Accueil > PORTRAITS > New York se mondialise quand le monde s’américanise

New York se mondialise quand le monde s’américanise

dimanche 17 octobre 2004, par Hassiba

La dernière escale américaine a lieu dans l’une des plus légendaires villes du monde. « On peut y naître, y vivre et y mourir sans jamais l’avoir quittée et avoir eu besoin de le faire », disent les « fanatiques », les inconditionnels de New York. Mais celle qui fut brièvement la capitale des Etats-Unis est-elle encore américaine ?

Globalement, cette métropole attire pêle-mêle les jeunes, les artistes, les immigrants, les hommes d’affaires, les exilés. Dans certains quartiers, le stéréotype de l’« Américain moyen », le descendant de l’immigrant européen (homme blanc, plutôt grand, châtain, yeux bleus) a totalement disparu. La logique du regroupement communautaire est omniprésente, avec ses bons et ses mauvais côtés.

Que peut-on retenir d’un bref passage à New York City ? La ville mythique, qui réussit à être à la fois la ville du business, de l’art, de la mode, de la liberté, est peut-être la plus connue des villes américaines. Le hasard n’y est pour rien. En 1789 et 1790, New York fut brièvement la capitale des Etats-Unis et George Washington y reçut son investiture présidentielle. De plus, en 1835, New York devint la plus grande ville des Etats-Unis en dépassant Philadelphie. Pour certains, il est tout simplement inutile d’aller aux Etats-Unis sans voir New York. Metropolitan Museum of Art, Metropolitan Opera, American Museum of Natural History, Brooklyn Museum sont des attractions culturelles qui n’attirent pas que le touriste en quête de souvenirs. New York est beaucoup trop célèbre pour qu’on y aille sans aucun préjugé. Le cinéma, les livres, la politique, le 11 septembre et tellement d’autres choses font que la cité paraît familière avant même qu’on y ait mis les pieds.

Histoire d’une grande ville

Grande ? Elle l’est effectivement. Avec Los Angeles et Chicago, la ville est l’une des principales agglomérations américaines. Située dans l’Etat de New York, sur la côte atlantique, elle fait partie de la grande mégapole de la côte est des Etats-Unis. En 2000, la ville de New York comptait 8 085 742 habitants, répartis dans 5 districts : Manhattan, Brooklyn, Queens, Bronx et Staten Island.Cette grandeur ne saute pourtant pas aux yeux. Lorsqu’on déambule à travers les rues et les avenues, le sentiment d’évoluer dans l’une des plus grandes villes du monde est marginal. En comparaison, Washington DC (sans commune mesure du point de vue de la superficie) paraît plus vaste. En vérité, le sentiment de grandeur est complètement dominé par une autre sensation, celle d’étouffer. Cette sensation est due aux embouteillages incessants, aux machines assourdissantes, à la fumée qui s’échappe des bouches d’égout, aux trottoirs encombrés par les poubelles, aux sirènes de police retentissantes, aux rues mal éclairées et aux sans-abri squattant les bancs publics. Cette sensation est aussi due au fait que tout cela cohabite avec les musées à l’architecture centenaire, les immeubles de luxe logeant les stars du show business, les grands magasins affichant leur marque comme un trophée et les limousines proposant un tour de la ville (80 dollars de l’heure pour les touristes naïfs et impressionnables).

Pour rappel, la plupart des plus hauts gratte-ciel du monde y furent construits dans le style Art déco, à partir des années 1930. Ce rôle de centre artistique s’amplifia vers la fin des années 1930 avec l’afflux de réfugiés politiques européens, qui comportaient nombre d’intellectuels, musiciens et artistes. La ville s’affirma comme capitale de l’expressionnisme abstrait et rivalisa avec Londres sur le marché de l’art. Ville historique ? Peu de choses le rappellent. Les buildings donnent à la cité un air résolument moderne et, jusqu’à récemment encore, les promoteurs immobiliers ne se gênaient pas pour raser les vieux immeubles et en reconstruire des neufs. Il reste de cette histoire ce que la modernisation n’a pas réussi à effacer, les livres, qui nous apprennent que l’histoire de New York débuta avec la création en 1626 de la colonie hollandaise de New Amsterdam (New Amsterdam) à l’extrémité sud de l’île de Manhattan. En 1664, des navires anglais s’emparèrent de la ville sans combat, le gouverneur Peter Stuyvesant se rendit et elle fut renommée New York en l’honneur du Duc d’York. Au début de la Guerre d’indépendance, la ville fut le théâtre d’importants combats. Vaincus, les Américains battirent en retraite vers Manhattan, peu de temps avant la bataille des Hauts de Harlem et la grand incendie qui détruisit le quart de la ville.

