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Berlusconi - Un mauvais manager pour l’Italie

jeudi 7 avril 2005, par nassim

Quand il est revenu au pouvoir en Italie, Berlusconi, Il Cavaliere promettait monts et merveilles. Les Italiens misaient sur sa réussite de chef d’entreprise. Trois ans après, ils déchantent.

Il est loin le temps où Silvio Berlusconi promettait « un nouveau miracle économique italien ». L’homme le plus riche du pays, l’entrepreneur conquérant et volubile ne fait plus recette. L’Italie économique est en panne, elle doute. Les success stories de Luxottica, Tod’s, Diesel et autres Ferrari ne parviennent pas à donner le change. Sonné par son échec aux élections européennes, le président du Conseil a dû sacrifier dans la nuit du 2 juillet son ministre de l’Economie, Giulio Tremonti, pour calmer les remous dans sa coalition. Et l’on évoque aujourd’hui, en Italie, le spectre d’une « argentinisation ».

Le naufrage d’Alitalia est

Silvio Berlusconi

symptomatique de l’échec de Berlusconi. On connaissait les dérives de la compagnie publique, traditionnellement mise à mal par le clientélisme politique, des pilotes qui volent peu, une flotte disparate, des coûts d’entretien élevés, une qualité de services en baisse (malheur à qui est contraint d’embarquer ses bagages en soute !)... Qui mieux qu’un homme venu du monde des affaires pouvait sauver la compagnie ? Eh bien, avec Berlusconi la situation n’a fait qu’empirer. Exemple des ravages de la politique sur l’entreprise : la nomination d’un président désigné par la Ligue du Nord et d’un administrateur délégué désigné par l’Alliance nationale, deux formations membres de la coalition au pouvoir. Le premier roulait pour l’aéroport milanais de Malpensa qui devait devenir le grand hub italien, tandis que le second défendait bec et ongles l’aéroport de Rome Fiumicino. Bonjour le travail d’équipe ! Pour finir, les deux hommes ont été récemment renvoyés au profit d’un unique PDG, Giancarlo Cimoli. Résultat : Alitalia perd aujourd’hui 1 000 euros à la minute et les Italiens commencent à s’habituer à l’idée de ne plus voir voler les couleurs nationales.

Voilà qui donne une piètre image de l’Italie. D’autant qu’au même moment d’énormes scandales ont éclaté. Celui de Cirio, producteur de légumes en boîte, et notamment de tomates. Et celui de Parmalat, premier producteur de lait européen, qui aurait englouti 14 milliards d’euros. Ces scandales sont tels qu’ils ont eu des retombées sur la Banque d’Italie, dont les contrôles ont été jugés insuffisants. Mais aussi sur Capitalia, la plus grande banque italienne, qui était derrière les deux entreprises. Quand les grands groupes n’alimentent pas la rubrique des scandales, ils sont dans la tourmente. Ainsi, la lutte pour la survie de Fiat, le premier groupe du pays, est-elle devenue une cause nationale. Pour Nino Lo Bianco, gourou des conseils en entreprise de la péninsule, il faut à tout prix sauver le constructeur auto : « Depuis dix ans, pas une seule grande entreprise n’a vu le jour en Italie. Perdre Fiat, ce serait un coup fatal porté à notre image, à nos ambitions, à une certaine idée du pays. » Pour l’heure, le grand malade turinois donne quelques signes de réveil, mais il est encore trop tôt pour le déclarer tiré d’affaire.

On comprend d’ailleurs que l’Italie s’accroche à ses grandes entreprises : dans la liste des cinquante premiers groupes industriels européens, la péninsule n’est présente qu’avec Generali, Fiat et Eni, aucun n’étant leader dans son secteur, alors que l’Allemagne place seize entreprises, la France onze et la Suisse quatre. « C’est très grave, car la grande industrie est fondamentale pour l’innovation et la recherche », explique Lo Bianco. « Nous avons raté notre développement économique, poursuit-il. Les Italiens sont riches... mais l’Italie est pauvre. » La péninsule a pratiquement été évincée de la pharmacie, de l’aéronautique, de l’électronique, secteurs les plus dynamiques du commerce mondial, et elle achète davantage de brevets qu’elle n’en vend.

