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La plus pauvre commune d’Algérie cherche des écoliers

samedi 25 septembre 2004, par Hassiba

En cette mi-septembre, El-Djazia, une localité perdue à 60 kilomètres d’Oum El-Bouaghi sur la route de Tébessa, n’est pas dans ses meilleurs jours.

À un kilomètre du centre du village, chef-lieu de commune, El Karia, un petit village dont les constructions à un seul niveau donnant sur la route principale sont vides de leurs occupants. Les constructions sont dans leur majorité éventrées. D’autres portent encore les traces d’incendie. Un chien errant inspecte les lieux. La brume et une pluie fine mais insistante, ainsi que le souffle du vent qui brise de temps à autre le silence qui règne dans ces lieux en ce mois automnal vous donnent la chair de poule.
El-Karia est un lieu-dit que ses habitants ont, un jour d’été 1995, quitté. Presque dix ans après, les anciens habitants d’El Karia et la nouvelle génération croient toujours que les lieux sont maudits. Beaucoup d’entre eux portent toujours les séquelles d’une nuit d’horreur. Crises d’hystérie de femmes, cris d’enfants horrifiés et supplices d’hommes que les sanguinaires à la barbe au henné passaient au couteau hantent toujours l’esprit des témoins de cette tragédie.

Rentrée scolaire : Dans l’attente des écoliers
À El-Djazia, le terrorisme et la pauvreté tuent. Dans certaines classes, plus de la moitié des élèves sont orphelins d’un des parents. À telle enseigne que ici, si on est un “moauiz” (nécessiteux), c’est un moindre mal lorsque la moitié des scolarisés sont des orphelins et des enfants victimes de terrorisme.

Une semaine après la rentrée officielle des classes, les écoles d’El-Djazia sont toujours à la recherche de leurs écoliers. La première semaine, le taux d’absentéisme dans certaines classes a atteint 85%. “Ici, on ne commence jamais l’année scolaire en septembre comme on ne commence jamais la journée d’étude à 8 h du matin”, nous explique un enseignant originaire de la localité voisine de Meskiana. Comme dans tout le pays, à El-Djazia en cette rentrée scolaire, on discute aussi de “el minha”, la prime de scolarité. Mais le contexte est tout autre. Pour cette commune relevant de la daïra de Dalaâ, wilaya d’Oum El-Bouaghi, l’État a donné 254 primes pour un ensemble de 594 élèves scolarisés, soit 42 % des besoins dans une commune déclarée 100% pauvre. Cette prime, ici à El-Djazia, n’est pas conçue comme ailleurs. C’est une prime d’encouragement à la scolarisation et non d’aide à faire face aux dépenses inhérentes à la rentrée. L’exemple de l’école Belkhadra-Amara est édifiant. L’établissement a bénéficié de 142 primes qui sont allées à 48 enfants victimes de terrorisme, 25 orphelins, 68 nécessiteux et 1 handicapé.
C’est un cas spécifique à la localité et qui renseigne sur l’ampleur du drame humain que le terrorisme a commis à El-Djazia. Plus de la moitié des primes d’aide de l’État vont aux orphelins et aux enfants victimes du terrorisme, ne laissant qu’un maigre pactole aux nécessiteux.

