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Alger : La guerre des affiches

La capitale en habit de campagne

dimanche 21 mars 2004, par Hassiba

De Bab El-Oued à Ben-Aknoun et d’El-Biar à Didouche-Mourad, El-Bahdja est d’emblée submergée par l’ambiance de la campagne. Les posters des candidats envahissent les murs, et la capitale s’est muée en bazar électoral.

Comme pendant le ramadan où même les officines se convertissent à la religion de la z’labia, Alger, hier, revêtait à l’envi les couleurs de la campagne électorale, et l’on pouvait voir, trois jours après le coup d’envoi officiel de la campagne, les affiches des “six” se disputer les murs de la ville, et moult locaux commerciaux changer de raison sociale pour la troquer contre la “raison politique”, en se muant en autant de “relais” de leur favori. Banderoles, posters, casquettes, t-shirts, pin’s, dépliants, autocollants, tout une panoplie d’objets fétiches est mise en branle pour la bonne cause. Le temps d’un week-end, Alger est devenue un vrai souk aux icônes.
Les candidats y vont chacun de sa stratégie pour faire valoir son image dans l’espace de la ville.

Mais il est évident que les “six” n’étant point logés à la même enseigne question logistique, les chances sont loin d’être égales en matière d’occupation des façades. Pour aller vite, force est de constater que, grosso-modo, les candidats Abdelaziz Bouteflika et Ali Benflis sont ceux qui crèvent le plus les “murs”, suivis en troisième position du candidat Saïd Sadi. Nettement moins présente, Louisa Hanoune vient en quatrième position, talonnée par Abdallah Djaballah. Quant à Ali Fawzi Rebaïne, la seule fois où son affiche nous est apparue, c’était à la rue Larbi-Ben-M’hidi, devant le siège de son parti, Ahd 54.
Il va sans dire que l’inégalité des moyens matériels et humains explique pour beaucoup ces disparités dans l’occupation de l’espace visuel public. Mais au-delà de l’aspect purement “quantitatif”, et pour ne nous en tenir qu’aux images mises en avant par les protagonistes, il n’est pas nécessaire d’être un érudit de la sémiologie pour faire ce constat que l’ingéniosité des conseillers en communication des candidats a montré toutes ses limites. La plupart du temps, nous avons affaire à des affiches ringardes, aux couleurs kitsch, avec des slogans peu attrayants, bref : des affiches dont tout le monde se fiche.

Bataille à couteaux tirés

Trois jours à peine et la guerre des affiches fait déjà rage. Il n’est pas un seul espace réservé au “placardage” qui n’ait échappé à des actes de vandalisme. L’affichage devient un exercice empreint de chauvinisme. Loin de respecter les “cases” imparties aux candidats, le personnel chargé de la campagne d’affichage foule souvent du pied les règles de civilité, trouvant tout à fait de bonne guerre de “marcher” sur l’affiche de l’adversaire pour placarder celle de son idole. La guerre des icônes sera particulièrement féroce entre les partisans de Bouteflika et ceux de Benflis. Un cas parmi tant d’autres : une affiche de Benflis supplantée d’une façon déloyale par celle de son rival. Celle-ci étant de taille moindre, on verra en haut de l’affiche le nom d’Ali Benflis, au milieu, le portrait de Bouteflika, et en bas, le slogan de Benflis (“Pour que revienne l’espoir”). Dans d’autres situations, on a pu voir des portraits de Bouteflika dont le visage sera masqué par des autocollants de Benflis.

Mieux encore : nous avons pu relever deux affiches à l’en-tête de l’UNJA, l’une en faveur de Bouteflika, l’autre en faveur de Benflis.
Amel, 19 ans, étudiante en première année de droit, est chargée, avec Nacer, 24 ans, un autre étudiant, de la gestion d’une “antenne” de campagne au profit du candidat Ali Benflis à Ben-Aknoun. “Nous sommes trois filles et deux garçons à animer le local, tous des étudiants. Nous assurons l’animation de 9h à minuit”, dit Amel. Le local en question était à l’origine un fast-food se trouvant sur la placette de Ben-Aknoun, à proximité du lycée El-Mokrani. Bardé de banderoles, de fanions, de posters et de dépliants, il est maintenant fin prêt pour servir de bons hamburgers à la sauce “Benflis”. Amel affirme que l’établissement a été loué par la présidente d’une toute nouvelle association féminine qui s’est baptisée : “Les femmes de la nouvelle Algérie”. Il s’agit d’une militante du parti FLN-Benflis, Rabiî Habiba de son nom, et qui a lancé une vaste “offensive” en direction des femmes pour grossir le réservoir de voix féminines favorables à Benflis. Mi-bénévoles, mi-rémunérées, les filles qui animent les permanences de cette association dans l’Algérois sont particulièrement dynamiques.
Au-delà de ce local, nous pouvons voir un peu partout des bureaux de soutien pousser comme des champignons, et qui sont loués ou bien mis à disposition. Ce qui est drôle, c’est que les “antennes” de campagne des candidats Bouteflika et Benflis se succèdent sur un air de “tac au tac” sans merci.

Bouteflika-Benflis : duel de rues

Abdellatif Kazdarli, 35 ans, commerçant de son état, s’occupe depuis le coup d’envoi de la campagne, de la gestion d’un important centre de stockage des affiches de Boutef, et qui sont dispatchées d’ici vers tout le territoire national. Nous y trouvons, pêle-mêle, des posters commandés par le staff de campagne de Bouteflika et d’autres qui lui ont été concoctés en guise de “cadeau” par des associations ou des particuliers. Dans le lot, cette affiche où le portrait de Bouteflika se détache d’une jarre kabyle. De fait, cette dernière a été réalisée en Kabylie, précise M. Kazdarli. Celui-ci ajoute que des jeunes chômeurs sont venus demander à être engagés pour coller des affiches. “Je les ai renvoyés. Ils pensaient que nous payons les gens pour faire ce boulot comme le fait le FLN (version Benflis, ndlr) qui embauche des jeunes pour 1 000 DA la tête. Ce n’est pas notre tasse de thé. Nous n’engageons pas n’importe qui, encore moins des voyous.” , lance-t-il. Notre interlocuteur nous confie que les frères du Président, Mustapha et Saïd Bouteflika, veillent personnellement au grain.
M. Kazdarli affirme qu’il subit force provocations depuis qu’il dirige ce local. “J’ai même été menacé avec un couteau pour m’empêcher d’accrocher des banderoles dans le quartier”, dit-il, avant de poursuivre : “Je trouve tout à fait normal d’arracher une affiche pour mettre celle de son candidat favori. C’est de bonne guerre. Mais pas en usant de la violence.”

Même son de cloche au niveau des bureaux de soutien à Ali Benflis où l’on nous a indiqué que des individus se réclamant des comités de soutien de Bouteflika passent régulièrement les provoquer et leur chercher des noises.
Des échauffourées de ce genre vont sans doute aller crescendo, au fil de la progression de la campagne, et le débat va être de plus en plus passionné, gage-t-on çà et là, à mesure qu’approchera la date fatidique du 8 avril.

Mustafa Benfodil, Liberté