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L’information : la machine de guerre américaine

mardi 8 février 2005, par Hassiba

Ce sont des élections inédites car pluralistes dans un pays qui a vécu sous le système du parti unique ces trente dernières années. Ce sont également des élections stratégiques car constituant un test clé pour la politique américaine en Irak et dans l’ensemble du Grand Moyen-Orient.

Ce sont, enfin, des élections intéressantes scientifiquement car expérimentant le processus appelé « construction de la paix » (peace building) dans un contexte culturel considéré par beaucoup comme inapte à la démocratie.Et pourtant, que retiendra-t-on des élections tenues le 30 janvier 2004 en Irak ? Des reportages filmés par des journalistes de divers bords ? Non, il ne reste quasiment plus de reporters sur le terrain. Retiendra-t-on des chiffres provenant des observateurs internationaux ? Pas davantage car il n’y avait pas d’observateurs neutres. Se souviendra-t-on d’une campagne ponctuée de débats contradictoires et libres ? Certainement pas puisque le pays est sous occupation militaire et que le débat se limite à être avec ou contre les forces multinationales.Il restera alors quelques images soigneusement choisies et diffusées en boucle sur les télévisions qui auront brillé par leur absence. Difficile, en effet, de rester indifférent devant une image ne provenant pas de Baghdad mais de là où le sort de l’Irak est scellé, Washington. En toile de fond du discours de George W. Bush sur l’état de l’Union, les caméras se sont attardées sur deux femmes tombant dans les bras l’une de l’autre. L’une est une militante irakienne des droits de l’Homme, dont le père est mort sous le régime de Saddam Hussein, l’autre est la mère d’un soldat américain tombé au combat, sur le champ de bataille de Falloudjah

Malgré le triple intérêt (interne, international et scientifique) que les élections en Irak revêtent, un acteur clé a manqué à l’appel : les médias. En l’absence quasi totale d’envoyés spéciaux, l’information sur l’Irak se limite aux attentats imputés à Al Qaïda, aux opérations militaires de l’armée américaine et aux déclarations officielles des autorités américaines et irakiennes.Supposés être l’œil du monde au cœur du cyclone, les médias ont choisi la sécurité et sacrifié l’information. La plupart d’entre eux ont préféré éviter les risques et s’enfermer dans les salles de rédaction, les yeux rivés sur les téléscripteurs et les chaînes de télévision... américaines. Au début de l’invasion, nombreux sont ceux qui avaient critiqué l’ensemble de la politique médiatique de la guerre. Le premier grief a évidemment été l’enrôlement de journalistes soigneusement sélectionnés. Aujourd’hui, ces derniers constituent presque l’unique source d’information. Dans ce schéma, les médias du monde ne sont plus des acteurs, mais des objets. Ils ne transmettent plus l’information, mais participent, malgré eux, à la désinformation. Ils ne couvrent plus une guerre, mais y sont partie prenante. Ils sont partie prenante de la guerre de l’information, dont nous verrons plus loin la définition, les tenants et les aboutissants.

Du journalisme coopté...
La participation des médias dans l’intervention militaire contre l’Irak a commencé avec la guerre de l’information menée pendant des mois en direction de différents acteurs. Le premier est l’armée américaine dont le rôle est résumé dans la doctrine militaire : protéger la Constitution des Etats-Unis et par conséquent les valeurs qu’elle véhicule (liberté, démocratie...). Autrement dit, les médias ont transmis l’idée selon laquelle les Etats-Unis n’interviennent pas en Irak pour ses réserves pétrolières, mais parce que le régime en place menace directement la Constitution américaine. L’US Army se doit alors d’intervenir au nom des démocraties en danger et de protéger les Etats de la région.

L’opinion publique américaine a, elle aussi, eu droit à un matraquage médiatique à travers la diabolisation du dictateur irakien et le rappel des exactions commises (persécutions, répression de la minorité kurde, liens présumés avec le réseau Al Qaïda, ADM). Saddam Hussein était devenu l’incarnation du Mal absolu et toute opposition à son élimination est une position antipatriotique. Les pays hostiles à une intervention américaine en Irak ont été la cible d’une campagne destinée à discréditer leurs leaders en les assimilant à des alliés ou des amis du dictateur. Un pays allié comme la France a été qualifié de pays hostile. Les pays favorables ou neutres se sont vus récompenser pour leur soutien à l’instar de la Turquie qui a bénéficié de soutiens économiques pour compenser les pertes causées par la guerre et le non-envoi des troupes turques au nord del’Irak. A l’endroit des Irakiens, les Etats-Unis ont utilisé Radio Free Irak pour promouvoir des émissions de propagande contre le régime baasiste. Depuis l’automne 1998, les services de renseignement américains ont produit des émissions de propagande à destination de l’Irak et de l’Iran. Ainsi Radio Free Irak et Radio Liberty sont-elles des structures à but non lucratif financées par le Congrès américain qui ont été créées au début des années 1950 en pleine guerre froide. La station qui émettait à ses débuts depuis Munich en Allemagne a été transférée en 1995 à Prague au cœur de la République tchèque. L’Irak a pris le relais.

...au journalisme incorporé
La deuxième étape d la cooptation s’est déroulée à partir de l’invasion. « La première défaite est survenue avec la notion de “journaliste incorporé” ou embedded. De leur propre aveu, ces journalistes ne voyaient rien d’autre du théâtre des opérations que la ligne de mire des fusils de leurs hôtes », regrette Richard Werly dans le Temps. Avec la prolifération des attentats, les quelques journalistes encore sur le terrain ont trouvé dans les casernes et l’incorporation une protection vitale. Résultat, « la militarisation de la couverture journalistique de l’Irak devait être l’exception. Elle est devenue la norme ». La seconde défaite, poursuit le journaliste, est liée aux enlèvements et assassinats dont sont victimes les reporters. Cet acharnement a fini par classer l’Irak comme un pays « impraticable », tuant ainsi toute démarche visant la vérité, la nuance et la relativisation. Il découle de cette seconde défaite une troisième, celle de la presse écrite qui se voit totalement écrasée par la télévision relayant les mêmes images. La quatrième défaite que l’on pourrait ajouter à cette liste qui s’allonge tient de la marginalisation des enjeux stratégiques « oubliés » sous les bombes. Ainsi ne parle-t-on plus des prémices d’une présence militaire américaine permanente avec la construction achevée de 4 bases militaires.

Sur le plan économique, relève Antonia Juhasz, le ministre irakien des Finances, Abdel Mahdi a annoncé, le 22 décembre 2004, son intention de promulguer une nouvelle loi sur le pétrole afin d’ouvrir la compagnie pétrolière nationale de l’Irak aux investissements privés de l’étranger. Plus important, les étrangers auront accès aux investissements pétroliers en aval et « peut-être aussi en amont ». Autrement dit, les étrangers pourront vendre le pétrole irakien et en être les propriétaires avant même qu’il soit pompé. Autre fait important à signaler, Abdel Mahdi a participé aux élections du 30 janvier comme candidat du Conseil suprême de la Révolution islamique (CSRI), le principal parti politique chiite. De plus, la liste des partis politiques dont fait partie le CSRI de Mahdi, l’Alliance des Irakiens unis (AIU), comprend également le Conseil national irakien. Or, le CNI est dirigé par un proche allié de l’administration américaine, à savoir, Ahmed Chalabi. Voilà le genre d’informations que les journalistes incorporés ne s’empressent pas de répercuter.

Par Louisa Aït Hamadouche, La Tribune