Pour les patriotes purs et durs, la phrase du jeune capitaine américain Nathan Hale (exécuté par les Anglais) est restée dans les annales : « Mon seul regret est d’avoir une seule vie à perdre pour mon pays. » La ville resta aux mains des Anglais jusqu’au 16 novembre 1783, l’« Evacuation Day » qui a longtemps été célébré. Le XIXe siècle sera celui de la repopulation avec l’arrivée massive d’immigrants. D’où l’extension du plan d’urbanisation à l’ensemble de l’île de Manhattan dès 1811. La guerre civile divisa le pays autant que la ville. Les liens commerciaux avec le sud d’un côté et le libéralisme de l’autre se sont traduits en de violentes émeutes qui culminèrent en 1863 lors de l’appel à la conscription lancé par Abraham Lincoln (the Draft Riots). Après la guerre, le flux d’immigrants européens a justifié la création d’un centre de transit. Comble de l’ironie, il a été installé sur Ellis Island, une île proche de celle de la statue de la Liberté. Sur le plan économique, 70% des importations américaines transitaient par le port de New York en 1884, augmentant les finances de la ville, entre 1888 et 1908, de 250%.La croissance de la cité n’a pas été linéaire. Elle fut pourtant interrompue par deux fois au XIXe siècle avec le grand incendie qui ravagea la ville en décembre 1835 et la crise économique de 1837 et trois autres fois au siècle suivant. Ainsi, le lendemain de la Seconde Guerre mondiale (industrie vieillissante), dans les années 1960 (émeutes raciales) et les années 1970 (délinquance, municipalité officiellement en faillite).

La politique : pour les autres

Quelques jours après le troisième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001 et quelques semaines avant l’élection présidentielle, New York paraît incroyablement apolitique. Aucun signe ostentatoire de patriotisme chevronné n’est visible, pas plus dans la rue que dans les magasins ou les places publiques. La différence avec Washington, Cincinnati et Phœnix est, de ce point de vue, criante. Symbole de cette « indifférence » politique, 83% des New-Yorkais ne voulaient pas que leur ville soit l’hôte de la convention républicaine en août dernier. « Même si le reste des Etats-Unis fait une crise de nerfs, nous resterons aussi libéraux que la République populaire de Californie : moins de 18% des citoyens faisant partie des cinq arrondissements de New York [incluant l’arrondissement assez conservateur de Staten Island] ont voté pour l’équipe Bush/Cheney en 2000 », rappelle Ted Rall dans un éditorial venimeux. Il faut dire que les New-Yorkais acceptent mal le fait que l’administration Bush ait débloqué 20 millions de dollars pour venir en aide à la ville après le 11 septembre, soit une somme équivalente aux coûts d’occupation de l’Irak pendant 4 mois. A l’inverse, les actions politiques les plus visibles sont celles des étrangers. Profitant de l’ouverture de la session générale de l’Assemblée des Nations unies, les opposants chinois ont littéralement occupé les trottoirs.

Alignés le long des rues, ils distribuent des tracts dénonçant la répression de Pékin ou s’assoient, jambes croisées, priant et méditant. Trois facteurs d’ordre socio-économique peuvent expliquer partiellement ce phénomène. Le premier est la constitution démographique de la ville. En termes plus précis, moins d’un habitant sur deux est blanc, près d’un habitant sur trois est afro-américain et près d’un habitant sur dix est hispanique (voir le tableau 1). La ville semble en fait plus internationale qu’américaine. Mais la tendance est clairement au regroupement communautaire avec des quartiers entiers qui se sont formés selon les origines géographiques ou culturelles : irlandais, italiens (Little Italy), chinois (Chinatown), coréens, portoricains, africains, juifs... A titre d’exemple, New York a plus d’habitants juifs que Jérusalem en Israël.Le second facteur relève de la moyenne d’âge qui est particulièrement basse : 34 ans seulement. Ainsi, un quart de la population n’est pas majeure (a le droit de conduire mais pas celui de voter), un New-Yorkais sur 10 a entre 1 et 24 ans, un tiers a entre 25 et 44 ans, le cinquième de la population a entre 45 et 64 ans et seulement un habitant sur 10 a plus de 65 ans (voir le tableau 2). Le troisième facteur, enfin, est d’ordre économique. En 2000, le revenu moyen des ménages new-yorkais était de 38 293 dollars par an. A ce taux assez bas s’ajoute un chiffre encore plus inquiétant : 21% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Parmi eux, 30% ont moins de 18 ans -ce qui présage un départ dans la vie difficile pour ne pas dire mauvais- et 18% ont plus de 65 ans (fin de la vie professionnelle avec peu de perspectives de changement). Difficile de lier ces chiffres au fait que New York est un centre économique de premier ordre, par son activité portuaire et ses industries, qu’elle est une très importante place financière abritant plusieurs institutions : Bourse de New York, NASDAQ, American Stock Exchange, New York Mercantile Exchange, et New York Board of Trade. Cette industrie financière est située dans le financial district au sud de Manhattan (voir l’encadré relatif aux compagnies ayant leur siège à New York).Comme partout dans le monde, la pauvreté n’est jamais très loin de la criminalité.

