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Fernando Alonso, l’anti-Schumacher

vendredi 22 avril 2005, par nassim

Sympathique et modeste, Fernando Alonso, espagnol de 23 ans est la nouvelle star des circuits. Sur sa Renault, il domine ce début de saison loin devant Schumacher et compte bien ajouter une victoire à son palmarès ce week-end à Saint-Marin.

Il suffit parfois de trois

Fernando Alonso.

fois rien pour devenir une célébrité. Fernando Alonso n’a que 23 ans, mais une grippe et une boîte de vitesses défectueuse l’ont propulsé dans la légende de la formule 1. Le 22 mars 2003, en Malaisie, le jeune Espagnol dispute son deuxième Grand Prix pour Renault, le vingtième de sa carrière. La veille, il est devenu le plus jeune pilote à réaliser une pole position, battant un record vieux de 44 ans, et le roi d’Espagne l’a félicité au téléphone. Mais le plus beau est à venir. Le jour de la course, Alonso a 39° de fièvre et s’aperçoit à mi-parcours que sa boîte de vitesses ne répond plus. Contraint de passer en manuel, il finit pourtant 3e. Il n’a encore jamais gagné, mais cette prouesse lui vaut les gros titres : pour un quotidien espagnol, « Alonso est entré dans l’histoire ! ».

En une course, Fernando Alonso a gagné ce qu’en 7 titres de champion du monde Michael Schumacher n’a jamais vraiment obtenu : l’amour des foules. L’Allemand a un palmarès époustouflant, mais il s’est fait siffler, même sur « son » circuit de Hockenheim. En Espagne, au pays du football roi, Alonso est devenu un dieu vivant. Il y a quinze jours, plus de la moitié des téléspectateurs étaient vissés derrière leur poste pour assister à la victoire de leur champion à Bahrein. Alors qu’il y a encore trois ans, faute d’intérêt pour la formule 1, aucun Grand Prix n’était retransmis à la télévision espagnole.

Il est vrai que tout oppose les deux pilotes. Schumi paraît hautain quand Alonso ressemble à un ado timide : il bafouille en interview, semble chercher l’approbation dans les yeux de son père et paraît tout embarrassé de sa gloire soudaine.

Surtout, il suscite un immense espoir. Car depuis trop longtemps la F1 est ce sport où Schumacher gagne à la fin. L’équation est simple : le pilote allemand est exceptionnel. Jusqu’à cette année, il conduisait la meilleure voiture et son coéquipier n’a jamais été qu’un faire-valoir. Résultat : la formule 1 s’ennuie. Elle se languit du temps où Prost s’adjugeait 5 titres de champion du monde, avec à ses côtés un compétiteur nommé Ayrton Senna !

Alors, en ce jour de mars 2003, une évidence s’impose : le jeune Espagnol des Asturies sera champion du monde. Son parcours fulgurant plaide pour lui : à 3 ans, son père le met dans un kart. A 8 ans, il est champion des Asturies, à 9 ans, champion d’Espagne, à 15 ans, champion du monde. Il gagne dès la première année le championnat d’Europe de formule Nissan, puis, en 2000, remporte sa première course en formule 3000 à Spa-Francorchamps, un circuit très technique qu’il ne connaît pas.

Cette victoire change sa vie. Flavio Briatore, futur directeur de l’équipe Renault, et « découvreur » de Schumacher, demande à le voir : « Il était très intimidé. Mais quand je lui ai demandé pourquoi je devrais l’engager, il m’a regardé droit dans les yeux et m’a répondu : "Parce que je vais gagner !" »

La protection de Briatore vaut au jeune homme de débuter à 19 ans en formule 1, dans une modeste écurie, Minardi. Il dispute son premier Grand Prix en Australie en 2001. Parti 19e sur la grille, il termine 12e ! Exceptionnel ? Pas pour Alonso : « Quelle que soit la voiture, je veux être le plus rapide. » Pourquoi ? « J’aime gagner. Quand je ne gagne pas, je me sens mal. »

Il partage cette tranquille assurance et cette rage de vaincre avec les grands champions. Pour le reste, Alonso est aux antipodes des seigneurs de la F1. C’est un « homme ordinaire » qui, lorsqu’il n’a pas un volant entre les mains, fait du vélo, joue au foot avec des copains et soutient le Real Madrid. A-t-il un jour décidé qu’il serait champion du monde ? « Honnêtement, non ! Je n’étais même pas certain de piloter un jour une formule 1. Jusqu’à récemment, je pensais que je pourrais peut-être devenir mécanicien de kart », répond-il au Point.

Sa modestie est désarmante. Chacun s’extasie de sa précocité, sauf lui. A 23 ans, n’a-t-il pas déjà plus de vingt ans de course derrière lui ? Issu d’un milieu populaire, Alonso n’affiche pas les signes extérieurs de son triomphe : il n’amène pas sa petite amie sur les circuits, parce que son père le lui a déconseillé. Avec ses premiers salaires, Fernando, le bon fils, a acheté une maison à ses parents. Il n’a ni jet privé ni yacht. « Pour quoi faire ? » demande-t-il, étonné.

Alonso le modeste est aussi un chic type, capable de plaisanter avant le départ, ou même de faire une petite sieste. En 2003, en Malaisie, ses problèmes de boîte de vitesses lui ont peut-être coûté la victoire. Il dédie pourtant son podium au team Renault. Partenaire exemplaire, il se contente, l’an dernier, d’être heureux pour son copain Trulli, systématiquement devant lui. « Nous avons préféré remplacer Trulli, parce qu’ils s’entendaient trop bien, juge aujourd’hui Flavio Briatore. Fernando aime la compétition. Il a besoin d’un coéquipier qui le pousse pour être au maximum. » On vous l’avait bien dit : Alonso est l’anti-Schumacher !

Mais attention, il ne faudrait pas prendre le gentil Espagnol pour un imbécile. Il est assez intelligent pour ne pas brûler les étapes. En 2001, malgré sa belle saison chez Minardi, il n’est que pilote d’essai pour Renault. La rumeur dit pourtant que Ferrari l’aurait approché. « Il savait qu’il avait encore beaucoup à apprendre », estime Denis Chevrier, directeur de l’exploitation de Renault F1. Surtout, Alonso n’ambitionne pas d’attendre derrière Schumi que celui-ci accepte de se retirer. Son objectif est de le battre. Il accepte donc de grandir en même temps que son équipe et se paie le luxe de donner un bon conseil au champion du monde : « Schumacher devrait essayer de gagner avec une voiture médiocre, déclare-t-il en 2003. Les médias pensent qu’il gagne parce qu’il a la meilleure monoplace et non parce qu’il le mérite. »

La phrase écorne l’image trop lisse. Elle est aussi prémonitoire. Pour les trois premiers Grands Prix de la saison, dans une voiture rendue « médiocre » par le changement de règlement, le baron rouge est derrière, à 20 points d’Alonso au Championnat du monde. Selon Anne Giuntini, reporter à L’Equipe, l’ado timide, qui marchait le nez sur ses chaussures, est méconnaissable : « Il n’y a pas longtemps, Jean Alesi m’a dit : "Il marche en vainqueur, comme Senna". » Le duel Alonso-Schumacher ne fait que commencer.

Par Marie-Sandrine Sgherri, lepoint.fr