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Algérie : la police soigne ses traumatismes

jeudi 3 février 2005, par Hassiba

Lors d’un séminaire organisé, hier, à Alger, et consacré aux séquelles du terrorisme en Algérie, Ali Tounsi a déclaré que pas moins de 10 000 policiers ont été soumis à des tests psychologiques depuis 1999.

Un chiffre d’abord : 489 agents des forces de l’ordre, ayant opéré dans la lutte antiterroriste depuis 1993, souffrent de troubles psychologiques multiples. Cela représente 0,47% des effectifs de ce corps, mais un taux estimé “énorme” par les psychologues et les cadres de la sûreté nationale eux-mêmes. Le fameux syndrome post-traumatique (SPT) fait des ravages dans les rangs de ceux qui étaient à l’avant-garde de la lutte antiterroriste. Et le chiffre est très loin de la réalité, d’après M. Kechacha Boualem, psychologue principal au niveau du Service central de l’action sociale et des sports (Scass) relevant de la DGSN. Et pour cause, ces statistiques ne prennent en compte que les cas de policiers dont les traumatismes ont été diagnostiqués depuis 16 mois, c’est-à-dire à la fin de l’année 2003.

En effet, le décompte a commencé à l’installation de la première cellule de suivi psychologique qui a mené des investigations. Et depuis 1999, pas moins de 10 000 policiers ont été soumis au dépistage. Ce chiffre est sorti de la bouche de Ali Tounsi, le DGSN, hier, à l’ouverture du 2e séminaire-ateliers sur les victimes du traumatisme psychologique à l’École supérieure de police de Châteauneuf, à Alger. “Le 0,47% est un taux effarant dans la mesure où cela représente uniquement le résultat des 16 mois de traitement alors que nous avons un passif d’au moins dix années de terrorisme à traiter”, estime M. Kechacha, suggérant que le nombre serait certainement plus important. Ce corps voulait faire l’évaluation de ce qui a été fait en matière de prise en charge de ces autres victimes du terrorisme et réfléchir sur les perspectives à même de permettre à ceux qui en souffrent de surmonter ces troubles et pourquoi pas reprendre, normalement, leur travail. Une gageure pour certains, compte tenu de l’ampleur des traumatismes.

489 policiers traumatisés et 23 suicidés
A côté des victimes dites civiles - les citoyens, ndlr -, les éléments des forces de l’ordre, qui étaient aux avant-postes des années durant, subissent actuellement de terribles “dommages collatéraux” de la violence terroriste. Un autre chiffre effarant : le nombre de policiers s’étant suicidés entre 1997 et 2005 a atteint 23 éléments dont 11 seulement durant l’année 1997, année qui a vu la multiplication des massacres collectifs des populations comme ce fut le cas à Bentalha, Raïs et Sidi-Hamad. Ainsi, les images cauchemardesques de ces tueries, de ces mutilations, de ces corps éventrés, carbonisés et déchiquetés ont eu raison de beaucoup de policiers.

Si certains - 23 - ont opté pour la solution finale en se logeant une balle dans la tête, d’autres très nombreux ont développé des dépressions qui se transforment en traumatismes psychologiques aigus. Le directeur de l’école de Châteauneuf, M. Bouhadba, explique qu’il est difficile de faire un recensement exhaustif de tous les éléments atteints de troubles psychiques. “Sachez que nos policiers, victimes, n’osent même pas aller consulter un psychologue pour des considérations subjectives liées, entre autres, à l’image que l’on se fait de ce praticien qui soigne les fous. Il y a aussi le fait que le milieu policier est un univers à part très particulier. Tout cela inhibe le patient pour se faire dépister et prendre en charge à temps”.

C’est pourquoi, la DGSN a décidé, ces dernières années, d’engager des policiers-psychologues en vue de mieux diagnostiquer les pathologies grâce au suivi thérapeutique des éléments traumatisés. En l’occurrence, ces cellules de suivi psychologique - il en existe 32 au niveau national - instituées depuis 2003 ont sans doute limité les dégâts. Il n’en demeure pas moins que beaucoup reste à faire pour un effectif de près de 130 000 policiers dont une bonne partie a été confrontée directement ou indirectement à l’hydre terroriste. Pour y remédier, la DGSN affine sa stratégie de prise en charge grâce au précieux concours de ses 64 psychologues répartis à travers les différentes cellules, qui tentent à partir des thérapies individuelles et collectives et des examens systématiques pour les fonctionnaires de la police, de prendre en charge à temps les patients. Ces séquelles que traînent les éléments des forces de l’ordre n’empêchent pas, cependant, les jeunes filles et garçons de vouloir rejoindre cette corporation, qui a pourtant payé le prix fort du terrorisme barbare. En six mois, affirme le commissaire Madour, pas moins de... 25 000 candidats ont postulé à une carrière dans la police. C’est là un autre pied de nez, un autre défi aux forces du mal.

L’instruction de Ali Tounsi
Suite aux premières conclusions dramatiques des cellules de suivi psychologique des policiers traumatisés, le DGSN, Ali Tounsi, a instruit en juillet 2003, tous les chefs de sûreté de wilaya de prendre les mesures pour assurer la prise en charge sociale, professionnelle et préventive des policiers en difficulté. À ce titre, il leur a demandé de procéder, selon le cas, au traitement psychologique des éléments potentiellement déprimés, à la réaffectation de ceux qui le souhaitent vers des postes administratifs, et enfin à désarmer un policier sur la base d’un rapport établi par le médecin et le psychologue de la cellule.

Victimes et bourreaux : un casse-tête pour les psychologues
Hier, lors du débat, les psychologues étaient partagés entre le souci de faire siennes les valeurs d’éthique et de déontologie qui régissent leur profession et les arrière-pensées politiques dans la prise en charge des citoyens traumatisés. Victimes civiles et familles de bourreaux : faut-il les mettre ensemble ? Faut-il les traiter de la même manière ? L’exposé de Mme Bouatta Chérifa, enseignante à l’Université d’Alger et présidente du centre de prise en charge psychologique des victimes de Sidi Moussa, a alimenté la discussion. En effet, sur 995 personnes reçues dans ce centre, une bonne partie est issue de familles de terroristes, notamment des enfants. La conférencière note que 225 aides psychologiques ont été fournies à cette catégorie sociale dont la plupart ont subi un traumatisme lié à la violence terroriste. “Peut-on recevoir dans le même lieu les familles des terroristes et celles des victimes ?”

La lancinante question de Mme Bouatta est restée en suspens. Sa collègue, Mme Kharadja, explique à juste titre que “nous ne cherchons pas à savoir qui a tort ou qui a raison, la prise en charge psychologique est une affaire d’éthique tandis que le reste relève du politique”. Cette éminente psychologue, consultante de la DGSN, pense que “la souffrance métabolisée crée des liens ; et c’est comme cela qu’on doit les mettre ensemble...” En d’autres termes, qu’il soit enfant de terroriste ou de victime civile, un enfant doit être traité en tant que tel, c’est-à-dire un patient traumatisé. Ainsi, l’assistance juridique, sociale et psychologique prodiguée au centre de Sidi Moussa cible sans distinction les victimes du terrorisme. Ces derniers souffrent notamment, d’après Mme Bouatta, de blocages de toute la sphère cognitive pour les enfants (refus d’aller à l’école) et de l’anxiété et l’angoisse pour les adultes.

Par Hassan Moali, Liberté