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Guerre contre l’invasion acridienne en Algérie

lundi 31 mai 2004, par Hassiba

Nonobstant l’effort titanesque déployé en Algérie pour éradiquer le fléau, la menace est toujours là. Omniprésente.

Pas seulement sur les 13 wilayas du Sud et des Haut-Plateaux (Naâma, Adrar, Djelfa, Laghouat, Ghardaïa,...) déjà largement infestées, mais aussi et surtout sur celles du Nord. Déjà que l’on signale des incursions de ces bestioles éminemment nuisibles à Bordj Bou-Arréridj et à Bouira. C’est pour dire que l’objectif des stratèges de la lutte anti-acridienne est de préserver, vaille que vaille, les wilayas du Nord d’une invasion qui serait plus que ruineuse pour l’agriculture. Les cadres du ministère de l’Agriculture, M. Ferroukhi, chef de cabinet du ministère délégué au développement rural, et M. Moumène, chef du poste de commandement central de la lutte anti-acridienne, qui ont accompagné un groupe de journalistes pour une visite guidée au cœur des territoires envahis par les criquets pèlerins, le disent ouvertement.

Quelque 6 milliards de dinars sont dégagés pour les besoins de cet effort de “guerre” dont 80% sont concentrés sur le front Djelfa, Laghouat et Ghardaïa. À Djelfa plus particulièrement. Un couloir que le criquet peut bien emprunter pour pénétrer à M’sila puis dans les autres wilayas du Nord. C’est en arrivant à Hassi Bahbah, à 60 km du chef-lieu de wilaya, qu’on mesure l’importance du phénomène. Du péril aussi. De part et d’autre de la route, une nuée d’insectes voltigent allègrement. Certains d’entre eux, tout comme la grêle, s’écrasent sur le pare-brise du bus, tout sali par un liquide flasque et jaunâtre. Une halte s’impose pour voir de plus près le fameux criquet pèlerin à la funeste réputation. Sur le vaste champ à la végétation déjà peu fournie, certaines bestioles volent tout bas, d’autres sautillent ou titubent ; d’autres encore gisent sur le sol, mortes. C’est une poche de résistance d’une population résiduelle d’ailés matures. À l’aide d’un camion tout-terrain, le champ a subi un traitement la veille avec de l’organo-phosphoré. Pourtant, il y a toujours des survivants ? “Dans les champs de culture, on n’a pas recours à un traitement de choc. On utilise des pesticides dont l’effet est quelque peu lent. Mais c’est une question d’heure. Les criquets survivants ne vont pas résister longtemps”, explique M. Sid Ali Moumène. Les bestioles sont de couleur jaune. On les appelle les ailés matures, le 6e et dernier cycle de développement physiologique du criquet pèlerin.

Le criquet marocain ne vit qu’une génération. Pour M. Khaled Moumène, un enseignant à l’INPV, ces vieux criquets sont moins dangereux que les ailés immatures : une bestiole de couleur rose, ne dépassant pas les 2 grammes mais qui peut dévorer jusqu’à 8 grammes. “Là où passent les ailés immatures c’est la désolation totale. Ils ravagent tout, ne laissant derrière eux que des terrains noirs et arides”, ajoute Khaled Moumène. Il semble qu’ils ont hâte d’atteindre leur pleine maturité sexuelle. Aussi, la lutte anti-acridienne est actuellement à sa phase larvaire. “Il faut absolument empêcher les larves de progresser dans leur développement pour atteindre la phase L5, c’est-à-dire devenir des ailés immatures réputés voraces et ravageurs”, prévient M. Moumène. Tout l’intérêt de la lutte engagée actuellement est là. Pour sauver la saison agricole, il faut absolument éliminer autant que faire se peut toutes les larves. Un pari réalisable ? Personne ne veut s’avancer sur un terrain aussi sablonneux et incertain.
En arrivant à Djelfa, une wilaya à vocation agropastorale, les journalistes ont observé une halte au Haut-commissariat pour le développement de la steppe (HCDS)

