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Ligue arabe : le sommet du Grand Moyen-Orient ?

mardi 22 mars 2005, par Hassiba

Au sein des populations arabes, des élites intellectuelles non institutionnalisées, et à plus forte raison auprès des observateurs étrangers, la Ligue arabe n’a pas bonne presse.Comme la plupart des structures propres aux pays de cette partie du monde, la Ligue est perçue comme une coquille vide, dans laquelle les fastes, les accolades et autres déclarations de bonne volonté n’ont d’autres ambitions que celle du paraître.

Paraître unis alors qu’on ne l’est pas. Paraître d’accord alors qu’on l’est encore moins. Sembler prendre des décisions cruciales alors que l’immobilisme règne et accuser les autres de tous les maux dans une éternelle, et désormais usée, théorie du complot.

En quoi le prochain sommet de la Ligue arabe peut-il être différent de tous ceux qui l’ont précédé ? Le sommet d’Alger est attendu sur plusieurs dossiers politiques brûlants.

Le premier, par ordre de proximité, est le dossier algéro-marocain et, par extension, celui de l’UMA. Le second a pour centre de gravité Israël. Il ne s’agira pas de condamner, critiquer et blâmer la politique du gouvernement Sharon dans des discours creux, mais d’évaluer le soutien à apporter à Mahmoud Abbas. Les Etats-Unis ont clairement affiché qu’il était l’homme de la situation et attendent de leurs partenaires arabes qu’ils l’aident à prendre les bonnes décisions.

En filigrane, les gestes que la Ligue arabe fera envers l’Etat hébreu seront analysés à la loupe. Le troisième dossier s’appelle Syrie. Au-delà de la résolution onusienne, un appel implicite ou explicite au retrait des forces étrangères du Liban pourrait être interprété comme une réponse favorable aux exigences américaines. Relevons que, si l’on devait trouver un point commun à tous ces dossiers, l’intérêt des Etats-Unis est important et va dans chacun d’entre eux dans un sens unique : la normalisation. Preuve que le Grand Moyen-Orient se façonne doucement mais sûrement.

Algérie-Maroc : entre doutes et espoirs
Les pays d’Afrique du Nord tenteront, à l’issue du sommet arabe, de redémarrer une machine sérieusement en panne. Un sommet maghrébin devrait, en effet, avoir lieu, selon le chef de la diplomatie algérienne Abdelaziz Belkhadem. Cette rencontre qui s’est fait attendre pourrait être possible si le sommet de la Ligue tient au moins une partie de ses promesses en parvenant à dégeler les relations entre Alger et Rabat.

L’annonce de la participation du roi du Maroc au sommet arabe a été très bien accueillie par l’Algérie qui y voit « un prélude à la consolidation de la fraternité entre les deux pays ». La visite de Mohammed VI marquera la première visite officielle d’un souverain marocain en Algérie depuis 1991. Les deux dirigeants devraient se rencontrer en marge du sommet afin, peut-être, de baliser le processus de normalisation des relations entre les deux Etats.

Normalisation d’autant plus nécessaire que les deux Etats sont, depuis ces cinq dernières années environ, entrés dans une phase classique de rivalités entre acteurs de puissance comparable. Ce schéma est très classique dans les relations internationales et plus précisément les relations régionales. Quand deux Etats proches l’un de l’autre possèdent la volonté politique et les moyens matériels de peser sur la région, ils entrent automatiquement dans un processus de rivalité (Argentine/Brésil, Inde/Pakistan, Chine/Inde, Iran/Irak, France/Allemagne...).

Dans le chapitre relatif à la question sahraouie, notons qu’une campagne internationale a été lancée pour sensibiliser les acteurs économiques quant au caractère illégal de l’exploitation des richesses du Sahara. L’Observatoire des ressources du Sahara occidental (Western Sahara Resource Watch-WSRW) indique que cette campagne s’adresse tout spécialement aux actionnaires de la compagnie pétrolière américaine, Kerr-McGee (KMG) afin qu’elle arrête ses activités de prospection pétrolières au Sahara occidental occupé. Basée à Oklahoma City, l’entreprise s’est engagée dans « le pillage des hydrocarbures dans le territoire (offshore) du Sahara malgré le caractère illégal et en dépit d’aspects contraires à l’éthique et politiquement controversés de ces activités », a déploré le communiqué de WSRW. Cette dernière regroupe des organisations dans une vingtaine de pays et s’active pour la préservation des ressources naturelles au Sahara occidental au bénéfice de son peuple. La difficulté rencontrée avec Kerr-McGee n’est pas tant économique que politique. En effet, le propre fils de James Baker siège au conseil d’administration de Kerr-McGee. Aussi n’est-il pas surprenant que le plan Baker II stipule que, durant la phase de transition de 5 ans, les relations internationales et la gestion économique, notamment celle liée à l’exploitation des ressources naturelles et matières premières, seront de la compétence du Maroc (points 8.A et 9 du plan).

