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L’Irak ou la construction de la démocratie sans la liberté

mardi 30 novembre 2004, par Hassiba

Qui se souvient encore que le conflit en Irak a pour origine une intervention étrangère, suivie d’une occupation militaire et d’une prise de contrôle des centres névralgiques d’un Etat souverain ? Personne ou presque, semble-t-il.

La conférence de Charm El Cheikh n’est pas le premier événement laissant entendre que le fait accompli est désormais un fait non seulement incontesté, mais normalisé. L’ensemble des résolutions adoptées depuis le 1er mai 2003 ont rempli cette fonction. Cependant, combien seront-ils, dans quelques mois, à rappeler que les forces internationales étaient avant tout des forces d’occupation ? De mystérieux groupes armés usant de la violence non sélective contre des soldats étrangers aussi bien que de simples civils irakiens seront-ils les seuls à rappeler l’histoire telle qu’elle a commencé ?

Avec Charm El Cheikh, les Etats-Unis ont considérablement élargi le soutien qu’ils obtenaient déjà au niveau du Conseil de sécurité. Dans cette instance de 15 membres, ils ont fait voter les résolutions qui ont, d’une façon ou d’une autre, légitimé a posteriori l’intervention américaine. La dernière en date est la résolution 1546. Elle proposait le réexamen du mandat des troupes internationales fin 2005 et la tenue d’élections le 30 janvier de la même année. Les élections sont réellement la priorité des Etats-Unis et du gouvernement qu’ils ont désigné.

Quand la forme supplante le fond

Même s’ils n’ont pas encore défini toutes les modalités du scrutin et malgré la violence persistante, ledit gouvernement affirme pouvoir respecter le calendrier. Ainsi, l’endroit où aura lieu le décompte des voix, le temps que celui-ci prendra et la manière dont seront impliqués les observateurs internationaux sont autant de points d’interrogation. Selon les estimations « officielles », 12 millions d’électeurs participeront à l’élection d’une Assemblée nationale de 275 membres, soit à peine moins que la moitié de la population irakienne. Qui a établi cette estimation ? Comment est-on parvenu à cette conclusion ? Questions d’autant plus opportunes que le recensement national de la population prévu le 12 octobre a été annulé. Les électeurs devront donc présenter leurs coupons de rations alimentaires, hérités du programme pétrole contre nourriture pour être autorisés à voter. Leur enregistrement a commencé le 1er novembre et se poursuivra jusqu’au 15 décembre. Les seuls autres détails techniques précisés concernent la présentation des candidatures à la commission durant le mois de novembre moyennant une participation financière de 5 000 dollars. Chaque parti a présenté une liste comprenant entre 12 et 275 candidats, avec une femme tous les trois noms pour faciliter leur éligibilité. Les candidats ont été contraints de justifier qu’ils n’ont aucun lien avec les nombreux groupes armés. Le nombre de sièges obtenu en définitive sera proportionnel au résultat du parti à l’échelle nationale.

Depuis le 23 novembre dernier, le soutien international à la coalition est donc devenu quasi unanime, comprenant les pays voisins de l’Irak, les Nations unies, l’Union européenne, la Ligue arabe et la Conférence islamique qui ont tous paraphé la déclaration finale. Les ministres algérien, bahreïnien, britannique, canadien, égyptien, français, allemand, iranien, italien, japonais, jordanien, koweïtien, néerlandais, russe, saoudien, syrien, tunisien, turc et, bien sûr, irakien et américain étaient présents dans la station balnéaire de la mer Rouge. Pour le gouvernement irakien, cette conférence a permis à la communauté internationale « de régler les différends et d’adopter une position unifiée sur deux points : le soutien au processus politique en Irak et la condamnation de la violence et du terrorisme ».

