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Bouteflika ou la voix du Sud

vendredi 13 mai 2005, par Hassiba

Présent sur tous les fronts de la diplomatie internationale, Abdelaziz Bouteflika, en homme de paix, de dialogue et de résistance, s’investit de plus en plus dans le combat pour l’instauration d’un nouvel ordre international multipolaire plus juste et moins dangereux.

Abdelaziz Bouteflika s’investit au services des causes du Sud.

La diplomatie algérienne, sous la houlette d’Abdelaziz Bouteflika, s’est investie sans compter au service des causes du Sud. Le président algérien, désormais président en exercice pour un an du sommet de la Ligue des Etats arabes, s’est magistralement acquitté de la délicate mission de maintenir la cohésion du monde arabe. Alors que très peu d’observateurs donnaient cher de la survie de cette ligue, créée il y a soixante ans en Egypte, le 17e Sommet qu’il a accueilli dans sa capitale les 22 et 23 mars derniers a permis, contre toute attente, de redonner confiance à une opinion publique arabe à la fois traumatisée par les tragédies palestinienne et irakienne et révoltée par le peu d’empressement mis par les classes politiques à se mettre au diapason du monde moderne. Le sommet d’Alger a ainsi mis l’accent sur deux points essentiels.

Tout d’abord, l’attachement à la “solidarité arabe tant sur le plan de la pratique que de la stratégie, au sens de la préservation de la sécurité nationale arabe, le respect de l’intégrité, la souveraineté et le droit de chaque Etat arabe à défendre ses ressources, ses potentialités et ses droits, et le rejet de l’ingérence dans les affaires internes ou le recours à l’usage ou à la menace d’usage de la force”. L’adoption de ce point, contrairement aux apparences, n’était pas une simple formalité. Certains pays membres avaient en effet cherché, soutenus en sous-main par les Etats-Unis, à torpiller le plan de paix adopté à Beyrouth il y a trois ans et fondé sur le principe de la paix contre les territoires occupés. La réaction du chef de l’Etat algérien était sans ambiguïté : Alger ne se prêtera jamais à ce jeu. Les impatients qui voudraient normaliser leurs relations avec l’Etat hébreu sans contrepartie, qu’ils le fassent chez eux ! Ils ne doivent pas compter sur l’Algérie pour leur faciliter ce plan.

En second lieu, l’impérieuse nécessité de poursuivre la modernisation de la Ligue arabe elle-même et, parallèlement, la modernisation politique, économique et socioculturelle de l’ensemble des Etats qui en font partie : renforcement de l’exercice démocratique, élargissement de la participation politique, consécration des valeurs de citoyenneté et de la culture démocratique, promotion des droits de l’homme et de la société civile et renforcement du rôle de la femme dans tous les domaines de la vie publique.

L’Algérie, pays arabe qui a souffert plus que quiconque du terrorisme, n’a pas voulu laisser passer un tel forum sans condamner cette plaie des temps modernes, tout en évitant de faire l’amalgame entre terrorisme et résistance. La déclaration d’Alger adoptée par ce sommet est à cet égard sans ambiguïté : “La ferme condamnation du terrorisme, sous toutes ses formes et aspects, la dénonciation des crimes commis par les groupes terroristes, qui constituent de grandes violations des droits fondamentaux de l’homme et qui représentent une menace pour l’intégrité nationale des Etats arabes, leur sécurité et leur stabilité, la convocation d’une conférence internationale sous l’égide des Nations unies, l’établissement d’une définition du terrorisme et la distinction d’une part entre l’islam et le terrorisme et, d’autre part, ce dernier et le droit des peuples à la résistance face à l’occupation.”

Moins de deux semaines après la fin de ce sommet, qui a permis un réel dégel des relations intermaghrébines et particulièrement entre l’Algérie et le Maroc, Abdelaziz Bouteflika s’est envolé pour Paris pour défendre, du haut de la tribune de l’Unesco, dans le cadre d’un colloque sur le dialogue des civilisations, les vraies valeurs de l’islam. En près d’une heure, il a pu développer devant un public exigeant l’inanité de la thèse du choc des civilisations sortie des laboratoires diaboliques des néoconservateurs américains après la chute du mur de Berlin et que l’intellectuel palestinien, aujourd’hui disparu, Edouard Saïd, qualifiait de “choc des ignorances”.

Homme de culture et de spiritualité autant qu’homme d’Etat et résistant, Abdelaziz Bouteflika a exhorté cette “partie de l’Occident qui cherche à changer le monde par la puissance que lui procurent ses avancées technologiques et scientifiques” à revoir sa stratégie aveugle qui fait fi des leçons de l’histoire. Stratégie d’autant plus aveugle que les pays qui sont aujourd’hui matériellement et économiquement en retard n’en sont pas moins dépositaires du patrimoine commun de l’humanité et perçoivent “l’arrogance du puissant sur le faible comme une injure au génie du genre humain”.

Dans sa plaidoirie pour le dialogue des civilisations, le président algérien se montre exigeant à la fois à l’égard de l’Occident et à l’égard des sociétés musulmanes. Stigmatisant la culture de la puissance et de l’hégémonie, il met en garde l’Occident, aveuglé par sa supériorité technologique et matérielle, contre ses dérives suicidaires. “Si l’on est désireux de la prospérité de la planète, il faudrait s’attaquer aux fléaux qui minent les rapports entre nations et que sont les guerres, les injustices, la politique du deux poids deux mesures, la raréfaction de l’eau, les inégalités, etc.” Pour cela, la première chose à entreprendre, c’est de ne jamais rompre les liens, mêmes ténus, qui existent entre les civilisations et les cultures.