Heureusement, pour compenser les défaillances des géants de la péninsule, il y a les petites entreprises. « Piccolo è bello ». Cela, du moins, a longtemps été vrai. Mais aujourd’hui... le formidable réseau de petites entreprises dynamiques et géniales (38 % du PIB, 2,7 millions d’emplois), souvent regroupées par spécialités régionales (les districts), souffre aussi. En 2003, le Nord-Est, qui a été la locomotive industrielle de la dernière décennie, a vu ses exportations chuter de 9 %. Dans ces zones industrielles qui ont dénaturé les paysages en poussant comme des champignons le long des routes entre Venise et Trente, Padoue et Bellune, des milliers de hangars affichent un panneau « à louer ». Le cuir et les chaussures dans les Marches, la soie à Côme, le textile à Prato, la confection à Carpi sont en crise. « Pendant les années 90, les districts ont dopé leurs exportations grâce à la dévaluation de la lire au lieu d’innover et d’améliorer la productivité, explique Enrico Letta, ancien ministre de l’Industrie et du commerce de Romano Prodi. Avec l’euro, il a fallu redescendre sur terre. » Le made in Italy n’est plus aussi flamboyant qu’il l’a été. Ces dernières années, le pays a régulièrement perdu des parts de marché dans le commerce mondial. Quand, entre 2000 et 2004, l’Allemagne augmente ses exportations de 15 % et la France de 12 %, l’Italie voit chuter les siennes de 7 % !

Dans ce paysage de désolation plane la silhouette du grand prédateur qui trouble les nuits de tous les entrepreneurs transalpins : la Chine. Un danger illustré par la situation du district des céramiques de Sassuolo, près de Modène. En 2001, Sassuolo produisait 600 millions de mètres carrés de céramiques et la Chine 200 millions. En 2003, Sassuolo continue à produire 590 millions de mètres carrés, mais la Chine est passée... à 2 milliards. Même l’alimentaire est à risque. « Vous avez idée du nombre de porcs qu’il y a en Chine ? interroge l’économiste Nicola Rossi, élu député dans les rangs des Démocrates de gauche. Lorsqu’ils auront appris à faire le jambon correctement, le district de Parme devra se faire du souci »...

La concurrence chinoise frappe en fait davantage l’Italie que ses voisins européens. Giulio Tremonti, quand il était ministre ne cessait d’en dénoncer le spectre. C’est que les spécialités qui ont fait le renom du made in Italy, comme la mode et le design, ont un faible contenu technologique et sont faciles à copier. Ironie de l’Histoire, c’est un peu le retour à l’envoyeur, car l’Italie a longtemps été le premier producteur mondial de contrefaçons. Sauf que les Chinois ne pratiquent pas seulement l’espionnage industriel. Ils signent des accords avec des entrepreneurs italiens, notamment dans les vêtements de luxe, accusés de faire le lit de l’envahisseur. Un peu comme les Siciliens qui avaient le monopole de la culture des citrons et se sont ruinés en exportant des citronniers.

« La crise du pays est structurelle et le gouvernement n’en est pas responsable, constate Enrico Letta, pourtant adversaire politique du Cavaliere. Mais la droite est incapable de réagir. Elle a fait une alliance pour gagner les élections, pas pour gouverner. » Berlusconi n’a pas su profiter, en fait, de la lune de miel postélectorale. Au lieu de faire les grandes réformes lorsqu’il en avait les moyens politiques, son gouvernement s’est acharné dans un combat pour la réforme de l’obscur article 18 du Code du travail sur la réintégration des salariés licenciés injustement et qui ne concernait que quelques dizaines de cas par an. Un combat idéologique qui n’avait d’autre but que de « casser du syndicat » alors qu’un peu de paix sociale aurait mis de l’huile dans les rouages des réformes. Le climat s’est tendu à un point tel que l’on a vu réapparaître des grèves générales.

Mesures « ad personam »

A défaut de réformes, le président du Conseil a fait adopter de nombreuses dispositions l’intéressant au premier chef. Des dispositions ad personam ont été prises pour mettre le Cavaliere à l’abri des procès dans lesquels il est accusé de corruption. Il a atténué les sanctions pour les entrepreneurs condamnés pour faux en bilan. Il a favorisé, en ne demandant qu’une taxe modique (2,5 %), le retour des capitaux placés illégalement à l’étranger. Il est intervenu grossièrement dans les affaires de la RAI, la télé d’Etat qui concurrence ses propres chaînes. Il a pris un décret d’urgence pour sauver Retequattro, une télé de son groupe. Richissime, il a supprimé les droits de succession et favorisé le régime fiscal des donations. Propriétaire du Milan AC, il n’a pas oublié, non plus, de prendre des dispositions pour alléger les finances des clubs de football.

Lorsque, après avoir nié l’évidence de la crise, il a voulu s’attaquer aux problèmes économiques, sa majorité était usée par les querelles personnelles et divisée sur tout : les retraites, la réforme du droit boursier, la baisse des impôts, le développement du Mezzogiorno... Et pendant que les ministres se font la guerre (voir ci-contre), les réformes sont renvoyées à des jours meilleurs.