Le « pluralisme » en pays occupé

Ledit processus politique évolue dans un contexte sécuritaire pour le moins délétère. Le Premier ministre, Iyad Allaoui, a même été contraint de décréter, le 7 novembre 2004, l’état d’urgence sur tout le territoire irakien à l’exception du Kurdistan et ce, pour une période de soixante jours. Ce décret accorde au Premier ministre des pouvoirs très étendus, allant de l’imposition du couvre-feu au lancement de mandats d’arrêt, en passant par la dissolution d’associations, la restriction des déplacements et les écoutes téléphoniques. Une campagne électorale pluraliste est-elle possible dans des conditions aussi restrictives des libertés individuelles et politiques ? La question ne vaut peut-être pas la peine d’être posée dans la mesure où, pour nombre d’« hommes politiques » irakiens, la seule garantie efficace est le maintien des troupes américaines.

« La présence militaire des Etats-Unis en Irak est une nécessité jusqu’au moins la tenue des premières élections démocratiques, et je pense que ce processus doit prendre deux ans », a affirmé Ahmad Chalabi, chef du Congrès national irakien. De confession chiite, il estime que les partis religieux islamiques pourraient avoir un rôle dans les politiques de l’Irak après la guerre. Est-ce une façon pour lui de tenter un rapprochement avec les groupes proches du clergé ? Cette hypothèse est plausible dans la mesure où, tout en prétendant « ne pas chercher une position politique », il précise : « En ce moment. » Attend-il son moment ? Tentera-t-il de profiter du départ de Colin Powell dont on dit qu’il était opposé à la promotion politique de Chalabi ?

Du côté de l’un des plus anciens partis d’opposition, le Parti communiste irakien (PCI), le discours est clair et les priorités tout autant. Ainsi, il s’est opposé à l’intervention américaine en Irak tout en étant opposé au régime de Saddam Hussein. Aussi, c’est logiquement qu’il réclame le retrait des troupes, qu’il désigne comme des forces d’occupation, la remise du pouvoir à une administration temporaire des Nations unies dont la tâche première sera d’organiser et de superviser une conférence dans laquelle siégeront les représentants des forces du peuple irakien, leurs partis politiques, afin de trouver un accord permettant de mettre en place et d’orienter le gouvernement de coalition. Rappelons que le journal du PCI, la Voie du peuple, à Baghdad, a été le premier nouveau journal à être publié dans le pays depuis la chute de Saddam Hussein.

Au lieu et place de l’organisation d’élections précipitées et faussées par la partialité des organisateurs et la poursuite des combats, Claude Roquet estime que le Conseil de sécurité devrait prévoir le remplacement graduel de la coalition par des forces irakiennes qu’il faudra constituer et que viendrait appuyer une force de l’ONU. Celles-ci seraient constituées principalement de pays musulmans dont seraient exclus les Etats voisins de l’Irak, trop directement intéressés, ainsi que les membres de la coalition. La force de l’ONU interviendrait parallèlement aux forces de la coalition et non sous leur autorité, tant que leur présence à toutes deux coïnciderait sur le territoire irakien.

Quant aux groupes armés, évidemment opposés à la tenue de ce scrutin, ils apparaissent réduits volontairement à un seul groupe, Tawhid wal Jihad (Unification et guerre sainte), et à une personne, Abou Moussab Al Zarqaoui. Et pourtant ! Le Washington Post lui-même reconnaît que l’image de Zarqaoui est « surfaite » et que, fort de quelques centaines de combattants, il ne peut avoir un pouvoir de nuisance aussi grand. Pas de quoi mettre un pays à feu et à sang. D’où l’affirmation d’un agent américain : « Nous payons jusqu’à 10 000 dollars des opportunistes ou des criminels qui ont fait de Zarqaoui le pivot de la moindre attaque en Irak. » Sami Ramadani, exilé irakien travaillant pour le quotidien britannique The Guardian, affirmait en octobre 21004 que « ces derniers mois, 2 700 attaques ont été répertoriées et seules six d’entre elles ont été revendiquées par Zarqaoui. Six qui ont fait la une des médias ». Et d’ajouter : « De même que 25 millions d’Irakiens avaient été réduits, dans l’opinion publique, à la peur des armes de destruction massive, la résistance est maintenant réduite à un seul voyou. »

Par Louisa Aït Hamadouche, latribune-online.com