Sur quelle base cette action s’appuie-t-elle ? L’action fait partie d’une campagne globale et coordonnée de WSRW, selon le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles en tant que droit de caractère erga omnes stipulé par plusieurs résolutions des Nations unies et documents internationaux des droits de l’Homme.

En février 2001, le vice-secrétaire des Nations unies pour les Affaires juridiques, Hans Corell, a confirmé que le statut du Sahara occidental est celui d’un « territoire non autonome » et que « toute exploitation des hydrocarbures du territoire serait illégale ». « La compagnie refuse depuis trois ans d’entendre nos arguments. Nous espérons maintenant obtenir un appui de la part de ses actionnaires », a déclaré Richard Knight, membre de l’Association of Concerned Africa Scholars (Association de chercheurs universitaires africanistes engagés) et porte-parole de WSRW. La campagne est dirigée vers les actionnaires qui pourraient user de leur influence sur KMG pour que celui-ci ne renouvelle pas son contrat, le 1er mai prochain. WSRW a en outre menacé la compagnie d’entreprendre des démarches juridiques si elle s’entête toujours à renouveler son contrat. Quelles chances a cette campagne de réussir ? Des précédents existent.

Ainsi des compagnies de recherches séismiques norvégienne et néerlandaise ont-elles déjà renoncé à de nouveaux engagements au Sahara occidental, vu les implications politiques et économiques des contrats. Leurs actionnaires avaient, en effet, vendu des dizaines d’actions au cours des années passées. De plus, une entreprise séismique danoise ainsi qu’une compagnie pétrolière française ont abandonné leurs activités dans le territoire, ce qui fait de Kerr-McGee la dernière compagnie étrangère encore impliquée. Rappelons que l’administrateur de fonds norvégien Skanefondene, l’un des grands actionnaires de Kerr-McGee, s’est débarrassé de ses 100 000 actions, malgré des pertes d’un montant de deux millions de dollars. Actuellement, le fonds norvégien Petroleum Fund, propriété de l’Etat norvégien, envisage de vendre ses actions KMG (d’une valeur estimée à 7 millions de dollars).

Normalisation avec Israël, le dossier implicite
Le deuxième dossier épineux concerne une question de plus en plus pressante, à savoir les relations des pays arabes avec Israël. La fameuse proposition saoudienne qui consistait en une reconnaissance de l’Etat hébreu en échange de la création d’un Etat palestinien avait le mérite d’unir le Monde arabe et d’obtenir une contrepartie importante en échange d’un geste politique sans précédent. Or, il semble que cette proposition soit, comme tant d’autres, victimes de l’éternel désaccord arabo-arabe. Les Etats semblent se diriger en rangs dispersés, se pliant, semble-t-il, à des pressions extérieures et afin de protéger le statu quo intérieur.

Est-ce le cas de la Tunisie ? Le président Zine El Abidine Ben Ali, président en exercice du Sommet, sera présent. Cette présence aura une signification bien particulière depuis l’invitation lancée au Premier ministre israélien Ariel Sharon à venir en Tunisie, pour un Sommet mondial sur la société de l’information. Cette rencontre laisse évidemment présager une embellie dans les relations entre Tunis et Tel-Aviv.

Des relations en dents de scie depuis 20 ans
Ces relations ont mal commencé avec, en 1985, le bombardement par Israël d’une banlieue résidentielle de Tunis, abritant le quartier général de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Le raid avait fait quelque 200 morts et blessés, tunisiens et palestiniens. Après de longues tensions, l’OLP et son chef Yasser Arafat quitteront définitivement la Tunisie en juillet 1994, pour s’installer à Ghaza après douze années d’exil dans ce pays.

Ce départ n’était pas un hasard car, un an auparavant, en septembre 1993, un processus de normalisation « à petits pas » semblait s’enclencher entre la Tunisie et l’Etat hébreu et ce, après la signature de l’accord de paix israélo-palestinien du 13 septembre 1993 à Washington. Ainsi une délégation israélienne conduite par Shlomo Gour, conseiller politique du vice-ministre israélien des Affaires étrangères, s’était-il rendu à Tunis le 20 septembre pour préparer une réunion du groupe de travail sur les réfugiés palestiniens. En octobre de la même année, Tunis avait reçu la visite du plus haut responsable israélien à se rendre dans ce pays, le vice-ministre israélien des Affaires étrangères Yossi Beilin, à la tête d’une délégation venue assister à une réunion du groupe de travail sur les réfugiés dans le cadre des négociations de paix multilatérales sur le Proche-Orient. Des contacts discrets entre Beilin et des responsables tunisiens avaient donné lieu à un accord de principe autorisant la venue en Tunisie de touristes israéliens. Avant la visite de cette délégation officielle israélienne, quatre journalistes tunisiens -dont une équipe de télévision- avaient effectué une visite à El Qods.