Les ailés immatures :les plus dangereux

Le président du poste de commandement de la wilaya brosse un aperçu sur la situation acridienne au niveau de Djelfa, un des éléments les plus importants du dispositif de lutte anti-acridienne. Ce poste est doté de deux hélicoptères, d’un avion et de plusieurs camions. Quelque 7 500 ha sont traités chaque jour avec des camions et 2 000 autres par voie aérienne dans les zones inaccessibles. “La situation est maîtrisée”, rassure-t-il.
Pas moins de 137 867 hectares sont traités, par voie terrestre ou aérienne, sur une superficie de 143 413 hectares infestés. Il ne reste que 4 000 ha à traiter. C’est dans la zone sud de la wilaya (Djebel Lazreg, Sid Makhlouf...) qu’il y a une plus grande concentration de moyens logistiques dans l’espoir de tuer tous les criquets. Pour pondre leurs 60 à 80 œufs, les criquets femelles préfèrent les terrains sablonneux et humides et ce, deux fois par cycle.
De là, on a directement regagné Medjbara où est implanté un projet de barrage vert. Une piste départage des champs de blé et d’orge de quelques arbrisseaux de pins d’Alep. Les lieux ont subi un traitement de choc la veille. Autour des pieds des arbrisseaux, sont regroupés des criquets inanimés.
À croire que cet insecte grégaire souffre de mourir isolé de son espèce. Même morts, les criquets préfèrent se regrouper en essaim. L’odeur des pesticides agresse les narines et les yeux. Selon les services agricoles de la wilaya, la population est avertie du danger de se rapprocher des terrains ayant subi des traitements.
Qu’en est-il des intervenants, des guerriers, qui côtoient 12 heures durant quotidiennement, depuis plus de 2 mois, et le traitement et le criquet pèlerin ? Ne courent-ils pas des risques sur leur santé ? Selon M. Ferroukhi, depuis le début de la lutte anti-acridienne, quelque 600 intervenants ont subi des tests de cholinestérase. Une trentaine d’entre eux ont été éloignés de cette campagne. Pour les agents des forêts, les agriculteurs sont très inquiets. Le spectre du précédent de 1988 est encore présent chez eux. Cette année-là, l’invasion acridienne avait fait subir des ravages à la région.

Direction GhardaÏa

Finie l’escale de Djelfa, on a regagné droit la ville de Ghardaïa. De vastes étendues steppiques, de moins en moins verdoyants et de plus en plus désertiques à mesure qu’on se rapproche du pays mozabite, s’offrent à la vue. En allant vers Berriane, les rebords de la chaussée sont d’un vert jaunâtre : des criquets écrasés par des véhicules. Arrivé à Soudan, un lit d’oued, à quelques kilomètres de Berriane, une équipe de l’INPV (Institut national pour la protection des végétaux), à bord d’un camion tout-terrain doté d’un engin à canon, s’adonne, avec un pesticide appelé D’cis, au traitement de choc d’un terrain parsemé de touffes de végétation. à une centaine de mètres de là, une palmeraie. Habillés d’une combinaison bleue, traversée par un ruban jaune le long des épaules, les intervenants sont munis de masques et de gants. L’un d’entre eux nous dira que c’est pour empêcher l’infestation de la palmeraie qu’on veut assainir les lieux de cette présence acridienne. De petits criquets sursautent en chancelant. “Regardez, c’est rapide. Le D’cis a un effet de choc. Cinq minutes après sa propagation, les insectes commencent à tituber et à perdre le sens de la direction. Trois minutes après, ils meurent”, explique M. Moumen.

On quitte, le lendemain, lundi, tôt le matin, la ville de Ghardaïa à bord de 4X4 sous bonne escorte de gendarmes. Cap sur la commune de Metlili. à la sortie de la ville mozabite, au loin, le ksar de Béni- Yezguen, tel un mamelon, se réveille péniblement. Au sommet, une mosquée de couleur ocre. Au lieudit Oued Drin, à 21 km du chef-lieu de wilaya, une équipe d’intervenants nous attend sur place. à leur tête, un ingénieur agronome venu de Tizi-Ouzou. Coiffé d’une casquette et portant une barbe de quelques jours, cet homme du terrain s’évertue à dispenser son “savoir acridien” aux néophytes que nous sommes. C’est que pour les besoins de cette lutte anti-acridienne, nombre de personnes travaillant dans le secteur de l’agriculture sont réquisitionnées. Les vastes contrées désertiques sont traitées la veille et l’avant-veille avec de l’Asmitron. “Une fois le pesticide déversé, les bestioles, des L4 et L5 ne mangent plus. Elles se cachent et meurent 48 heures après”, explique notre ingénieur qui mène la guerre au criquet-pèlerin depuis presque trois mois. Le traitement se fait tôt le matin ou tard l’après-midi. En ces moments-là, les criquets se regroupent. “On intervient dès qu’on nous signale un foyer acridien. L’efficacité du produit est de 95 %. Nous avons assisté à un phénomène de cannibalisme chez le criquet. Quand il y a du vent, les bestioles se cachent et nous, nous ne travaillons pas. L’efficacité du produit diminue d’au moins 70%”, ajoute l’ingénieur.