Dans la cour de l’APC, un membre de l’assemblée est au bord de la déprime. Il vient de trancher le cas d’un parent sans ressource : “Je sais qu’il est au-dessous du seuil de pauvreté. Il a trois enfants scolarisés, mais on ne peut lui donner qu’une seule prime. Avec 2 000 DA, peut-il louer les livres pour ses trois enfants, alors que le seul lot de la 6e année coûte 1 180 DA ?” Cette déprime, on la cache aux élèves et à leurs parents. À l’école Belkhadra, l’heure est à la motivation des élèves et de leurs tuteurs. Une enseignante, en désignant ses élèves, n’y va pas par quatre chemins pour parler de la situation : “Regardez leur état physique et vous saisirez l’ampleur du drame.” Elle continue après un soupir : “Ils sont pauvres. Ici la pauvreté est plus dure qu’ailleurs. Elle fait chaque jour des orphelins en bas âge. Notre objectif n’est pas d’atteindre des taux élevés aux examens, mais de garantir le plus faible taux de déperdition au cours de l’année.” Un autre enseignant, qui vient de payer de sa poche les frais d’assurance de 8 élèves afin de dissuader leurs parents de mettre fin à leur scolarité, explique l’autre dimension de l’école à El-Djazia. Pour lui, “pousser l’enfant à venir à l’école, c’est le protéger des exploitants de la misère des autres, c’est lui assurer des soins de base et lui donner à manger une fois par jour”. À ce propos, la cantine scolaire à El-Djazia est ouverte à tous les élèves, ce qui est une prouesse dans une commune où l’on donne à manger aux enfants un jour sur deux ou même trois.

Transport scolaire : 32 places pour 300 élèves
À El-Djazia, il n’y a pas de CEM. Quelque 300 élèves poursuivent leurs études au CEM de Meskiana, à 30 kilomètres. La commune dispose de deux minibus de 32 places pour assurer leur transport. Pour une enseignante, “les navettes commencent à 3 h pour se terminer à 9 h du matin. Il y a toujours des retardataires malgré eux. Seule l’ouverture d’un internat diminuera les charges et limitera les déperdition à la seule journée de samedi”. Toutes ces conditions ont fait qu’El-Djazia, chef-lieu de commune depuis vingt ans, n’a pas vu beaucoup de ses enfants aller au-delà de la 4e année moyenne. Dans les trois écoles primaires, seule une enseignante est originaire de la commune. C’est une fierté locale comme d’ailleurs l’est le premier médecin, une femme, qui va terminer ses études cette année. L’échec scolaire est comme un signe indien qui poursuit El-Djazia.

Un enseignant tente d’esquisser les contours de ce phénomène : “Plus de 80% des élèves qui accèdent au second palier sont des filles. Pauvres, elles n’ont même pas les moyens de cacher leur intimité après un certain âge et surtout à 30 kilomètres de chez-elles. La pauvreté explique tout ici !”

Une bonne pluviométrie et une aide distillée au compte-gouttes
Ces deux dernières années, les conditions climatiques ont fouetté la production agricole et encouragé l’élevage dans la région. Conjuguées à l’apport du programme de lutte contre la pauvreté, les choses s’améliorent peu à peu et la commune quitte le peloton des cinq premières communes les plus pauvres du pays.

Déclarée commune la plus pauvre du pays, El-Djazia devrait bénéficier d’un programme de développement spécial d’un montant de 76 milliards de centimes s’étalant sur cinq ans. Malheureusement, les choses piétinent mais pas encore au point de faire perdre espoir aux populations, nous dit-on. Seule la première tranche de l’aide a été débloquée, celle de 2001, et on est en 2004.

Dans cette première tranche, un programme de 6,5 milliards a été conçu. Il comprend, entre autres, la création de 17 poulaillers de 50 unités d’élevage de bovins, l’équipement de 25 puits d’irrigation et de 30 classes. Cette enveloppe budgétaire est destinée aussi à la restauration de 150 unités de logements dispersés dans les différentes mechtas.

Pour cette première tranche du programme, ce sont les mechtas les plus reculées de la commune qui ont été avantagées. “Elles sont les plus vulnérables et l’impact sur la lutte contre l’exode est immédiat”, nous confie un villageois ayant côtoyé l’expert de l’UE qui a planché sur le dossier lors de son passage à El-Djazia.

Aujourd’hui, sur 14 dossiers introduits, 5 ont vu le jour. Les 9 autres représentent l’espoir du reste de toute la population.

Par Mourad Kezzar, Liberté