Logiquement, la Tunisie ouvre, en juillet 1994, une liaison téléphonique directe avec Israël, tandis que le « Mouvement des avant-gardes unionistes », une formation tunisienne de tendance nationaliste arabe, décide de changer de nom et d’orientation en réclamant la reconnaissance d’Israël et la normalisation des relations entre les pays arabes et l’Etat hébreu. Peu de temps après, le ministre israélien des Affaires étrangères, Shimon Peres et son homologue tunisien, Habib Ben Yahia, conviennent à New York de l’ouverture de bureaux d’intérêts. En avril 1996, la Tunisie a franchi un nouveau pas dans le processus de normalisation de ses relations avec Israël et a décidé, pour la première fois, d’échanger des bureaux d’intérêts communs. Ces bureaux constituent la plus basse représentation diplomatique.

Trois ans plus tard, Tunis ranimait son bureau d’intérêts à Tel-Aviv, en y envoyant un nouveau représentant. Cette décision faisait suite à un gel de plus de deux an. Le blocage du processus de paix israélo-palestinien en était la cause. Le nouveau blocage causé par la visite de Sharon sur l’esplanade des Mosquées a causé le gel des bureaux en protestation sans pour autant faire cesser les contacts informels. Comme prémices à la future visite de Sharon, le grand rabbin de France, Joseph Sitruk, a été reçu par le président Ben Ali à l’occasion d’un colloque sur les trois religions du Livre. A cette occasion, il a rendu hommage à « l’esprit de tolérance » des Tunisiens et évoqué le besoin d’une initiative publique pour le dégel des relations israélo-arabes. Il a manifestement été entendu. La Tunisie n’est évidemment pas la seule en cause.

La Mauritanie a déjà établi des relations diplomatiques pleines et entières avec l’Etat israélien. C’est un fait connu. En revanche, un fait peu connu concerne la Libye. En décembre 2004, le vice-président de la Knesset a reçu une invitation des autorités libyennes à se rendre en Libye dans le cadre d’une prochaine visite à Tripoli d’une délégation de juifs d’origine libyenne. Les parents du député israélien, membre du Likoud, sont nés en Libye. Le dernier épisode à signaler implique le Maroc. Selon la télévision publique israélienne, Israël et le Maroc pourraient rétablir des relations diplomatiques dès le mois prochain, mettant fin à un gel de plus de quatre ans consécutif à la seconde Intifadha palestinienne.

La « légalité sélective »
Non sans rapports avec la question des relations des Etats arabes avec Israël, le troisième dossier dont la gestion sera intéressante à suivre est la question syrienne. En quoi les pressions exercées sur Damas sont-elles liées à Israël ? Bien qu’il ne soit pas reconnu, ce lien existe bel et bien. La présence militaire et politique de la Syrie au Liban n’est pas seulement une manifestation d’influence mais un atout capital dans les négociations bloquées entre Damas et Tel-Aviv.

Dans un schéma traditionnel désormais bien connu, lorsque le gouvernement israélien redémarre une négociation avec une partie, cela signifie que le processus est bloqué avec une autre. Depuis quand n’a-t-on pas évoqué des perspectives de reprise des pourparlers avec la Syrie ? Depuis que le déblocage s’est amorcé avec l’Autorité palestinienne, il y a fort à parier que la Syrie sera « oubliée » pour un moment. Le temps nécessaire pour la neutralisation des atouts encore en possession des Syriens. Or, si la communauté internationale obtient le retrait des soldats syriens du Liban, exigence onusienne, les négociations qui auront lieu un jour ou l’autre à propos du Golan seront très difficiles pour la Syrie qui en sera réduite au statut de demandeuse dénuée de moyens de pression.

Pourquoi, dans ce cas, les Israéliens négocieraient-ils ? En attendant, comment le sommet d’Alger peut-il réagir ? Il semble désormais évident que les discours relatifs à la solidarité du Monde arabe ont vécu. Ils ne convainquent plus personne, pas même ceux qui les tiennent. En revanche, un indice peut apporter un élément de réponse : « la légalité ». Le gouvernement irakien a été convié à assister au sommet au nom de la « légalité internationale ». Celle qui a succédé à l’invasion de l’Irak et non celle qui l’a précédée. Cette nuance de taille permet de dépasser, et même de clore, le débat tout à fait justifié sur la manière dont ce gouvernement est arrivé au pouvoir, laquelle manière renvoie inévitablement à la façon dont le précédent a été renversé par la force d’une intervention militaire étrangère totalement illégale.

A travers la présence du gouvernement issu des élections tenues dans un contexte d’occupation, l’ensemble des Etats arabes acceptent et légitiment le statu quo en droite ligne de ce que les Etats-Unis attendent d’eux. Suivant le même principe que l’on pourrait appeler « légalité sélective » ou « deux poids, deux mesures », la Syrie a été « invitée » à se retirer du Liban. Cette prise de position n’est pas surprenante car les Etats arabes avaient déjà « lâché » la Syrie lors de la signature de la convention arabe sur le terrorisme. A l’époque, le Liban et la Syrie avaient refusé d’y adhérer car le texte ne soulignait pas la différence entre le terrorisme et la lutte légitime des peuples pour la liberté et l’indépendance. Beyrouth et Damas faisaient allusion au Hezbollah dont l’influence militaire s’est manifestement transformée en poids politique impossible à marginaliser.

Par Louisa Aït Hamadouche, latribune-online.com