Ce bilan plus que médiocre a même fait grincer des dents à la Confindustria, le syndicat patronal. Son ancien président, Antonio D’Amato, pourtant résolument berlusconien, commençait à prendre ses distances avec le gouvernement vers la fin de son mandat, achevé en mai. Avant de quitter ses fonctions, il a critiqué une loi de finances 2004 « peu rigoureuse, sans aucune mesure pour le développement et qui mine la confiance des entreprises ». Quant à son successeur, Luca di Montezemolo - « Super Luca », comme on commence à l’appeler en Italie -, il est plus que réservé à l’égard du Premier ministre. L’homme qui a redressé Ferrari avant de reprendre dans des conditions dramatiques la présidence de Fiat veut relancer le « Sistema Italia » autour des grands groupes. Et il faut renouer le dialogue avec les syndicats. Autour de ses idées il rassemble la cohorte des patrons les plus importants du pays, parmi lesquels Marco Tronchetti Provera, de Pirelli-Telecom, Diego Della Valle, de Tod’s, mais aussi les Pininfarina, Merloni et autres Benetton... Le bilan Berlusconi est tellement peu flatteur que les patrons n’ont plus envie de voter pour lui...

Le Cavaliere, chantre du libéralisme désavoué par le patronat : un beau paradoxe. « Seulement en apparence, corrige Nicola Rossi. Berlusconi a construit son empire audiovisuel grâce aux concessions qui lui ont été concédées par les pouvoirs politiques. Il n’a jamais affronté le marché à visage découvert. Au pouvoir, il n’a pas libéralisé les marchés de l’énergie ou des assurances et a même suspendu les privatisations pour satisfaire l’aile étatiste de sa coalition. En gouvernant au jour le jour avec une grande désinvolture financière, il a mis à mal les finances publiques. » En d’autres termes, il est normal que Berlusconi éveille la suspicion des patrons car il ne serait pas libéral pour un sou, malgré les positions affichées.

Nino Lo Bianco est moins sévère et met quelques succès au crédit du gouvernement. Son record de durée tout d’abord, mais aussi le retour des capitaux, la création d’un MIT italien, la réforme du marché du travail, le lancement de grands travaux... Pourtant, il ne peut passer sous silence les limites psychologiques du personnage. « Berlusconi vient des affaires. Il voudrait en politique des résultats immédiats, comme dans le business. Mais ça ne marche pas comme ça. Et comme il n’aime pas les conflits, dès qu’il voit que ça se complique il "zappe" d’un sujet à l’autre. Même la baisse des impôts, qui semblait être sa carte maîtresse, est aujourd’hui renvoyée à des jours meilleurs. »

Des finances calamiteuses

Le patron Berlusconi, boudé par ses pairs, ne fait pas non plus des étincelles dans la gestion publique même si Bruxelles se montre grâce aux manoeuvres berlusconiennes bien conciliant. Sans des rentrées fiscales exceptionnelles (grâce à des taxes sur le retour des capitaux illégaux et des opérations immobilières), son déficit budgétaire serait pire que celui de la France. Et ce résultat, déjà très moyen, ne fait que masquer la situation calamiteuse des finances publiques italiennes.

En raison surtout du poids exorbitant de la dette publique (106 %, contre 61 % pour la France). Berlusconi n’est pas responsable de tout. Ses prédécesseurs ont chargé la barque aussi. Pour assainir les comptes, le moyen le plus sûr est de faire de la croissance. Mais, là encore, le bilan est maigre. La croissance italienne est anémiée : 0,4 % en 2002, 0,3 % en 2003 et un maigre 1,2 % en 2004 (contre 2,3 % pour la France).

Le président du Conseil a pourtant un motif de consolation : l’entreprise la plus florissante du pays... est la sienne. En 2003, le chiffre d’affaires de son empire télévisuel Mediaset a progressé de 32 %. Peu de chose au regard des prévisions pour 2004. La loi sur l’audiovisuel récemment adoptée par le gouvernement devrait en effet permettre une croissance des recettes publicitaires de 2 milliards d’euros.

Vous avez dit conflit d’intérêts ? Berlusconi se veut irréprochable. Quand le conseil des ministres aborde des sujets concernant ses sociétés, le président se retire. Et il a abandonné toute responsabilité au sein de son empire. Nul n’est dupe, pourtant. Berlusconi n’ignore rien des délibérations gouvernementales quant à son empire, il est entre de bonnes mains, celles de sa fille Marina et de son ami de cinquante ans, Fedele Confalonieri. Dans les cent premiers jours de son gouvernement, Berlusconi avait promis la résolution de tout conflit d’intérêts par la promulgation d’une loi... Une loi qu’on attend toujours. Ce n’est pas grave. Si les affaires de l’entreprise Italie périclitent, celles de l’entreprise Berlusconi prospèrent.

Par Dominique Dunglas, lepoint.fr