Dans les années 1970, New York a acquis la réputation d’être une ville dangereuse. Statut qui trouve son origine dans l’histoire de la grande délinquance new-yorkaise, à savoir, les familles de la mafia sicilienne des années 1920 (racket et activités liées aux sports de combat : les Bonnanos, Colombos, Gambinos, Genovese, et autres Luchese). Le taux de criminalité varie selon les districts : Staten Island est le plus sûr, Queens et Manhattan sont dans la moyenne, tandis que le Bronx et Brooklyn sont les plus dangereux. Etant donné son statut économique et touristique, Manhattan a bénéficié d’actions spécifiques pour augmenter le niveau de sécurité.

De l’insécurité générale à la sécurité sélective

Cependant, selon les chiffres officiels de la police, la situation a changé depuis les années 1990, faisant de la ville l’une des dix agglomérations les plus sûres des Etats-Unis. Les données du FBI indiquent que les chiffres de la délinquance de 2000 sont inférieurs à ceux de 1967, qui n’est toutefois pas une période particulièrement calme (tableau 3). Le budget consacré à la politique de sécurité est considérable. Pour la seule police, ce budget s’est élevé à 2,6 milliards de dollars en 1999 pour un budget global de 9,4 milliards de dollars (27% du budget de la ville). Concernant la logistique, New York intra-muros comprend 40 000 agents en uniforme, 8 600 employés à des tâches administratives, 1 700 à la surveillance des sorties d’écoles, soit au total plus de 50 000 personnes. Ils sont, d’une part, équipés de 6 500 véhicules, 26 bateaux et 6 hélicoptères sans compter chevaux et vélos et, d’autre part, de moyens technologiques de pointe et notamment de système de vidéo surveillance. L’informatisation de pointe a éliminé quasiment toutes les tâches administratives lourdes (paperasserie). La politique de sécurisation de New York a été inspirée par deux théories. La première est celle de la « fenêtre cassée » (broken windows). Keliing et Wilson, ses concepteurs, sont partis d’un ensemble de constats (nombre de fenêtres cassées, saletés, graffitis) et ont divisé les quartiers en deux catégories (immeubles rapidement réparés à la suite de bris de vitres et immeubles jamais réparés en cas de vandalisme).

Les conclusions de l’enquête sont sans appel : les dégradations s’aggravent dans la seconde catégorie et régressent dans la première. « Les réactions des êtres humains dépendent pour partie de leur environnement. L’état des quartiers dans lesquels ils vivent induit leurs comportements. » La seconde base théorique est la théorie de la tolérance zéro (zero tolerance) : sanction immédiate et peines alourdies à la moindre infraction. William Bratton en est l’exécuteur sur l’initiative de Rudolph Giulliani, maire de la ville. Parmi les mesures prises, la non-séparation entre l’usager et le trafiquant de drogue qui désormais encourent les mêmes peines. Cependant, ni les guides, ni les hôtels, ni même les gens que vous pouvez rencontrer au hasard ne manquent de vous faire savoir que la ville est dangereuse. Les recommandations faites aux étrangers sont strictes : préparer ses déplacements, éviter les déplacements seuls la nuit, s’enfermer à clé, ne pas monter dans des rames de métro vides, ne pas laisser d’objets de valeur dans les chambres d’hôtel, y compris le coffre... De plus, il semble que l’application des théories dépend beaucoup du lieu. Ainsi, si la tolérance zéro conjuguée à celle des fenêtres brisées a eu des effets positifs dans certains quartiers, (disparition des graffitis, baisse de la criminalité), l’application de la première sans la seconde est visible dans d’autres quartiers (Harlem, Bronx...). L’insalubrité et la précarité sont apparentes à chaque coin de rue. La population du Bronx est composée de 30% d’habitants blancs d’origine européenne, de 36% d’Afro-Américains, de 3% d’asiatiques. Le reste de la population a d’autres origines. De plus, 30% de la population du Bronx a moins de 18 ans. En comparaison, la population de Manhattan est composée de 54% d’habitants blancs d’origine européenne, de 17% d’Afro Américains et de 9% d’Asiatiques. Autre fait significatif, 17% seulement de la population du district a moins de 18 ans. Les minorités ethniques et la jeunesse semblent donc les plus fragilisées et vivent leur statut, plus ou moins, comme un handicap.

Par Louisa Aït Hamadouche, La Tribune