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Débat sur Françalgérie à Paris : La France accusée de complicité

mercredi 30 juin 2004, par Hassiba

Descente en flèche du « régime des généraux », de leur « responsabilité » dans la violence des années 1990, du soutien complaisant des autorités françaises à travers la « Françafrique », un concept « néocolonial » mis en place au lendemain des indépendances des Etats africains, de la connivence des services français avec leurs homologues algériens, du silence de la presse française.

Cela s’est passé lundi après-midi lors d’une conférence-débat. La « Françalgérie », tabou de la République française », organisée à l’Assemblée nationale française par le député des Verts, Noël Mamère, et l’éditeur François Gèze à la faveur de la publication par la Découverte de « Françalgérie et mensonges d’Etat », un livre de Jean-Baptiste Rivoire et de Lounis Aggoun. Rencontre à laquelle a pris part le président du FFS, Hocine Aït Ahmed Le livre « Françalgérie et mensonges d’Etat » repose largement sur des textes et documents d’ONG, notamment de Algeria-Watch. Il est bien documenté sur le « qui tue qui ». Il n’a suscité jusqu’ici aucune réaction officielle ou médiatique. En quatre heures de communications, pas un mot sur le terrorisme islamiste, si ce n’est pour dire que les groupes islamistes ont été infiltrés, instrumentalisés par les services algériens, (Djamel Zitouni quand il était à la tête du GIA en 1995). A peine si les manifestations de mécontentement social, les mouvements citoyens ont été évoqués, si ce n’est par des personnes dans la salle. Aucun intervenant n’a eu en public une parole sur les journalistes emprisonnés, sur le harcèlement de la presse. « Il est de mon devoir de député de dénoncer la connivence entre une partie de la classe politique française et les généraux algériens », a souligné Noël Mamère, et il reproche à la presse française de ne s’intéresser qu’« au côté people de l’affaire Khalifa » et de ne pas s’interroger sur les origines de la fortune de Khalifa, de comprendre comment il a été « une vitrine » des généraux ». « On n’a pas donné plus d’échos quand j’ai refusé de me trouver dans l’hémicycle de l’Assemblée avec le président Bouteflika. » Et de reprocher au président Chirac de « se précipiter à aller rendre visite au régime des généraux avec les valises vides pour les ramener pleines ».

Confusion
Lounis Aggoun, co-auteur, s’évertue à décrire « un pays surréaliste » de manière schématique et approximative. Le problème n’est pas que la situation décrite par le conférencier ne comporte pas de vérités, il est dans la manière d’exposer les faits sans les contextualiser. Selon lui, la difficulté de perception de la réalité algérienne vient du fait de « la confusion entre une petite minorité et 30 millions d’Algériens ». « Confondre le Club des Pins et la société algérienne, c’est cela l’imposture. » « L’enjeu est de mettre fin à cette confusion et de montrer que ces deux entités sont distinctes et en guerre. » « Le Club des Pins dispose de toute la presse algérienne et de la presse française, les 30 millions d’Algériens n’ont rien. » Jean-Baptiste Rivoire, l’autre auteur de « Françalgérie » affirme que « les généraux ont instrumentalisé la violence islamiste » et « il y a des gens en France qui savaient depuis le début » et de citer Charles Pasqua et son entourage, des gens dans la Défense et les services de renseignement. « Tous les services dans le monde font de l’infiltration », mais « des agents des services algériens orientent l’action des groupes terroristes. L’armée algérienne va organiser l’élimination de tous les chefs du GIA, sauf Zitouni avec qui elle collabore. » Au moment des discussions de Sant Egidio, « Zitouni reçoit l’instruction de mener des actions contre la France ». « Debré avait compris, il convoque quelques journalistes et leur dit qu’Alger était derrière les attentats de Paris. » Encore Rivoire : « Alger réactive un nouveau groupe, le GSPC. » Omar Benderra (économiste) décrit les mécanismes de la « prédation économique », « le recyclage de capitaux par des réseaux puissants à l’étranger, en France en particulier ». Il parle de « logique de protectorat », d’une « sorte de pacte néocolonial revisité » par lequel la France s’érige en « médiateur » de l’Algérie. Selon Nicole Chevillard (journaliste, Risques internationaux), une partie des services français est en lien avec le général Belkheir. « Après les attentats de Paris, j’ai été appelée pour consultation par la DST dirigée officiellement par Philippe Parent. Raymond Marthe, un spécialiste des questions algériennes, qui était présent, défendait les positions des services algériens. Philippe Parent, proche de Juppé, me demande, en 1995, une étude pour voir comment faire fléchir les généraux algériens et leur faire accepter les accords de Rome. »

Junte
Aït Ahmed évoque l’omerta sur l’Algérie qui a subi trois drames et sur lesquels il y a un « consensus général pour fermer les yeux ». Le premier drame c’est la guerre de Libération nationale, « 40 ans après l’indépendance de l’Algérie, la France n’a pas réussi à passer à une reconnaissance de ses responsabilités. » Le second drame, « c’est la guerre contre les civils des années 1990 » . « Seul Jospin a exprimé à haute voix le chantage auquel la France était soumise. » Le troisième drame de l’Algérie, c’est le 11 septembre 2001, selon Aït Ahmed. Dix ans durant, la junte algérienne n’avait jamais soupçonné les liens entre les islamistes algériens et El Qaïda, le 12 septembre, ces liens deviennent miraculeusement évidents. Depuis le 11 septembre, le régime algérien devient intouchable. « Et » je suis convaincu que l’Algérie ne sera un Etat souverain que lorsque la France prendra son indépendance de l’Algérie. François Gèze affirme que « le chantage du régime des militaires s’exerce sur le peuple algérien et la communauté immigrée qui se taisent, qui ont peur. La France tolère sur son territoire une police étrangère. » Depuis la salle : « Les Algériens doivent s’organiser », « il n’y a pas assez de voix qui s’élèvent » », « ne pas laisser les Français seuls dire ». Vient ensuite une question à Aït Ahmed : « On ne vous entend pas assez. On ne vous entend que lorsqu’il y a des événements importants. Comment voyez-vous la sortie de crise ? Que proposez-vous aux autres opposants ? » Réponse de Aït Ahmed : « ...On a parlé de toutes les prédations, sauf de la prédation politique....On ne crée pas une classe politique ex-nihilo. Il faut prendre le temps de réfléchir. Je me suis exprimé là où il fallait s’exprimer. Je suis entré en Algérie parce qu’il le fallait. Je suis allé voir Boudiaf lui dire de rentrer. Il m’a dit : « C’est une fausse ouverture ». Je lui ai répondu que c’était une brèche. Quand il y a eu le coup d’Etat, tout le monde m’a recommandé de partir. C’est le pouvoir qui a rogné dans les élites, qui permet à l’armée d’avancer masquée. » Comment mettre fin au silence ? Paul Moreira , journaliste, fait référence à « l’appel pour créer un mécanisme pouvoir-citoyen qui offre un accès plus libre à l’information » dont il est co-initiateur, tandis que Noël Mamère présentera un projet de loi sur la levée du secret défense.

Par Nadjia Bouzeghrane, El Watan