Des dégâts maîtrisés

Pour ce dernier, “les résultats sont excellents”. De Oued Drine, on a rejoint directement la commune de Mansourah. Quelques kilomètres après, incursion dans une propriété privée de 80 ha, un petit éden dans un océan désertique. Au milieu une hutte. La terre étant très fertile dans ce lit d’oued, tout pousse miraculeusement : des palmiers, du melon, des arachides, des pommiers, des grenadiers, des vignobles,... Les propriétaires, dotés d’un matériel de sécurité et de pulsateurs, traitent eux-mêmes leurs fermes. On se targue ici à Ghardaïa de cette prise en charge personnelle des agriculteurs. Et bien qu’on se soit pris un peu tard pour lutter contre cette menace acridienne, les dégâts sont très minimes. Certains déplorent le peu d’expérience des intervenants dans la lutte anti-acridienne. D’autres, à l’image du président du poste de commandement de wilaya, M. Trichine, un homme d’une grande sagesse, se plaint du peu de moyens engagés dans cette lutte au niveau de Ghardaïa. Ceci n’a pas empêché les équipes combinées d’intervention (INPV, forêts, protection civile,...), elles sont au nombre de 46 à traiter des surfaces infestées de plus de 58 334 ha. Au cours de l’après-midi, le wali de Ghardaïa a reçu tous les journalistes au siège de la wilaya. Après quoi, on a pris le chemin vers Hassi-R’mel pour y passer la nuit. Un arrêt est observé à la sortie de Berriane au niveau d’une ferme qui a subi bien des dégâts. Les figuiers, dénudés, affichent piteusement leur feuillage ravagé. Un intervenant a soutenu qu’il leur arrivait d’être empêchés de traiter le criquet. La raison ? Certains les recueillent dans de grands sacs pour les vendre à El-Oued, à raison de 200, 300 et même 600 DA le kilogramme. Comme quoi, le malheur des uns...

Le jour d’après, c’est-à-dire mardi, tôt dans la matinée, nous prenons la route vers Laghouat. Cette fois-ci, les journalistes auront droit à un exercice relatif à la lutte par voie aérienne qui ne représente que 14% du dispositif de lutte antiacridienne. Le travail commence à 5 heures du matin pour prendre fin 3 ou 4 heures après. Un hélicoptère survolait à une hauteur de 2 ou 3 m, un large terrain dépourvu de verdure, sur lequel il déversait des pesticides. Les pilotes sont des étrangers. Selon un intervenant, les pilotes sont payés à 120 000 DA l’heure de travail. Ce qu’ont démenti les cadres du ministère. Mais, ils ont eu des contrats de plus de deux centaines d’heures par mois. Dans les parages du terrain traité, un homme éloigne son troupeau d’ovins et de caprins. Et si le troupeau vient y paître après la fin de l’opération ? “Ils risquent une diarrhée. Pas plus”, rassure M. Moumen. Un cadre de la DSA soutient avoir averti la veille les éleveurs.

A coup sûr, un effort phénoménal est déployé aussi bien par le ministère de l’agriculture que par les intervenants. Une enveloppe de 6 milliards de dinars est dégagée pour les besoins de cette lutte. L’Algérie s’apprête à recevoir d’énormes quantités de pesticide pour mener au mieux la campagne automnale. Pour autant, la menace est-elle définitivement éliminée ? Pas si sûr que ça. On s’inquiète même, surtout avec les dernières pluies, du développement rapide des pontes de larves. Le criquet pèlerin ne quittera l’Algérie qu’à la fin du mois de juin pour rejoindre, à la faveur d’un climat tropical, la Maurétanie, le Sénégal, etc. Le risque de son retour est grand lors de la prochaine période automnale. “Le phénomène criquet est très complexe”, nous a déclaré l’ingénieur agronome cité plus haut. Une phrase qui sonne juste.

Par Chih Arab, Liberté