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L’axe irano-syrien défie ouvertement l’alliance Washington - Tel-Aviv

dimanche 20 février 2005, par Hassiba

Guerre civile « acte II » au Liban ? La vague sur laquelle ont surfé les alarmistes, le temps de l’enterrement d’El Hariri, a eu vite fait de s’aplanir. L’unité nationale est restée de glace, rappelant la maturité dont les Palestiniens ont fait preuve au lendemain de la mort d’Arafat.

Non seulement les Libanais se serrent les coudes mais apposent leurs signatures sur une même pétition dans laquelle ils réclament la démission du gouvernement pro-syrien de Omar Karamé. « C’est en se mobilisant que les Ukrainiens ont réussi à rejeter la violence. Pourquoi pas nous ? » songent-ils en chœur. La prière de la démocratisation est dite haut et fort, filant telle une traînée de poudre à travers un Occident décidé à mettre terme au décalage démocratique entre pays du Moyen-Orient.

L’assassinat de Hariri a fait déborder le vase plein. Désormais, Washington ne supportera plus qu’on vienne gripper sa machine diplomatique qui tourne à plein régime. Le succès mitigé des élections en Irak et l’éclaircie dans le ciel du Proche-Orient sont des gains que l’administration Bush n’est pas près de perdre de sitôt. Le rappel de son ambassadrice de Syrie dit presque tout sur la radicalisation de son attitude vis-à-vis desdits pays durs de la région.

L’axe syro-iranien, lui, se contente d’évoquer une guerre psychologique que lui livre l’ennemi outre-Atlantique. Mais celui-ci démontre au fil des pressions qu’il ne compte pas en rester là ; le régime d’El Assad fils constatera le rétrécissement de l’éventail de ses choix s’il ne prend pas de décisions rationnelles, avertit W. Bush. Soit, le retrait de ses 14 000 hommes du Liban où l’opposition anti-syrienne est en train de refaire peau neuve. La Syrie ne sera pas jugée que sur cette « pièce ». Il lui faudrait encore renvoyer de chez elle les organisations palestiniennes armées et les baathistes irakiens qui poursuivraient leur « harcèlement » déstabilisateur du processus politique dans l’ancienne Mésopotamie. Le rendez-vous est pris entre transatlantiques à Bruxelles. Américains et Européens se retrouveront la semaine prochaine pour discuter des suites à donner à la tentative de plonger le Liban dans le chaos. Bien que des divergences existent encore sur le volet irakien, il ne semble plus question de se tourner le dos. Sylvan Shalom a eu toutes les garanties de Paris quant à la sécurité d’Israël. Celles de Washington y vont de soi.

Demeure toutefois le point sensible du Hezbollah sur lequel ils n’arrivent toujours pas à s’entendre. L’affaire est complexe et demande un traitement dans un contexte régional, expliquera Jacques Chirac. Son homologue américain tient là un bon argument pour convaincre la France d’inscrire la formation libanaise sur la liste européenne comme organisation terroriste. Le fait que les deux capitales demandent une enquête internationale sur les circonstances de l’assassinat d’El Hariri prouve au moins le rapprochement de leurs visions. Entre-temps, l’administration de Tel-Aviv fait le forcing à propos des commanditaires de l’attentat de Beyrouth. Ses services du renseignement sont de l’avis que le Hezbollah se cache derrière ce coup de force dont l’objectif est de mettre le feu à la frontière nord d’Israël.

Des analyses estiment que cette quasi-certitude de l’Etat hébreu sert parallèlement les intérêts de Washington qui tenterait de diminuer l’influence du chiisme dans la région. Et cela pour ne donner aucune chance à l’avènement d’un Etat irakien islamique qui profiterait à l’Iran voisin. Le Shin Beth avait auparavant dénoncé l’existence d’un circuit Iran-Syrie-Hezbollah qui connaît de véritables noces au rythme des pressions qu’exerce l’axe Washington - Tel-Aviv en particulier. « Si j’étais le leader israélien, je m’inquiéterais aussi du développement de l’arme nucléaire en Iran », a déclaré George W. Bush. Et d’ajouter : « Israël est notre allié. Nous le défendrons s’il est menacé sécuritairement. »

