous avez quitté Paris avec l’espoir de revenir avec les otages. Votre retour, aujourd’hui, en France, veut-il dire que vous pensez que la libération des otages n’interviendra pas avant plusieurs jours ?
Non. La libération des deux otages peut intervenir à n’importe quel moment. Ils peuvent être libérés au moment où je vous parle ou dans une heure ou dans quelques jours. Le principe de leur libération est acquis. Le seul problème qui se pose, aujourd’hui, est lié à l’acheminement des otages jusqu’à Bagdad. Il y a tellement de groupes et de personnes qui souhaitent les récupérer et pas seulement dans les milieux islamistes. Il y a d’autres forces -, dont je tairai l’identité pour ne pas mettre en danger la vie des deux otages -, qui veulent se mêler de cette affaire. à mon avis, les attaques, qui ont eu lieu par exemple hier contre des positions de la résistance dans certains endroits du pays, ne sont pas fortuites. Mais, nous dirons les choses au moment opportun.

Vous soupçonnez les troupes de la coalition de vouloir empêcher la libération des otages ?
Je ne soupçonne personne. Mais j’aurai des choses à dire sur ce qui se passe actuellement en Irak, dans les prochains jours, une fois cette affaire des otages résolue.

Qui détient les deux otages actuellement ?
Les deux journalistes ont été enlevés par un groupe qui se nomme l’Armée islamique en Irak. Christian Chesnot et Georges Malbrunot ont expliqué qu’ils étaient Français et leurs ravisseurs les ont crus. Mais les choses se sont un peu compliquées lorsqu’ils ont dit qu’ils étaient journalistes : ils ont été soupçonnés d’être des espions au service des forces de l’occupation.

Les soupçons des ravisseurs se sont dissipés après les déclarations du ministre des affaires étrangères, Michel Barnier, qui a affirmé que les deux otages étaient bien des journalistes français connus pour leurs travaux sur le monde arabe.

Mais cela n’a pas empêché le groupe islamiste de demander une fetwa au majliss echoura pour pouvoir les tuer. Ce dernier a refusé de cautionner l’exécution des deux journalistes et exigé même qu’ils soient bien traités. Notre venue à Bagdad et l’appel que nous avons lancé au nom de l’islam, les efforts déployés par la diplomatie française et nos contacts sur place ont contribué à changer la donne.

Actuellement, les deux journalistes ne sont plus entre les mains du groupe qui les a kidnappés. Ils ont été remis à un autre groupe qui les garde et les protège.
Ce dernier nous a confirmé les détenir dans de bonnes conditions et qu’il attendait uniquement que les conditions de sécurité soient réunies pour les remettre à l’ambassade de France.

La mobilisation des pays arabes est-elle visible sur le terrain, ou s’est-elle limitée à de simples déclarations à la presse ?
Non, les pays arabes ne sont pas directement impliqués dans les négociations. Mais les appels lancés depuis le monde arabe pour exiger la libération des otages, notamment ceux qui ont émané de Marouane Barghouti, du mouvement Hamas ou encore du Hizbollah libanais, ont contribué largement à sauver la vie des deux otages.

Ce sont des personnalités et des mouvements crédibles auprès de la résistance irakienne. Donc, les ravisseurs ne pouvaient pas prendre la décision d’exécuter leurs otages.
Surtout qu’ils ont compris que ceux qui voulaient la mort des deux journalistes avaient comme objectif de déstabiliser la France en l’amenant à s’impliquer dans le conflit irakien.

Un tel scénario aurait également provoqué une rupture entre les musulmans français et leurs compatriotes d’autres confessions.

Comment a été perçue la mobilisation des musulmans de France dans le monde arabe ?
Très bien, à tel point qu’à Amman, le président de la Fondation hachémite a souhaité l’organisation d’échanges de délégations entre musulmans français et jordaniens pour s’informer mutuellement sur les questions liées à la religion musulmane. Il a également proposé d’assurer la formation de musulmans français en Jordanie.

Après ce qui vient de se produire, le dossier du voile islamique à l’école est-il définitivement clos ?
Je ne pense pas. Nous avons dit qu’il faut d’abord régler le problème des otages, ensuite, on parlera des difficultés que les jeunes filles musulmanes rencontrent dans les écoles.

Personnellement, je suis républicain, je défends la République et je suis respectueux de ses lois.
Mais je pense que la loi sur les signes religieux doit être appliquée avec souplesse et qu’on n’interdise pas par exemple à une jeune fille de remplacer son foulard par un bandeau ou un bandana. Je ne vois pas ce qu’il y a de gênant.
Il faut leur permettre d’aller à l’école pour acquérir le savoir et ne pas les marginaliser et les obliger à choisir des écoles gérées par des fondamentalistes islamistes.

Par Lounés Guemache, Liberté