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L’Etat algérien "responsable mais pas coupable" des disparitions des années 1990

samedi 2 avril 2005, par Hassiba

Les éléments des forces de sécurité algériennes sont responsables, à titre individuel, de 6 146 cas de disparitions de civils au cours de la décennie de violence enclenchée au début de l’année 1992 à la suite de l’annulation d’élections emportées par le Front islamique du salut.

Le chiffre est contenu dans un rapport d’une cinquantaine de pages remis, jeudi 31 mars, au président Abdelaziz Bouteflika par Me Farouk Ksentini, président d’une commission consultative sur les droits de l’homme relevant de la présidence de la République. La décision de publier ce document dépendra de la présidence, mais ses principaux éléments sont connus.

Il confirme la tendance officielle à ne plus nier la réalité des disparitions forcées mais à mettre l’accent sur des dérives "individuelles" d’agents chargés de la sécurité dans un contexte de violence extrême. Me Farouk Ksentini a de nouveau déclaré que l’Etat algérien était "responsable mais pas coupable", et que durant ces années troublées par une guerre âpre entre les groupes armés islamistes et les services de sécurité algériens, qui a fait officiellement 150 000 morts, "le premier disparu était bel et bien l’Etat". Ces propos ont suscité une vigoureuse réaction de Me Ali Yahia Abdenour, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (Laddh), qui a accusé l’auteur du rapport de n’être qu’un "chargé de mission" du pouvoir qui "pollue les droits de l’homme".

Cette première reconnaissance officielle de disparus du "fait d’agents de l’Etat", qui admet une responsabilité civile de l’Etat tout en récusant une responsabilité pénale, s’accompagne de la fin d’une ambiguïté officielle qui assimilait les disparus aux terroristes islamistes. M. Ksentini y voit une "réhabilitation de la mémoire des disparus". Son rapport recommande que les familles de victimes reçoivent une indemnisation et que celles qui récusent cette option puissent recourir à la justice.

Les disparus ­ 18 000 selon la Laddh, tandis que l’association SOS-Disparus affirme détenir 7 200 cas documentés ­ hantent la vie publique en Algérie. Des mères de disparus organisent chaque mercredi un regroupement au niveau de la place Addis-Abeba, devant le siège de la commission consultative de Farouk Ksentini.

Après de nombreuses hésitations, le président algérien avait installé, le 20 septembre 2003, un "mécanisme ad hoc de prise en charge de la question des disparus" et en a confié la présidence à Me Ksentini. Sa mission était limitée à préconiser des solutions et elle n’avait pas vocation à être une commission d’enquête qui se substituerait "aux autorités administratives et judiciaires compétentes". Dénoncée par les organisations de familles de disparus comme un outil pour "liquider le dossier" et imposer la solution par l’indemnisation, la commission Ksentini a surtout collecté les dossiers de disparus et demandé des réponses aux services de sécurité incriminés.

Me Ksentini, lui, a toujours plaidé en faveur du projet d’amnistie générale, qui doit être soumis à référendum dans le courant de l’année par le président Bouteflika. Il s’agit, selon l’avocat, de la "meilleure solution pour tourner la page". L’amnistie, a-t-il précisé, "profitera également aux agents de l’Etat qui ont commis des dépassements : il n’y a aucune raison de les exclure". Ces déclarations ont provoqué la fureur des associations de familles de disparus et de la Laddh, qui accusent le pouvoir algérien de vouloir consacrer "l’impunité" et d’"acheter le silence des familles", le plus souvent de condition modeste.

Me Ksentini a parfois accusé les associations de familles de disparus de "politiser" le sujet alors que, selon lui, 75 % d’entre elles acceptent le principe de l’indemnisation. Les protestations prévisibles des familles de disparus ­ ainsi que celles des victimes du terrorisme ­, qui réclament la "vérité, la justice, avant le pardon", risquent cependant de ne pas peser lourd.

Le rapport de Me Ksentini s’inscrit clairement dans le projet d’amnistie générale du président algérien. Deux jours avant de recevoir le rapport, devant 1 200 participants à une conférence nationale sur la réforme de la justice, M. Bouteflika a averti les familles de victimes du terrorisme et les familles de disparus qu’il y avait "un tribut à payer" pour la réconciliation nationale et qu’elles auront à céder de leurs "droits pour sauver le pays et le sauvegarder".

Source : lemonde.fr