De quoi réconforter le gouvernement Sharon qui vient d’annoncer que les grands blocs de colonies de Cisjordanie feront partie de l’Etat d’Israël comme le lui avait promis le pays de l’Oncle Sam. Clairement, il n’est pas question de revenir aux frontières de 1967. S’agit-il d’une manœuvre de la part du chef du Likoud pour calmer les esprits dans le camp des colons extrémistes ? Son retrait négocié de la bande de Ghaza assez difficile à négocier comme ça, Sharon doit gérer d’autres soucis actuels. Malgré les assurances de Moscou à propos de la vente de missiles au régime syrien -le Kremlin a garanti à l’Etat hébreu que les engins ne tomberont pas aux mains de forces occultes-, Israël garde ses dents serrées. S’y ajoute la récente conviction du gouvernement Poutine que Téhéran ne cherche pas à acquérir la bombe atomique. L’assassinat d’El Hariri permet ainsi de rebondir et de crier au loup aux portes de sa bergerie alors que le gouvernement Moubarak tentait de convaincre Damas d’empêcher les groupes palestiniens armés de continuer leurs hostilités anti-israéliennes. Le Hamas a même suggéré à la Jordanie de ne pas envoyer d’ambassadeur à Tel-Aviv à la veille de sa rencontre avec ses frères du Djihad islamique.

Face aux plaidoyers occidentaux qui l’acculent de toute part, le régime syrien lâchera-t-il du lest ? Pas si avéré, les mollahs lui apportant un soutien indéfectible lors de la visite du Premier ministre syrien, Mohamed Naji Otri. « Nous respectons les Syriens qui se trouvent en première ligne du combat contre le régime sioniste et nous saluons leur lutte légitime pour recouvrer leurs territoires occupés », a déclaré le président réformiste Khatami en faisant référence au plateau du Golan. L’Etat hébreu maintient sa position à ce sujet ; les négociations syro-israéliennes ne reprendront qu’une fois Damas en parfaite conformité avec les exigences de la communauté internationale. Le président iranien apportera aussi son appui à la résistance au Liban avant de glorifier la lutte des Palestiniens pour l’indépendance. En annonçant l’annexion des grands blocs de colonies en Cisjordanie -un non-retour confirmé aux frontières de 1967-, Ariel Sharon ne vient-il pas en porte-à-faux des efforts US contre l’axe du mal ? L’islamisme radical récupérerait la cause palestinienne qu’il est en train de perdre avec le dégel dans les relations palestino-israéliennes. Des politologues pensent tout le contraire ; tout en poussant à la décrispation sur le plan interne, fronde des colons oblige, Sharon offre sur un plateau d’argent à son ami Bush de quoi prolonger sa guerre idéologique.

Ce choc civilisationnel entre Islam et Occident dont Condi Rice ne veut pas entendre parler. La République islamique d’Iran préfère, elle, aplatir les coutures. Elle compte recruter des pays pour former une alliance stratégique avec la Syrie et créer un front islamique contre l’axe Washington - Tel-Aviv. Cette démarche défensive contre la dislocation du monde arabo-musulman, derrière lequel l’Etat juif court toujours, ne viendrait-elle en retard ? Surtout que la plupart de ces mêmes pays font à présent partie de la coalition mondiale contre le terrorisme international. Bien que la décision des Iraniens tienne de la déclaration de guerre, des spécialistes du Moyen-Orient voient mal comment Téhéran s’arrangera pour faire aboutir son projet de « Front islamique uni ». D’autres jugent la démarche hasardeuse, les mollahs tenteraient de desserrer l’étau au sujet du nucléaire iranien tandis que le spectre d’un transfert de ce dossier devant le Conseil de sécurité se précise davantage. La ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie, s’est déclarée « préoccupée » face à l’attitude de l’Iran en matière nucléaire, tout en excluant toute intervention autre que celle de la diplomatie. Celle-ci est également prônée par Washington, sachant pertinemment que le trio européen finira par jeter l’éponge face à la détermination des mollahs de ne jamais renoncer à leurs ambitions nucléaires. Strictement civiles, ressassent-ils à tout bout de champ.

Mission première pour l’administration Bush II : poursuivre la lutte contre le terrorisme en espérant parvenir à démembrer l’axe irano-syrien par le biais d’un resserrement prochain des rangs transatlantiques. La non-(re)considération, pour l’instant, par l’Europe des vingt-cinq de ses relations avec la Syrie vaudra-t-elle un autre délai de grâce pour le régime de Bachar Al Assad ? « Ni les Etats-Unis ni nos alliés ne peuvent se permettre de laisser la Syrie en roue libre », estiment des sénateurs républicains et démocrates. La sentence risque de tomber dans les semaines à venir, Mme Rice envisage d’isoler la Syrie en priant le représentant diplomatique de Damas de quitter Washington. Les résultats de l’enquête sur l’assassinat d’El Hariri provoqueraient la grande saignée.

Par Anis Djaad, La Tribune