Mais si certains pôles et centres de décision en Occident succombent à cette dérive, il n’en demeure pas moins vrai, toutes proportions gardées, que les victimes de cette arrogance meurtrière tombent parfois dans le piège de la sur-réaction. Il appartient aussi aux musulmans de se regarder en face car “le mal ne se trouve pas forcément et toujours dans l’autre, et nos malheurs n’ont pas toujours l’autre pour origine”. Et d’ajouter : “Je suis de ceux qui croient aussi que la religion, dimension hautement spirituelle des civilisations, est lumière, et que c’est l’ignorance des hommes qui la transforme en ténèbres. Elle est par essence paix, pardon, amour et tolérance, mais la bêtise humaine la transforme en guerre, en haine et en exclusion. Cette malheureuse prédisposition humaine n’est pas le propre d’une religion ou d’un peuple. L’histoire de l’humanité est riche d’exemples dans ce sens.”

Optimiste impénitent, le président algérien n’en est pas moins conscient que les relations entre les nations sont aussi fondées sur un certain rapport de forces. Pour que le Sud soit entendu, il est appelé impérativement à se procurer tous les moyens lui permettant de vaincre ses vulnérabilités. Il faudra d’abord se réconcilier, chacun à son niveau, avec soi-même. Un objectif qu’il s’est assigné depuis son élection en 1999, avec la concorde civile, la réconciliation nationale et, aujourd’hui, l’amnistie générale. La même recette s’applique aux autres pays du Sud. Charité bien ordonnée commence par soi-même. Ces pays, qu’ils soient africains, asiatiques ou latino-américains, seraient bien inspirés, pour traiter d’égal à égal avec les pays riches, de s’engager dans un audacieux et difficile processus de réforme à l’intérieur de chacun d’eux et entre eux.

Le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique, Nepad, qui a tenu son 13e sommet en Egypte, a d’ailleurs mis le doigt sur l’inconstance des aides occidentales. Le chef de l’Etat algérien, qui participait à ce sommet, l’a bien souligné dans son intervention lors de la présentation du point de l’ordre du jour intitulé “Rapport d’évaluation des objectifs de développement du millénaire”. Après avoir souligné que “le sous-développement continue de faire peser des risques majeurs sur la sécurité économique, alimentaire, sanitaire et environnementale des populations africaines”, il a déclaré que “les efforts nationaux, si laborieux et ambitieux qu’ils soient, ne sauraient suffire pour atteindre ces objectifs, s’ils ne sont pas accompagnés par un soutien financier et technique conséquent de la communauté internationale”.

Faut-il pour autant désespérer de l’aide occidentale pour le développement du Sud ? Y a-t-il une alternative à ce cercle vicieux ? Sans doute, et la commémoration du 50e anniversaire de la conférence de Bandung à Jakarta à laquelle Abdelaziz Bouteflika a participé est venue à point nommé la rappeler. En adoptant le 23 avril le “Nouveau partenariat stratégique Afrique-Asie”, les cent neuf pays participant ont voulu renouveler la troisième voie incarnée par la philosophie de Bandung, mais sur de nouvelles bases essentiellement économiques.

Pour Bouteflika, qui est venu à Jakarta après le sommet d’Alger, le colloque de l’Unesco à Paris et le sommet du Nepad à Charm el-Cheikh, en porte-voix de la cause du Sud, ce nouveau partenariat stratégique Afrique-Asie doit d’abord se faire sur le terrain de l’économie, car, a-t-il affirmé, “il y va de la survie de nos peuples et de leur bien-être”. “Une concertation plus poussée entre les Etats afro-asiatiques est, martela-t-il, absolument nécessaire pour faire prévaloir les logiques de paix sur les logiques de guerre, au moment où une partie du monde est saisie par le vertige de l’unilatéralisme qui, entraînant l’humanité dans son sillage, ressuscite des fantômes que le souffle de Bandung avait, pour partie au moins, chassés.”

“Bandung, conclut-il, c’est l’affirmation de l’existence autonome des peuples d’Afrique et d’Asie, c’est d’abord l’affirmation de l’émergence d’un nouveau sujet historique, à la fois différencié et travaillant à son homogénéisation.

Bandung n’a pas seulement une importance politique ou géostratégique. Bandung a d’abord une importance philosophique planétaire. Il est un démenti cinglant par sa sérénité et son ouverture au reste de l’humanité, dont l’Occident naturellement, à la philosophie de l’histoire européenne et en particulier de Hegel. [...] Non, l’Occident n’était pas le lieu de la fin de l’Histoire. Non, les civilisations asiatiques n’étaient pas un moment dépassé de l’Histoire universelle. Non, l’Afrique n’était pas en dehors de l’Histoire...

A Bandung, la multipolarité du monde, mise sous le boisseau pendant cinq siècles, s’exprimait à nouveau avec une neuve et agile fierté. La fin du schisme soviétique et la réunification Est-Ouest permettent de renouer avec plus de clarté avec le souffle de Bandung. La réunification de l’Occident et son inéluctable rétraction territoriale, démographique et économique rendent désormais plus aisé le nouveau décryptage de la planète sur un mode multipolaire, qui est l’innovation décisive de Bandung, et exigent même de le mettre en œuvre...Un demi-siècle après, la réhabilitation de l’esprit de Bandung, mieux, sa revitalisation, ne tient pas de la rhétorique commémorative, mais elle est d’une nécessité vitale pour nos peuples et pour tous les peuples de la planète.”

Par Simon Malley, afrique-asie.com