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Nif, larbins et bureaucratie en Algérie

jeudi 12 mai 2005, par nassim

Un entrepreneur, un wali et un journaliste sont en prison. Ou comment la bureaucratie gère l’Algérie.

Les amitiés politiques se paient cher en Algérie. Il suffit de suivre la chronique judiciaire, grande révélatrice des mœurs d’un pays, pour s’en rendre compte. Et de se rendre compte également que ceux qui fréquentent les tribunaux sont les perdants de batailles politiques les plus récentes. Après Mohamed Benchicou et son animosité envers le candidat Abdelaziz Bouteflika, après Bachir Frik et sa supposée proximité avec Ali Benflis, voilà que Messaoud Hadji est à son tour mis en détention. Qui est Messaoud Hadji ? Sur la place d’Alger, il est connu comme un entrepreneur de grande envergure, comme le principal actionnaire d’une société d’assurances, ainsi que le propriétaire de deux journaux, El-Youm et Al-Ahdath. Mais Messaoud Hadji est aussi un proche de Mokdad Sifi, l’ancien Premier ministre, qui a progressivement pris ses distances avec le pouvoir pour rompre totalement les liens ces dernières années.

Placé en détention avant même d’être jugé, Messaoud Hadji est implicitement présumé coupable. A lui de prouver son innocence, dans un système où les règles juridiques sont inversées, où les hommes font de la prison avant d’être condamnés. Bachir Frik a vécu cette amère expérience : après quatre années de détention, il est passé devant un tribunal où il ne pouvait être condamné à moins de huit ans de prison, au moins pour couvrir la période de détention antérieure et espérer être remis en liberté après avoir purgé la moitié de la peine.

Dans toutes ces affaires, la condamnation ou l’infamie subie sont totalement disproportionnées par rapport aux faits reprochés. Bachir Frik avait raison de dire qu’on ne condamne pas un wali pour deux ou trois logements, alors qu’on lui donne la possibilité de disposer d’un dixième des logements sociaux à sa guise. C’est donc sur un autre volet qu’il faut chercher l’explication de toutes ces affaires. Il faut bien trouver un point commun à un entrepreneur, un journaliste et un wali qui se retrouvent en détention en même temps. Veut-on vraiment faire le procès d’une période ? Cela semble exclu, car les maîtres du pays n’ont pas changé. S’agitait-il d’une condamnation prononcée contre une méthode de gestion ? Là non plus, l’explication n’est pas probante, car la gestion des affaires publiques est toujours la même, si elle ne s’est aggravée.

On peut continuer à égrener les explications, mais on ne peut en occulter une, qui résume en fait toute la situation : on est en face d’un système de gestion du pays qui veut tout embrigader, de l’administration à l’économie, de la presse à la justice, en étouffant tous les espaces de débat et de liberté. L’économie étouffe sous le poids des injonctions bureaucratiques, la presse se perd dans des batailles de survie, la justice est ce qu’elle est, le tout étant mis sous étroite surveillance par un pouvoir tentaculaire. Mais ce serait une erreur de croire que le pouvoir n’agit que par la répression. Car sa méthode préférée est la corruption. Il ne s’agit pas de la corruption au sens strict du mot, mais une corruption structurée, qui génère d’énormes fortunes à ceux qui ont la chance d’être du bon côté du manche. D’immenses fortunes se font à l’ombre du pouvoir, le plus souvent par le transfert massif d’argent grâce à des contrats non contrôlés. Du moins, restent-ils non contrôlés tant que les bénéficiaires se mettent corps et âme à la disposition du système qui les a créées.

C’est un système para-légal : il y a un habillage légal, avec des documents, des actes de comptabilité et des titres de propriété, mais l’essentiel se déroule ailleurs. Le partage de ce butin, son affectation, la manière d’y accéder sont fixés selon d’autres règles connues dans un premier temps des seuls acteurs de ces fermés. Mais avec le temps, l’homme de la rue a commencé à en soupçonner l’existence et à en connaître les rouages, à l’occasion de quelques procès retentissants. Et, en fin de compte, tout est devenu public. Il suffit d’écouter des discussions dans un taxi ou chez le coiffeur pour savoir qui est associé avec qui, et qui travaille pour qui, même si la part de l’intox n’est pas à négliger dans ces affaires. Tout ceci aboutit à une situation paradoxale. A Alger, comme dans toutes villes, tout se sait. Où qu’on se trouve, on peut facilement savoir qui gère les marchés, qui encaisse les pots-de-vin et au profit de qui. Le pouvoir a déployé une immense énergie pour étouffer cette information, pour la manipuler ou la canaliser, sans succès.

Mais cette généralisation de la connaissance du système de corruption n’a pas abouti au sursaut attendu. On s’attendait à un mouvement de révolte. On assiste à une accélération de la course pour accéder à cette manne illégitime, ce qui donne la possibilité au pouvoir de trouver facilement de nouveaux candidats pour remplacer les récalcitrants exclus et ceux qui, comme Messaoud Hadji, ont réussi à se bâtir une fortune relativement transparente sans pour autant renier leurs amitiés. Car le système ne laisse guère d’alternative : soit on accepte d’être un larbin prospère, soit on conserve sa dignité et on le paie par l’exclusion, la pauvreté, si on ne finit pas en prison.

Par Abed Charef, quotidien-oran.com